La vie de Pierre Laval restera une des grandes énigmes du vingtième siècle : Comment ce brillant socialiste a-t-il pu verser dans la Collaboration politique avec le National-socialisme? Comment a-t-il pu mettre en place les lois iniques contre les Français de confession juive?
Pour tenter d'y répondre, il convient de s’intéresser à son parcours politique d'avant Guerre.
Pierre Laval, commença sa carrière politique comme député socialiste de la SFIO (section française de l'internationale ouvrière) de 1914 à 1919 et la continuera comme maire socialiste d’Aubervilliers et sénateur sous l’étiquette « Socialistes indépendants » jusqu’en 1940 ; Il fut fait ministre par le Cartel des gauches en avril 1925, devint à quatre reprises président du Conseil de la Troisième République à la demande du radical Gaston Doumergue et fut dix fois ministre.
C’est même le plus brillant de sa génération. Il fut : l’un des trois plus jeunes président du Conseil ; le premier homme politique français à être reçu en triomphe à New York et à Washington ; le premier chef de gouvernement à être désigné par le magazine Times « Homme de l’année » en 1931 ; le premier au monde (avant Roosevelt) à constituer un brain-trust de techniciens talentueux dont la moitié le suivront à Vichy comme René Bousquet.
Son mentor, le socialiste et prix Nobel de la paix 1929 Aristide Briand, lui légua son pacifisme dogmatique et son projet d’union fédérale européenne. Cela le conduira vers la collaboration avec le national-socialisme, première étape, selon lui, pour créer après la signature de la paix, cette « Europe des peuples » qui garantirait la paix sur tout le continent.
Ses actions comme chef du gouvernement du Régime de Vichy lui valent largement d'être inscrit sur le Mur des collabos
Né dans le Puy de Dôme à Chateldon le 28 juin 1883 & mort à la prison de Fresnes le 15 octobre 1945 (condamné à mort et exécuté alors qu’il était mourant après une tentative de suicide)
Pierre Laval débutât sa carrière politique à 31 ans comme député socialiste d'Aubervilliers. Il s'inscrira dans le groupe SFIO et siègera donc à l'extrême Gauche de 1914 à 1919.
Durant le Grande Guerre, en totale opposition avec un autre figure du socialisme, Georges Clemenceau qui prônait la fermeté et la défaite totale de l’Allemagne, il sera le seul élu à soutenir les "Pélerins de Kienthal".
En 1916, l'Internationale socialiste s'est réuni en Suisse à Kienthal. Trois députés français y ont participé (Pierre Brizon, Alexandre Blanc et Jean-Pierre Raffin-Dugens). L'objectif de la conférence est de dénoncer la guerre et en appelle à une paix sans indemnités et sans annexions. Suite à l'intervention de Lénine, la conférence opte pour une transformation de la "Guerre bourgeoise" en "Guerre révolutionnaire" au moyen de grèves et de sabotages.
Après la Grade Guerre, comme une très grande majorité des élus socialistes, il quittera la SFIO pour siéger dans le groupe des Socialistes indépendants, refusant le dikta de l'Internationale socialiste qui interdit à ses membres de participer à des "Gouvernements bourgeois".
Maire d’Aubervilliers de 1923 à 1940, il fut réélu sous l’étiquette Socialiste indépendant à la députation de 1924 à 1927. Il passa ensuite au sénat qu’il fréquenta de 1927 à 1940 sous la même étiquette.
Pierre Laval fut président du Conseil pour la première fois à quarante huit ans. C’est un cas exceptionnel dans une Troisième République parlementaire où le président du Conseil était choisi par le Président de la République parmi les parlementaires de plus de cinquante ans ! Dans la liste des plus jeunes présidents du Conseil, Pierre Laval est précédé par Charles-Dupuy (4 avril 1893) et Armand Fallières (29 janvier 1883) nommés tout les deux à 41 ans.
Pierre Laval fut choisi par les présidents de la république Gaston Doumergue puis Paul Doumer pour former trois gouvernements successifs. Il fut Président du Conseil et ministre de l’Intérieur du 27 janvier 1931 au 13 janvier 1932 (avec deux gouvernements formés), puis Président du Conseil et ministre des affaires étrangères du 14 janvier au 20 février 1932.
