Ma connaissance de l’allemand, basique, ne me permettait évidemment pas d’y accéder. Alors je voyageai jusqu’à Totdnauberg pour m’imprégner de ces chemins qui l’ont mené nulle part. Nietzschéen convaincu je me ressourçai dans ces montagnes et m’imaginai Martin dans son Heimat.
Puis je visionnai justement ce chef d’œuvre qu’est Heimat en je ne sais plus combien de dizaines d’heures. J’avais je pensais intégré la notion de Heimat voire celle de Dasein… J’essayai ensuite de lire l’ouvrage « Chemins qui mènent nulle part » mais je laissais tomber. L’hermétisme de Heidegger n’était décidément pas fait pour moi. Cependant le bonhomme m’intéressait. Et ces attaques récurrentes contre le philosophe nazi venant de la gauche servile m’irritaient ; trop simplistes. Trop facile.
Alors la biographie écrite par Guillaume Payen allait être pour moi un moyen de connaître l’Heidegger intime, l’amant de Hannah Arendt (j’avais vu le film sorti il y a peu de temps et lu quelques uns de ses ouvrages). Je lisais de front cette biographie et de nouveau Être et Temps (jusqu’à la deuxième page) et une introduction à sa pensée ( que je laissais aussi tomber).
Guillaume Payen semble dès l’abord être un biographe honnête, ses deux premières parties sont plutôt enthousiasmantes qu’il aborde « le destin catholique » ou « le philosophe révolutionnaire » ; nous comprenons peu à peu la structuration de l’ esprit de Heidegger, façonné par le Heimat , les velléités chrétiennes puis les doutes et la réaction antimoderniste à l’épreuve des conséquences de la première guerre mondiale et de ses orages d’acier. Peu à peu aussi est montrée l’importance de son épouse Elfride qui l’introduit dans un cadre différent, bourgeois et citadin et qui sera plus tard une farouche antisémite.
Cependant Heidegger restait encore apolitique bien que commençant à se poser des questions sur l’emprise du judaïsme comme la majeure partie de la population à cette époque. Au plan philosophique il se voulait révolutionnaire et revisitait Husserl dans la perspective d’une phénoménologie radicale. Parallèlement il se lia à Karl Jaspers et dans l’exercice de ses fonctions il commença à se constituer un sérail d’étudiants captifs et d’étudiantes enamourées dont plusieurs devinrent ses maîtresses. Il rompit définitivement avec l’Église catholique et chercha une âme dans l’enracinement.
Nommé à Fribourg en remplacement de Husserl en partie grâce à la publication de son « Sein und Zeit » et du concept de Dasein (résumé clair p.193 à 198) il attira peu à peu d’autres étudiants qui le continuèrent (Marcuse, Lévinas…). Parallèlement il se réfugiait de plus en plus souvent à Todtnauberg et s’imprégnait de l’idéologie Völkisch qui commençait à régner, Elfride en étant le vecteur. La thématique “Sang et sol” devint prégnante dans sa pensée de même que la nécessité de la détresse comme catalyseur du vécu. Les événements des années 20 montraient que la destinée de chacun devait s’instaurer dans une histoire collective et non dans des références à des droits d’un homme abstrait. En Italie le fascisme avait son intellectuel Giovanni Gentile qui incarnait des notions proches. Parallèlement influencé par le jeune Nietzsche, Heidegger voyait les Allemands comme les continuateurs des Grecs.
Puis Heidegger fut nommé à Berlin. Il refusa le poste et resta à Fribourg. En 1932 commença la rumeur qu’il « ne fréquentait plus que des nationaux socialistes » et s’était converti au nazisme, comme d’ailleurs pléthore d’intellectuels allemands. Il se laissa fasciner par l’aura du führer et les fastes de la propagande. La peur du communisme était un des facteurs d’adhésion ainsi que la crainte du “complot juif mondial”, inspiré des Protocoles des sages de Sion. Une dictature violente était une voie demandée par de nombreux intellectuels de première importance. Il reprochait cependant aux nazis leur inculture et le mépris pour les choses de l’esprit.
Le 21 avril 1933 il fut élu recteur de l’université de Fribourg et fut prié de mettre en œuvre la nazification de l’université. Le 3 mai il prit sa carte du parti. Dans le livre ces deux premières parties occupent 270 pages et elles sont rédigées de manière extrêmement passionnante et pondérée.
La troisième partie « Le nazisme, destin de l’Allemagne ? » couvre en 140 pages la période de 1933 à 1945 et dissèque les pensées et activités d’un führer recteur qui semble vivre et penser totalement en harmonie avec les thèmes développés par l’idéologie nazie voire en être à l’avant-garde. Cependant l’auteur reste factuel et encore peu dans l’interprétation.
La quatrième partie « Un nazi promis au silence 1945 ? » se compose d’une biographie proprement dite des années suivant la Deuxième Guerre mondiale dans une Allemagne détruite puis reconstruite et dénazifiée et d’une interrogation sur l’héritage de Heidegger à partir des débats cinglants qui eurent lieu récemment sur la portée de la philosophie du « plus grand philosophe du vingtième siècle » en laissant une grande part aux détracteurs de Heidegger (Guillaume Payen a reçu une bourse pour ses travaux sur Heidegger par la fondation pour la mémoire de la Shoah) pour lesquels cette philosophie serait “nauséabonde” et peu digne d’être diffusée.
Les arguments sont souvent des arguments posés hors contexte historique car posés après coup.
A part des interrogations quant aux pratiques de certains auteurs labellisés (Emmanuel Faye) ou acteurs de journaux politiquement corrects j’ai fortement apprécié cette bibliographie extrêmement rigoureuse détaillée et claire et ai essayé, sans toujours aucun résultat, de me replonger dans l’œuvre de Heidegger. Si un fin connaisseur lisant ces quelques lignes pouvait m’expliquer un peu « Sein und Zeit » je suis prêt à prendre des cours particuliers…
Eric Abgrall
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Photo : DR
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