Vincent Trémolet de Villers
Qelques chiffres pour planter le décor. Entre 2013 et 2023, le nombre de démissions d’élus municipaux a doublé par rapport à la décennie précédente. Depuis 2020, on en compte plus de 4000. Incivilités, insultes, agressions tiennent leur part. Indemnités dérisoires, tâches infinies et harassantes, aussi. Mais le mal est plus profond. Ce qui désespère les maires, c’est qu’ils ne parviennent plus à exercer leur mandat.
Comment ne pas être enseveli par la cataracte de paperasse qui surgit à la moindre initiative ? Tel un personnage de Sempé, minuscule face au monstre bureaucratique, le maire doit redoubler d’ingéniosité et de ténacité pour simplement faire ce pourquoi il a été élu. Perpétuellement pris entre le marteau des impulsions étatiques et l’enclume des restrictions réglementaires, il vit en permanence le cauchemar des injonctions contradictoires. Le président appelle à la réindustrialisation, mais la loi climat et résilience interdit d’artificialiser les sols. La première ministre demande que l’on «construise des logements», mais la multiplication des règles auxquelles plus personne ne comprend rien, l’extension toujours plus grande du code de l’environnement rendent l’opération dantesque. « Il faut être ferme sur l’immigration», affirme le ministre de l’Intérieur, mais le préfet, parfois sans prévenir le maire, lui impose d’accueillir des demandeurs d’asile ou des déboutés que l’on peine à reconduire chez eux.
L’élu municipal qui incarnait la politique concrète se heurte à l’impuissance publique. Il est désemparé face à l’Absurdistan. « Mais laissez-nous faire ! », supplie David Lisnard, le président de l’Association des maires de France, reprenant l’un des slogans fondateurs du libéralisme. Ivresse normative, passion technocratique effacent progressivement le mot «liberté» du fronton des mairies. Pourtant, « les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science, disait Tocqueville, elles la mettent à la portée du peuple». Ces maires qui, découragés, démissionnent, c’est la première ligne de la République française qui se disloque.
Source : Le Figaro 20/06/2023