Quelques années plus tard, Albert Lebrun le rappela pour former son quatrième gouvernement. Il demeurera président du Conseil et ministre des affaires étrangères du 7 juin 1935 au 24 janvier 1936 presque 8 mois alors que la menace du national-socialisme sur l’Europe était déjà bien présente.
Grâce à sa notoriété (notamment pour avoir été ministre des affaires étrangères où il cultiva le pacifisme de son mentor, Aristide Briand) et alors qu’il assumait son premier poste de président du Conseil depuis huit mois et qu’il avait déjà été cinq fois ministre, Pierre Laval fut reçu triomphalement à New York et à Washington durant les dix premiers jours d’octobre 1931. Il eut droit à tous les honneurs : il réussit avec simplicité et brio sa conférence de presse par questions-réponses (coutume inconnue en Europe) ; il se prêta à l’exercice des bains de foule et des autographes. Il eut même droit, en présence de Philippe Pétain, le « Sauveur de Verdun », à la ticket-parade dans les rues de New York avec sa pluie de confettis. Il reçut les éloges de la presse : un magazine titra sur la « french supremacy ».
Le magazine Times lui décerna la palme d’homme de l’année et lui consacra sa une. Une première pour un Français et une distinction unique pour un chef de gouvernement. Il faudra attendre Charles De Gaule, comme locataire de l’Elysée, pour qu’un second chef du gouvernement reçoive cette distinction.
Pierre Laval tirera de ce voyage triomphal une confiance immodérée en son mérite.
Le palmarès politique de Pierre Laval est impressionnant : durant les cinq années précédent son voyage aux Etats-Unis, il occupa cinq portefeuilles ministériels différents ; Il sera au total dix fois ministre ; quatre fois président du Conseil. Sous le régime de Vichy, il sera chef du gouvernement et même chef du gouvernement « Gréviste » de Sigmaringen !
Participation gouvernementale de Pierre Laval sous la 3e république :
cinq fois ministre dans des gouvernements de gauche
Gouvernement - Date - Poste ministériel
- Painlevé II - 17 avril 1925 - Travaux publics
- Briand VIII - 28 novembre 1925 - Ss présidence du Conseil et affaires étrangères
- Briand IX - 9 mars 1926 - Justice
- Briand X - 23 juin 1926 - Justice
- Tardieu II - 2 mars 1930 - Travail et prévoyance sociale
1ère présidence du Conseil 27 janvier 1931, suivie immédiatement des 2e et 3e
Six fois ministre dans des gouvernements de gauche ou Radical :
- Tardieu III - 20 février 193 - Travail et prévoyance sociale
- Tardieu IV - 10 mai 1932 - Travail et prévoyance sociale
- Doumergue II - 9 février 1934 - Colonies
- Doumergue II - 13 octobre 1934 - Affaires étrangères
- Flandin - 8 novembre 1934 - Affaires étrangères
- Bouisson - 1er juin 1935 - Affaires étrangères
4e présidence du Conseil 7 juin 1935 au 24 janvier 1936
A nouveau ministre du dernier gouvernement de la Troisième république :
Pétain - 23 juin 1940 - Vice-présidence du Conseil
Participation gouvernementale de Pierre Laval sous le régime de Vichy :
Date - Poste ministériel
- 12 juillet au 6 septembre 1940 - Ministre secrétaire d’état & vice-président du Conseil
- 6 septembre au 13 décembre 1940 - Vice-président du Conseil chargé de l’information et de la coordination des différents ministères
- 18 avril 1942 au 17 août 1944 - Chef du gouvernement de l’Etat français, ministre des affaires étrangères, de l’intérieur et de la propagande (jusque fin 1943)
Créé en 1924 pour constituer une opposition au Bloc national rassemblant modérés et conservateurs, le Cartel des gauches était formé exclusivement de partis de gauche : la gauche radicale (radicaux et radicaux-socialistes) ; les républicains socialistes ; les socialistes de la SFIO.
