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L’erreur d’analyse militaire, encore et toujours une guerre de retard ?

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Le temps passe et dans l'éternelle lutte entre l'épée et le bouclier, l'usage de l'histoire militaire peut être sources de précieux enseignements comme d'erreurs considérables. Loin d'être un film où il suffit de repartir de la dernière scène, il convient de savoir rembobiner et enchainer les flash-backs.

Depuis le début l’analyse des opérations en Ukraine repose sur une vision que l’on me permettra de qualifier de seconde guerre mondiale : Des pénétrations rapides dans la profondeur, conçues pour déstructurer le dispositif adverse et si vous échouez vous êtes un moins que rien.

C’est la fameuse doctrine de combat interarmes de l’OTAN où grâce à l’aviation on met hors d’état de nuire les forces adverses sur une zone aussi large que possible autour du couloir de progression où les troupes au sol bousculeront les ennemis survivants avant de nettoyer le terrain et assurer le succès.

Cette doctrine a fonctionné, dans les années 1950, 1960. A l’époque les armes antichars lourdes et maladroites se révélaient certes dangereuses mais incapables d’affronter les engins blindés. Les bombes atomiques avaient montré leurs limites contre de telles formations. Les essais de manœuvre et les kriegspiels avaient prouvé l’extrême difficulté de détruire un char.

Petit point sur l’arme nucléaire.

Il existe deux types d’armes nucléaires : Les armes à fission et les armes à fusion.

Les armes à fission : Conçues sur la base d’un élément lourd uranium ou plutonium, un explosif propulse violemment le ou les blocs métalliques et les compriment de telle sorte que la masse critique soit atteinte. Le métal devient assez comprimé pour que les particules éjectées touchent plus souvent les noyaux et les brisent. On assiste donc à une accélération des brisures de noyaux atomiques et donc émettent de nouvelles particules. La réaction accélère et devient alors ce que l’on appelle une réaction en chaine. La température au cœur de l’explosion se mesure en milliers de degrés

Les armes à fusion : Une arme à fission sert à l’allumage et dégage assez de chaleur pour comprimer des noyaux légers de dérivés d’hydrogène. Ces éléments légers fusionnent alors pour former un élément plus lourd. L’explosion est infiniment plus énergétique (en m° de degrés)

Dans les deux réactions une partie de la masse est convertie en énergie selon la célèbre formule d’Einstein :

E=MC²

Ou E, l’énergie

M représente la masse.

Et C représente la vitesse de la lumière.

Les deux types d’armes au-delà de leurs différences techniques fonctionnent donc de la même manière : De la masse est désintégrée et transformée en énergie.

En termes de coût, l’uranium ou le plutonium sont des métaux chers qui réclament de lourds moyens industriels. Il est plus facile de trouver de l’hydrogène. Pour cette raison, en l’absence d’autres moyens, les armes atomiques les plus petites utilisent la fission. Les plus puissantes utilisent la fusion.

Arrêtons

Les armes atomiques ont on le voit leurs limites. Un explosif, fonctionne de trois manières différentes :

-Les explosifs soufflants, où l’explosion provoque une pression dans la direction de la moindre résistance.

-Les explosifs brisants, dit à effets dirigés, se dirigent au contraire vers la zone de plus forte résistance pour perforer.

-Les combinés ou mixtes

La boule thermique (Je passe sur les effets Impulsions ElectroMagnétiques et les retombées radioactives du noyau de la bombe) qui est le principal moyen constitue fondamentalement un explosif soufflant. Le blindage d’un char reste en général sensiblement plus résistant que l’air autour.

Alors, bien sûr, l’IEM pouvait mettre à bas l’électronique d’un char, mais les militaires ont appris à s’en protéger. Les retombées radioactives peuvent tuer l’équipage, mais elles mettront des heures voire des jours à agir et là encore les blindés sont conçus pour résister aux environnements nucléaires, bactériologiques et chimiques (El famoso, combat NBC). Ils restent donc en général capables de combattre le temps de finir la percée.

Exit donc les armes nucléaires et au début des années 1970, le char règne en maître, mais, il n’échappera pas à la sagacité du lecteur que nous avons dépassé cette époque depuis maintenant un demi-siècle.

Les solutions contre le char étaient connues dès la seconde guerre mondiale :

  • Les munitions perforantes à base d’un pénétrateur en matériaux lourds (Tungstène, Uranium appauvrit). Le peforateur propulsé à très grande vitesse percute une surface très limitée du blindage sur laquelle porte toute l’énergie. Cette solution, excellente a le défaut d’exiger un canon puissant capable de fournir l’énergie au barreau perforant. Cette exigence limite le procédé aux canons de chars.
  • Il fallait une arme pour les fantassins. Toute une gamme d’explosifs brisants fut développée, mais l’arme la plus performante fut la charge creuse. Un métal comme le cuivre est formé par une explosion à proximité du blindage. Là encore, le barreau métallique en fusion porte sur une surface très réduite du blindage sur laquelle une énergie considérable est appliquée. (Ici, c’est surtout de l’énergie thermique)
  • D’autres solutions existent, mais restent d’un emploi moins fréquent, dans cet article nous les ignorerons.

