Le plus grand mouvement de contestation depuis la Commune de Paris que fut le 6 février 1934 a été précédé par un mois d’agitation de plus en plus violente. Ce mouvement de contestation qui a précédé le 6 février fut largement organisé par la Droite; le Parti communiste ne manquera d’y participer, se réclamant des soviets et chantant l’Internationale.
Revivons ces événements durant lesquelles divers mécontentements se coaguleront pour donner cette journée mémorable du 6 février où il n’a jamais été question de renverser la République... comme le prêtant toujours la Gauche!
Au lendemain du suicide Stavisky et pour calmer la rue, Albert Dalimier, le ministre des Colonies directement impliqué dans le scandale démissionne le 9 janvier 1934. Il sera exclus du parti Radical le 13 mars mais ne se démit pas de son mandat de député. Il ne sera toutefois pas réélu en 1936 !
Dans son livre « 6 février », le député Philippe Henriot (Fédération républicaine) donne le ton : «Le 9 janvier, l’Affaire vient d’apparaître avec son cortège de complaisances politiques. Et, bien qu’on ne sache encore que peu de chose, on devine que l’escroquerie n’a été possible que grâce aux appuis que l’escroc a trouvés auprès des pouvoirs publics, auprès de la justice, auprès de la police.
Dès le 9 janvier, à l’appel de L’Action française, des manifestants défilent aux cris de « À bas les voleurs » et « Les députés à la lanterne ». Albert Sarraut (ministre de la Marine et sénateur Radical-socialiste) est pris à partie à la sortie de l’Assemblée Nationale. Il y aura 132 arrestations et 10 policiers blessés.
Le 11 janvier, jour de la rentrée des Chambres et le 12, — ce sont les deux jours où se discutent les premières interpellations, — les protestations dans la rue se font plus denses et plus violentes. Les groupements des Jeunesses Patriotes, de la Solidarité Française, des étudiants, se répandent çà et là, suivis de la visible sympathie de la population, car ils représentent la protestation résolue et légitime des Français contre l’impunité dont on s’obstine à couvrir les coupables.
Des manifestations de plus en plus violentes (kiosques brûlés, bancs arrachés, grilles d’arbres jetées sur la chaussée) se déroulent dans les quartiers centraux de la capitale (les 11, 12, 19, 20, 22, 23, 26, 27 et 28 janvier) principalement à l’initiative de l’Action française (Royaliste de Maurras) puis des jeunesses patriotes (Bonapartiste sans vraiment d’idéologie) faisant en tout 145 blessés chez les policiers, et 1338 arrestations de manifestants.
Communistes et socialistes, contents de la mise en accusation des radicaux rappellent, eux aussi, les scandales précédents et ne réagissent que mollement, bien que le Parti Communiste ait participé aux manifestations dont celle du 27 janvier où ils se réclamaient des Soviets et chantaient l’Internationale.
L’attitude du gouvernement devient une véritable provocation. On a l’impression d’une volonté bien arrêtée d’étouffer coûte que coûte la vérité.
L’agitation politique ne va plus cesser jusqu’au 12 février 1934 avec la grève générale (partout en France) lancée par la Gauche à nouveau unie.
Le 12 janvier 1934, Jean Ybarnegaray (Fédération républicaine) interpelle le gouvernement sur l'escroquerie du conseil municipal de Bayonne. A la demande du président du Conseil, Camille Chautemps, sa proposition de créer une commission d'enquête est repoussée par 372 voix contre 209.
Le Temps écrit : « Ils ont négligé de tâter le pouls de l'opinion et cette négligence peut coûter cher au régime »
"Après mes deux interventions du 18 et du 23, il se cramponne rageusement à un pouvoir qui déjà lui échappe. Puisqu’il a rallié une majorité à l’intérieur pourquoi s’inclinerait-il devant les exigences du dehors ?" écrira Philippe Henriot dans son livre "6 février"
Et de poursuivre : "Personne cependant ne peut plus ignorer que Dalimier a été complaisant, que Raynaldy est en délicatesse avec la justice, qu’André Hesse a demandé des remises pour l’escroc, que Pressard les a ordonnées, que Georges Bonnet a menti, que Camille Chautemps qui fit élire Gaston Bonnaure, a été l’avocat d’un collaborateur de Stavisky.