Cette coalition remporta les élections législatives de mai 1924 et eut pour conséquence immédiate la démission du président de la république Millerand. Le Cartel des gauches le remplaça par un radical : Gaston Doumergue.
Les trois premières participations gouvernementales de Pierre Laval eurent lieu durant le Cartel des gauches (13e législature). C’est le président du parti républicain socialiste, Paul Painlevé, qui l’appela comme ministre des travaux publics alors qu’il venait d’être élu député socialiste indépendant dans la coalition du Cartel des gauches. La nécessité de constituer une majorité parlementaire avait fait oublier à Paul Painlevé que Pierre Laval avait prit la tête des opposants, le 17 octobre 1917, afin de renverser son premier gouvernement. Il représentait les socialistes indépendants !
Mais c’est Aristide Briand qui fut son mentor et qui lui permit d’accéder à des postes clés. Flirtant avec l’anarcho-syndicalisme, Aristide Briand milita dans les rangs socialistes en étant attaché à la prise de pouvoir par l’insurrection et la guerre civile (sur le modèle du marxisme léninisme). En 1901, il adhèrera au parti socialiste français fondé par Jean Jaurès et en deviendra le secrétaire général la même année. Mais rapidement, il prendra ses distances refusant les concessions faites par Jean Jaurès au courant de Jules Guesde afin de maintenir l’unité des socialistes (opposition à une participation des socialistes à un ministère bourgeois). Il sera exclu du parti socialiste pour avoir accepté de participer au gouvernement Sarrien, le 1er mars 1906, en tant que ministre de l’instruction publique, des Beaux-Arts et des cultes. Son action se situera ensuite en dehors du parti socialiste mais parmi les socialistes indépendants.
Aristide Briand fera de Pierre Laval son sous-secrétaire d’état à la présidence du Conseil et aux affaires étrangères dans son 8e gouvernement formé le 28 novembre 1925. Cela lui permit d’avoir une vue d’ensemble de l’action gouvernementale et surtout de se former aux affaires étrangères. Il fera encore partie des deux autres gouvernements Briand qui se sont succédés comme ministre de la justice.
L’échec de la politique financière des gouvernements du Cartel des gauches conduisit à la formation d’un gouvernement d’union nationale avec Raymond Poincaré (du 23 juillet 1926 au 11 novembre 1928). Pierre Laval n’y participa pas, Paul Painlevé et Aristide Briand représentant les socialistes indépendants dans l’Union nationale.
Dans le courant d’avril 1928, une nouvelle élection législative permit de constituer une majorité ne comportant ni droite ni communiste (14e législature). Pendant cette législature, l’assemblée atteignit un record de dispersion avec quinze groupes parlementaires pour cinq partis ! Raymond Poincaré obtiendra la confiance des parlementaires et formera un nouveau gouvernement, très semblable au précédent, qui finira de rétablir la situation financière de la France par une dévaluation du franc importante (le franc de 1928 vaut alors un cinquième de celui de 1914 !). Ce gouvernement tombera par le retrait des ministres radicaux à la demande de leur parti. Ce dernier veut rendre à nouveau possible une union des gauches pour les prochaines législatives. Le ministère d’union nationale a vécu malgré l’assainissement financier de la Nation.
C’est un homme inclassable croyant à la méritocratie et partisan d’un exécutif fort (« cette conception d’un exécutif actif et personnalisé heurtait la tradition républicaine qui faisait du gouvernement un simple comité parlementaire délégué et du président du Conseil un simple courtier politique sous haute surveillance parlementaire ») qui proposera un nouveau poste de ministre à Pierre Laval : André Tardieu, le nouveau chef de file du centre droit. Ce dernier veut dépasser les vieux clivages politiques en faisant appel aux meilleures idées de chaque camp afin de créer une dynamique de progrès basée sur l’initiative individuelle.
Dans ce second gouvernement Tardieu formé le 2 mars 1930, qui va de gauche (sans les communistes considérés comme anti-français) à droite et avec des radicaux qui ont décidé de revenir dans les gouvernements, Pierre Laval hérite du ministère du travail et de la prévoyance.