Bien sûr, des mesures de contre-mesures ont été appliquées, mais fondamentalement cela se résume à plus résistant contre plus d’énergie. Pour cette raison, les canons de chars et les missiles anti-char ont vu leur taille augmenter en proportion des améliorations de la défense.

Dans les années 1970, la seule arme longue portée est le canon de char. Les fantassins dépendent de lance-roquettes d’épaules ou de canons sans reculs dont le manque de précision limite la zone couverte.

Mais, là solution arrive enfin : Le missile guidé. Les anglo-saxons utiliserons le terme : ATGM : Anti-Tank Guided Missile. Missile anti-char guidé. Dès lors, il devient possible pour un petit groupe de fantassins de placer une charge creuse sur un char à plusieurs kilomètres de distance.

Les missiles révolutionneront aussi les armes anti aériennes. Le couple radar/missile guidé par radar ou avec son propre autodirecteur remplace en partie les canons et permet de couvrir des zones inimaginables auparavant. L’aviation ne peut plus agir en close air support comme durant la seconde guerre mondiale. L’artillerie dont la portée a beaucoup augmenté tend à reprendre ce rôle.

Avant d’entrer dans le rôle des missiles longue portée, prenons le temps d’effectuer une évaluation de l’impact sur le front.

Tout d’abord, nous le constatons, les grands assauts deviennent dangereux voire irréalistes. L’artillerie, bien plus précise que durant la seconde guerre mondiale peut les briser. Un obus de césar tombe dans une zone de 50m², on prétend les Russes 8 fois moins précis, admettons, cela fait 400m² ? 20M X 20M, je trouve la distance tout de même un peu courte pour ma santé fragile) Les mitrailleuses et les missiles peuvent se concentrer sur toute cible un peu volumineuse.

Il faut donc ne pas offrir de cible. Voir sans être vu selon l’adage des militaires. Cela implique de lentes infiltrations et non des charges glorieuses sabre au clair. Des poignées de survivants constituent un obstacle non négligeable. En 1944 durant la percée de Cobra les panzers grenadier ont résisté plusieurs heures après le bombardement d’anéantissement mené par plusieurs milliers d’avions. Ils bénéficiaient certes du bocage qui leur donnait un terrain défensif idéal. Désormais, avec les missiles et les fusils d’assaut, les mitrailleuses légères, ces soldats éparts sont encore plus redoutables.

Pour cette raison, les deux belligérants emploient des drones, des infiltrations pour repérer les défenseurs et les faire éliminer par leur artillerie au lieu de s’exploser. Encore davantage que durant la seconde guerre mondiale, un homme avec une ligne de vue et une radio constitue une arme mortelle.

Cela signifie aussi une plus grande profondeur défensive. Des effectifs limités qui opèrent depuis des positions préparées avec multiples postes de tirs et voies de communication peuvent alors ralentir plus longtemps un assaut et gagner le temps nécessaire à l’intervention des réserves.

Durant la seconde guerre mondiale, ce type de résistance par couche dévorait les effectifs. Les Russes ont mené des assauts rapides dans les premiers jours d’opération en 2022, ils l’ont payé de lourdes pertes. Et encore… Ils opéraient dans la confusion qui suivait le début des opérations, sur un dispositif ukrainien pas encore structuré. Mais déjà, de petites équipes mobiles terrées dans des bâtiments parvenaient à tendre des embuscades dévastatrices.

Si au plan stratégique la mission fut remplie : Le président Zelensky entamera les négociations d’Istanbul dés Mars 2022, il est évident que ce n’est pas un mode de fonctionnement durable.

Les Ukrainiens feront la même chose durant la bataille de Kharkiv, une avance rapide qui certes manquera de détruire le dispositif russe, mais leur coûtera à leur tour assez cher en hommes et en matériel. Dans ce cas, l’arme des défenseurs semble avoir davantage été l’artillerie

A partir de là, les deux camps mobilisés, si les défenses n’atteignent pas partout la profondeur de la ligne Sourovikine, il devient évident qu’un assaut au cœur du dispositif adverse coûtera cher.

Faut-il dès lors s’étonner que l’on en revienne à une immense guerre de siège ? L’objectif ne peut plus être de conquérir des territoires sauf à accepter de sacrifier son armée. Peut-être une victoire décisive vaudrait-elle une telle tentative, mais si l’on évalue le temps mis en général durant le second conflit mondial pour fermer les chaudrons (Souvent plusieurs semaines) à l’aune des pertes prévisibles, alors le jeu n’en vaut certainement plus la chandelle.