Qu’importe tout cela : le Gouvernement a la seule chose qui importe pour lui : sa majorité. La Rue n’accepte pas." (Philippe Henriot)
De son côté, André Tardieu, député du Centre républicain et ancien Président du Conseil, publie une liste fantaisiste de parlementaires ayant « touché », qui rappelait les « chéquards » de l'affaire de Panama. Cela ne fait qu’accroître le trouble dans la population !
En 1932, les radicaux au pouvoir paraissent plus que jamais enfoncés dans leur contradiction native : idéologiquement « de gauche », sensibilité renforcée par leur alliance vitale avec les socialistes, ils n’entendent pratiquer qu’une politique économique d’orthodoxie financière – monnaie forte, maîtrise des déficits – qui leur aliène ces mêmes socialistes en même temps qu’une part croissante de l’opinion. Les majorités instables se défont à chaque rivalité de personnes !
Exaspérée par cette instabilité ministérielle chronique – cinq ministères de 1932 à 1934 ! –, une grande partie de la société française s’accorde à dénoncer l’incapacité de ses dirigeants, la crise du régime parlementaire et la nécessité de restaurer un pouvoir fort.
Ce dernier aspect de « restauration d’un pouvoir fort » sera qualifié par la Gauche extrême d’Antiparlementarisme, sous entendant « souhait de voir une dictature s’installer en France » !
Le débat lancé, notamment par André Tardieu au début des années 1930, visait à instituer un régime identique à celui de la Cinquième république et non pas une dictature ! (Pour comprendre ce que fut vraiment l'antiparlementarisme, voir les articles associés). Il faut comprendre que la Gauche (à juste titre) a toujours fait une fixation sur les coups d’état ayant ruinés la République : Robespierre, Bonaparte et Napoléon III.
Le 27 janvier 1934, Camille Chautemps (groupe Républicain radical et Radical-socialiste) donne la démission de son cabinet sans qu'un vote de méfiance ait été émis par le Parlement, préférant se retirer devant l’agitation populaire. Il est remplacé le 31 par le cabinet Edouard Daladier (groupe Républicain radical et Radical-socialiste). Ce sera une dure succession de très courte durée !
Premier effet de ce départ, l’agitation de la rue cesse immédiatement, bien que déçue par l’arrivée d’Edouard Daladier.
Ce même 27 janvier, l’Union nationale des combattants (UNC) décide pour le 4 février une grande manifestation devant la statue de Clemenceau sur les Champs-Élysées pour se rendre place de la Concorde.
Cette manifestation sera ajournée à la demande du Président du Conseil et transmise par le préfet Jean Chiappe qui œuvra à la négociation. « Ainsi tout établit le « préjugé favorable » des braves gens, tout disposés à faire confiance aux hommes de bonne volonté qui leur promettront de travailler à faire la lumière et à rétablir la justice » dira Philippe Henriot dans son livre 6 février.
L’UNC est la principale association d’anciens combattants de l’époque (900 000 adhérents, dont 72 000 en région parisienne). Fondée par Georges Clemenceau et le Père Daniel Brottier (Béatifié le 25 novembre 1984), l’UNC a vocation à accueillir les anciens combattants mais aussi les veuves et orphelins de guerre et demande aux poilus de « Rester unis comme au front ». Elle est à l’origine de toutes les avancées en terme de législation combattante. Elle existe toujours !
En appelant à cette manifestation, L’UNC décidait clairement de prendre part au mouvement de contestation en cours. Comme le dira son président plus tard, le général Lebecq : « … nous manifestions notre dégoût et notre écœurement que, d’un autre côté, nous manifestions contre une majorité Stavisky au parlement français. Nous avions bien le droit de le dire puisqu’à chacun des scrutins, cette majorité s’augmentait…Nous souhaitions le redressement national ».
Cherchant une majorité parlementaire, le premier geste du Président du Conseil fut de renvoyer le préfet Jean Chiappe, bête noire des socialistes.
Cette décision eut un très mauvais effet auprès de la puissante Union Nationale des Combattants qui se sentit trahie par le Président du Conseil auquel elle venait d’accorder sa confiance en renonçant à la manifestation du 4 février.
C'est la goutte d'eau qui fit déborder le vase !