Le nouveau ministre rendra effectif les assurances sociales instituées en 1928 à l’heure où l’horizon économique s’assombrit. Le ministère tombera le 13 décembre 1930 : le sénat, dominé par les radicaux, exploitera le scandale de la banque Oustric dans lequel furent impliqués trois ministres dont le ministre des finances, Raoul Péret.
Pierre Laval héritera de son passage dans des gouvernements Tardieu d’un besoin de rendre un rôle plus important au président du Conseil.
Après l’affaire Oustric qui conduisit à la démission du gouvernement Tardieu le 13 décembre 1930, Gaston Doumergue appela Théodore Steeg pour former un gouvernement. Au moment où il accède à la présidence du Conseil, ce radical-socialiste a une longue carrière derrière lui : plusieurs fois ministres de l’instruction publique, de la justice et de l’intérieur ; gouverneur général de l’Algérie (de 1921 à 1925) ; résident au Maroc (de 1925 à 1928). Son gouvernement modéré à dominante centre-gauche obtient la majorité par sept voix d’avance. Il finit par perdre la majorité suite à la défection des modérés ulcérés par le soutien que lui accordent les socialistes. Son gouvernement aura duré un peu plus d’un mois.
Parmi les personnalités possibles pour succéder à Théodore Steeg, Gaston Doumergue voit son choix limité : André Tardieu représente le centre droit et est encore marqué par l’affaire Oustric ; Aristide Briand représente les socialistes indépendants mais est malade et âgé de 69 ans (il mourra le 7 mars 1932) ; malade, Raymond Poincaré refusera l’offre de Gaston Doumergue de former le nouveau gouvernement fin 1930 (il est âgé de 71 ans et mourra le 15 mars 1934).
Gaston Doumergue décide alors de faire appel à un jeune socialiste indépendant pour former le nouveau gouvernement : Pierre Laval.
Alors que la crise ravage les pays neufs et commence à atteindre l’Europe suite « Jeudi noir » à Wall street (24 octobre 1924), la France est prospère : la Banque de France possède presque cinq mille tonnes d’or et le taux de chômage est au plus bas avec 12 000 chômeurs recensés.
L’armée française passe pour être la plus puissante au monde, sa diplomatie est la plus influente et son empire colonial s’apprête à célébrer sa grande exposition coloniale à Paris en 1930 – 1931.
Le 27 janvier 1931, Pierre Laval accède donc à sa 1ère présidence du Conseil à 48 ans. Il s’installe à Matignon après une investiture très confortable : 372 voix contre 258 (114 voix d’écart). Il enchaînera deux autres présidences à la demande du Radical Paul Doumer qui a succédé à Gaston Doumergue.
Sur le plan intérieur, l’action du nouveau gouvernement sera de maintenir la prospérité du pays et de « Faire le bonheur des Français » comme le dit Pierre Laval.
- 1e présidence du Conseil et ministre de l’intérieur - 27 janvier 1931 au 13 juin 1931
- 2e présidence du Conseil et ministre de l’intérieur - 13 juin 1931 au 14 janvier 1932
- 3e présidence du Conseil et ministre des affaires étrangères - 14 janvier 1932 au 20 février 1932
Le troisième gouvernement de Pierre Laval tombera pour une question intérieure : à la veille des élections législatives de 1932, Pierre Laval voulu modifier la loi électorale pour passer à un scrutin uninominal à un tour. Ce n’était pas du goût des parlementaires qui préféraient un scrutin de liste à deux tours. Il sera remplacé par André Tardieu.
En bon disciple de l’ancien prix Nobel de la paix, Aristide Briand, Pierre Laval voudra protéger le pays des menaces extérieures avec un pacifisme débridé (et malheureusement sans effet). Dès février 1931, il se transforme en « Ouvrier de la paix » : il vole au secours des républicains allemands menacés par le National-socialisme ; accepte le moratoire Hoover sur les réparations et les dettes de guerre en prétextant que la France est assez riche ; soutien en septembre la Livre sterling qui est au plus bas. Il propose à chaque nation de collaborer ! Déjà !