L’objectif devient l’armée adverse et sa capacité au tenir un front structuré. Il faut l’affaiblir suffisamment par des pertes cumulées pour que le nombre de couches défensives se réduise et transformer la zone de contact en une longue ligne fine et trop étirée.

Pour cela, deux solutions : Le taux d’échange sur le terrain, donc un cycle reconnaissance, tirs d’artillerie d’élimination des soldats adverses apparemment sans fin. Ou, seconde solution : Les frappes dans la profondeur pour déstructurer le dispositif adverse.

Durant la seconde guerre mondiale ou les conflits Israélo-arabes que nous pouvons prendre comme référence, c’était là, la mission de l’aviation. On se souvient des assauts ravageurs des Israéliens ou des Allemands sur les aéroports adverses pour acquérir la supériorité aérienne avant de se consacrer soit à l’appui feu des troupes au sol où à la destruction des moyens d’appuis. Rappelez-vous l’immense campagne aérienne autour d’Overlord pour détruire, gare, trains, canons, dépôts de tous types. Malgré cela il fallut plus de deux mois et une énorme supériorité numérique pour venir à bout de l’armée allemande.

Aujourd’hui, la défense aérienne rend de telles opérations difficiles. Si l’arrière immédiat peut-être ciblé grâce aux bombes planantes, la profondeur stratégique pose un autre problème.

Les missiles, bien développés depuis la seconde guerre mondiale constituent une réponse partielle, mais ils sont, par nature peu nombreux et le poids d’explosif emporté reste limité par rapport aux avions (Quelques centaines de kilos, un rafale peut emporter dix tonnes). L’action sur l’arrière se limite donc à des cibles de grande importance : Trains, radars, quartiers généraux, gros dépôts. History Legend pointe régulièrement le gaspillage de moyens représenté par l’usage des roquettes Himars par les Ukrainiens pour détruire de simples obusiers. On peut argumenter sur ce jugement de valeur, tout dépend de l’abondance des stocks des deux camps, mais le raisonnement est là : Les armes à longue portée coûtent cher !

Conclusion militaire :

Nous analysons le conflit sous l’angle de reprises de territoires, car c’était une manière pertinente d’analyser les opérations jusqu’aux guerres des années 1970. Et aussi, car c’est l’objectif stratégique des Ukrainiens. Mais nous devons admettre la relativité de cet angle d’analyse et sa probable obsolescence dans les conflits modernes

Depuis, il semble que la priorité soit passée à la destruction des forces adverses et nous avons manqué le coche. Les guerres du Golfe, menées avec une immense supériorité contre une armée irakienne affaiblie nous ont empêchés de réaliser cette évolution. L’anéantissement des forces de combats irakiennes fut obtenue par l’aviation et donc la phase d’attrition est demeurée invisible pour le grand public.

Aujourd’hui, les deux armées alignent dans la zone d’opération (Je ne parle pas de leur potentiel mobilisable bien plus important coté russe) entre 500 000 et un million d’hommes (Je prends délibérément une fourchette large). Chacun des protagonistes parvient encore à protéger pour l’essentiel son espace aérien grâce à la défense AA.

Dès lors, on assiste contraint et forcé à une bataille d’attrition jusqu’à ce que l’un des deux rompe. Localement, car il aura été impossible d’amener des réserves où à une plus grande échelle.

Conclusion sur les informations fournies par les médias : Alors, d’un point de vue journalistique s’agit-il d’une erreur ou d’une désinformation délibérée. Difficile de répondre. La plupart des journalistes semblent manifester un niveau assez bas d’appétence pour les détails des armements. Analyser en détail l’histoire militaire des cinquante dernières années les tentes sûrement moins qu’une série de plaisanteries avec leurs collègues. Ils disposent du pouvoir de vie ou de mort médiatique par le choix des invités qui n’est en France plus corrigée par l’ARCOM[1]. Ils peuvent ainsi créer leur propre réalité : Celle conforme à leur vision du monde et leur idéologie.

Quant aux experts militaires ? Eux le savent sûrement, ne peuvent-ils seulement l’évoquer, ou ne veulent-ils pas en parler ? Dans un monde où un Tytelman peut être considéré comme un expert, car un Pujadas l’atteste, tout est possible

Le grand problème est que cette incapacité à analyser le conflit en cours nous condamne aux mauvais choix : Ceux que les peuples paient longtemps[2] !

[1] Cf ma pétition que j‘incite chacun à aller signer ici.

[2] Nos journalistes, il est vrai, s’imaginent sûrement qu’ils seront exemptés de la facture.

par Jules Seyes

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-erreur-d-analyse-militaire-250780

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