Dès sa première présidence, Pierre Laval sut s’entourer de techniciens : deux ans avant le président Roosevelt, Il possédait son « Brain-trust ». Dés février, il recruta les plus brillants de ce qu’on appela les « Techniciens » chargés de rédiger des discours, des notes financières ou des rapports diplomatiques sur les grands partenaires de la France. Ainsi, dans la liste de ses collaborateurs on note : André François-Poncet ; Claude-Joseph Gignoux ; Léon Noël ; René Bouffet ; Jean Cathala ; Jacques Rueff ; Georges Hilaire ou encore René Bousquet. Au moins la moitié le suivra dans son gouvernement de Vichy en 1942.
Pierre Laval encore six fois ministre
Après son départ de la présidence du Conseil, Pierre Laval fut encore six fois ministre : Il redevint ministre du Travail et de la prévoyance sociale dans deux ministères Tardieu successifs pendant deux ans (20 février 1932 au 9 février 1934), fit un bref passage comme ministre des colonies dans le second gouvernement Doumergue (9 février au 13 octobre 1934), avant de devenir ministre des affaires étrangères dans les gouvernements successifs de Doumergue, Flandin et Bouisson (13 octobre 1934 au 7 juin 1935).
Tardieu III - 20 février 1932 - Travail et prévoyance sociale
Tardieu IV - 10 mai 1932 - Travail et prévoyance sociale
Doumergue II - 9 février 1934 - Colonies
Doumergue II - 13 octobre 1934 - Affaires étrangères
Flandin - 8 novembre 1934 - Affaires étrangères
Bouisson - 1er juin 1935 - Affaires étrangères
C’est à un socialiste indépendant, par ailleurs maire d’Aubagne à partir de 1908, qu’Albert Lebrun confie le soin de former le gouvernement qui a précédé le 4e gouvernement Laval. Fernand Bouisson débuta sa carrière comme socialiste indépendant, puis dès son élection de député d’Aubagne en 1908 adhérera à la SFIO avec qui il entretiendra des rapports conflictuels avant de la quitter en 1934. Elu à la présidence de la chambre des députés en 1924, il marquera son poste en le transformant, à l’inverse de ses prédécesseurs, en une fonction technique de véritable arbitrage. Il en tirera une image d’homme conciliant reconnu par tous les partis politiques et d’une certaine bonhomie (certains lui reprochent son affairisme et son inculture). Chargé de former une première fois le gouvernement au lendemain des manifestations du 6 février 1934, il refuse l’offre. Pressé par Albert Lebrun à la suite de la démission du gouvernement Flandin, il accepte le 1er juin 1935. Il forme alors un gouvernement d’union nationale allant des radicaux aux droites républicaines en y intégrant le « Sauveur de Verdun » (Philippe Pétain) et les principaux chefs parlementaires. Dès le 4 juin, il sollicite les pleins pouvoirs financiers qui lui sont refusés. Il démissionne le 7 juin 1935 pour céder la place à Pierre Laval.
Quand Pierre Laval revient à la tête du gouvernement il n’a pas perdu ses opinions qui sont devenues des idées fixes. Comme ses prédécesseurs Clemenceau et Poincaré, il est persuadé être le seul à sauver la situation économique désastreuse de la France (qui frise la banqueroute) et à éloigner les menaces allemandes. Il est conforté dans ses idées par un sondage du « Petit journal » fait en novembre 1934 qui le donne second derrière Philippe Pétain pour être choisi comme éventuel « Dictateur républicain ».
Il fait appel à l’union nationale ce qui lui donne une majorité conséquente de 329 voix contre 119. Quand il demandera les pleins pouvoirs, il aura encore une large majorité : 324 contre 160 ! Son ministère d’union nationale est patronné par Edouard Herriot (président du parti radical), Pierre-Etienne Flandin (chef de l’Alliance républicaine) et Louis Marin (qui sera hostile à l’armistice de juin 1940 avant de rejoindre Londres), mais Pierre Laval met ses hommes de confiance aux postes clés : Marcel Régnier aux finances ; Pierre Cathala à l’agriculture et Joseph Paganon à l’intérieur.
Pierre Laval revient à la tête de l’exécutif le 7 juin 1935, succédant au très court ministère Bouisson (1er juin au 7 juin 1935), appelé par Albert Lebrun (gauche démocratique). Il prit en plus le portefeuille des affaires étrangères qu’il possédait déjà depuis le 13 octobre 1934. Il dirigera la politique étrangère de la France jusqu’au 24 janvier 1936.
Dès octobre, il est confronté à l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini alors qu’il avait signé avec lui, quelques mois plus tôt, le traité de Stresa qui condamnait la révision unilatérale par l’Allemagne des traités de paix ; traité signé par la France, la Grande-Bretagne et l’Italie le 14 avril 1935 (on parle aussi d’accord de Stresa). Celui qui était apparu alors comme le défenseur de l’Autriche et de l’Europe centrale, ne sut pas garantir les traités de Versailles et de Trianon. Alors qu’il affirmait : « Je veux la paix et je ferai tout pour la paix » fut incapable de couper court à un coup de force colonial. Bien pire, avec le Britannique Samuel Hoare (le très zélateur ministre des affaires étrangères partisan de la politique de l’apaisement), ils établiront un plan secret de partage de l’Ethiopie qui prévoyait de céder deux tiers du royaume à l’Italie. L’Ethiopie retrouvera sa liberté et son empereur le 20 mai 1941, libérée par les Anglais.
Pierre Laval ne put pas empêcher la remilitarisation de la Rhénanie par l’Allemagne qui se fit un mois après son départ du gouvernement. Ce fut un nouvel accro de plus aux traités de paix !
L’inertie de la France et de la Grande-Bretagne jusqu’à la déclaration de guerre est directement responsable de l’entrée en guerre et de l’humiliante défaite qui s’en suivit. Alors que Pierre Laval était aux commandes de la diplomatie française, le parti national-socialiste des ouvriers allemands aurait pu être stoppé grâce à des positions fermes quant aux actions bellicistes de l’Allemagne. Une intervention militaire victorieuse aurait été possible et souhaitable au moment de la remilitarisation de la Rhénanie. Le pacifisme apprit à l’école d’Aristide Briand et cette volonté de faire « l’Europe des peuples » à tout prix en auront décidé autrement ! La politique étrangère fut un échec qui a eu des conséquences majeures sur l’indépendance de la France.
La politique économique et financière du quatrième gouvernement Laval resta dans la mémoire des Français longtemps ! Le gouvernement poursuivit une politique de déflation brutale (comme l’avait fait l’Allemagne en décembre 1931). La baisse autoritaire des salaires des fonctionnaires les jette dans la rue. La manifestation fait deux morts et cinquante blessés !
La production industrielle continue une petite croissance entamée depuis le début de l’année 1935 pour revenir à son niveau de crise à la mie 1936, après un décrochage à la fin du premier trimestre 1936. Les prix de gros, après avoir chuté à partir de la mie 1929, repartent fortement à la hausse à partir du premier trimestre 1935. Ils continueront leur augmentation vertigineuse pour revenir à leur niveau de 1926 en 1939. Le nombre de chômeurs aidés qui avait subit une petite baisse temporaire d’un an (de mi 1934 à mi 1935) repart à la hausse jusqu’au début du dernier trimestre de 1935. Cette baisse continue s’achèvera au premier trimestre 1937. Mais le niveau de chômeurs secourus restera élevé (supérieur à 300 000) pour enfin décroître dès le début de 1939.
La brutale politique déflationniste du gouvernement Laval relança faiblement et temporairement la production industrielle, avec un temps de retard permit de faire baisser le taux de chômage jusque début 1937 (tout en le maintenant largement au dessus des 300 000 personnes), mais généra une inflation importante qui fut d’autant mal perçu que les salaires avaient été baissés autoritairement dans la fonction publique. Elle n’atteint pas les effets escomptés : relance durable de l’économie permettant de gommer l’effet de l’inflation ! Elle ne devait mécontenter nécessairement les salariés et ceux qui possédaient des capitaux !
En réaction à la politique du gouvernement, la gauche désunie depuis l’échec du Cartel des gauches s’était à nouveau rassemblée en formant le Front populaire en 1935. Pierre Laval fit tant de mécontents que le Front populaire gagna les élections législatives de 1936.
Auparavant, en décembre 1935, les radicaux le lâcheront ; il sera contraint à la démission. Le 24 janvier 1936, il sera remplacé par Albert Sarraut, digne représentant du radical-socialisme Franc-maçon du sud-ouest. Le président Albert Lebrun compte sur son expérience de « vieux routier de la politique, bon manœuvrier de couloirs et orateur chaleureux » ! Ce gouvernement faible, en attente du résultat des élections législatives, regardera la remilitarisation de la Rhénanie par l’Allemagne.
Très impopulaire, Pierre Laval ne revint pas au gouvernement avant la déclaration de guerre avec l’Allemagne. Le bilan de son quatrième ministère fut un échec cuisant à cause de sa politique déflationniste et un bilan en trompe l’œil quant aux relations diplomatiques avec l’Allemagne où il ne sut pas maîtriser la volonté belliqueuse du National-socialisme à cause de ses idées pacifistes acquises auprès d’Aristide Briand.
A la faveur de la percée allemande de mai 1940, Pierre Laval revient au pouvoir dans le ministère formé par Philippe Pétain qu’une majorité de la chambre des députés du Front populaire est allé cherché comme sauveur de la nation !
Il y obtient la vice-présidence sans aucun ministère et considère qu’il est le véritable chef du gouvernement. Dans les couloirs du casino de Vichy, Pierre Laval est persuadé de mener sa propre politique. Alors qu’il apprend l’interdiction du Populaire, Léon Blum en reçoit l’aveu de la bouche de Pierre Laval : « aucun journal ne paraîtra s’il ne manifeste la moindre réticence à l’égard de ma politique. Il faut me suivre absolument, sans réserve, et je ne me laisserai pas duper ».
Un de ses leitmotivs scandé à maintes reprises (novembre 1935, juillet 1936, juillet 1943, novembre 1943) est repris mot pour mot : « J’ai parfois été hué par les foules, mais j’ai toujours eu le sentiment que c’était au moment où je remplissait le mieux mon devoir… que j’étais le moins bien compris ».
Pierre Laval effectuera alors l’un « Des plus beaux retournements politique que l’histoire ait connus » (selon le docteur Ménétrel, secrétaire particulier de Pétain).
Pierre Laval reprenant ses idées fortes développées quand il était au pouvoir : pacifisme et collaboration entre tous les peuples d’Europe en vu de créer un espace européen.
Après le 11 juillet 1940 (début de l’Etat français le 12 juillet 1940), il est à la fois le dauphin d’un maréchal Pétain très âgé quand il est à Vichy, et quand il est en tournée en zone occupée, il redevient le chef du gouvernement de 1935 avec les responsabilités des affaires étrangères.
Alors que Philippe Pétain dirige le gouvernement d’une main de fer et qu’il se trouve lors des conseils des ministres dans une position de simple exécutant, Pierre Laval à l’obsession de forcer la paix par une initiative personnelle digne d’un chef du gouvernement en exercice.
La mise au point de l’entrevue de Montoire lui en donne l’occasion : voyages diplomatiques à Paris ; rencontre en tête à tête avec Adolf Hitler le 22 octobre ; assurance que la poignée de main entre Hitler et Pétain aura bien lieu et le 30 octobre engagement ferme de la France qu’une politique de collaboration sera mise en place. L’entrevue de Montoire pourra alors se dérouler pour officialiser tout ça ! Pierre Laval aura pu mettre en place ses idées fortes : la recherche de la paix à tout prix et la création d’un espace européen de collaboration entre les peuples ! Sa réputation terrifiante de tacticien aura encore fait ses effets. L’entrevue de Montoire aura bien lieu comme convenu le 24 octobre 1940. Toutefois Philippe Pétain refusera une alliance contre l’Angleterre et la signature d’une paix séparée.
Contrairement à ce que beaucoup croient, en juin 1940 fut signé l’armistice qui mettait fin aux combats entre la France et l’Allemagne et non la paix qui sera signée après la défaite allemande.