Cet article didactique traite de la constitution de la Troisième République et montre pourquoi l'instabilité gouvernementale en fut sa tare. Quelques rares hommes politiques qui militeront pour une république sur le modèle de celui de la Cinquième République y sont présentés.
En obligeant le premier président de la République, le général Mac-Mahon, à se démettre en 1877, le régime de la Troisième République tourne le dos à un régime présidentiel pour aller vers un régime parlementaire.
Les pouvoirs du président de la République sont amoindris alors que le texte de la constitution, très ambigu, auraient pu faire de lui « Un monarque sans l’hérédité » (René Rémond). Avec l’arrivée au pouvoir de Jules Grévy, second président, s’ouvre l’époque du président qui inaugure les chrysanthèmes !
Il faut y voir, dans cette orientation politique qui divisera, jusqu’en 1958, la classe politique, les mauvais souvenirs des régimes personnels qui ont gouvernés la France : Robespierre et la Terreur ; Napoléon 1er & Napoléon III.
Ainsi, à partir de 1877, la France est dirigée exclusivement par l’Assemblée nationale élue au suffrage universel par un corps électoral exclusivement masculin (le Vote des femmes ne sera acquis qu’en 1945 car la gauche française a toujours craint le vote des femmes très majoritairement catholiques… donc de droite). Le vote censitaire qui réservait le gouvernement de la France à la seule bourgeoisie aisée a disparu avec la seconde république.
Dans la constitution de la Troisième république, l’assemblée nationale désigne à la majorité le Président de la République ; l’élection du président de la République ne se fera au suffrage universel direct qu’en 1962.
Le seul rôle du président de la République est de désigner le président du Conseil.
Il n’est pas obligé de désigner le chef de la majorité parlementaire. Jules Grévy en usera pour ne pas nommer Léon Gambetta à la tête du Conseil à trois reprises. Il créa ainsi un fâcheux précédent : contrairement à ce qui se passe dans un véritable régime parlementaire, il est admis que le chef du gouvernement puisse ne pas être le chef de la majorité parlementaire ou l’homme le plus en vue.
Cela aura des conséquences graves pour la gouvernance de la France. Les ambitions et les rivalités de personnes conduiront à un émiettement des partis politiques : pour accéder au pouvoir exécutif, il ne sera pas nécessaire d’arriver à la tête d’une grande formation politique mais de jouer sur ses réseaux en maniant l’intrigue !
Seconde conséquence : une instabilité gouvernementale chronique. 99 gouvernements éphémères entre celui de Waddington de 1879 et celui de Pétain en 1940 (dernier avant l’Etat français). Le plus bref fut le quatrième gouvernement Ribot (9 au 13 juin 1914). La durée moyenne est de 230 jours.
Il faut un peu tempérer ceci : il y eu une stabilité de certains ministres (Freycinet totalise 10 présences dans un gouvernement entre 1879 et 1893 ce qui est un record) ; plusieurs présidents du Conseil ont formé plusieurs gouvernements (Briand en a dirigé 11 avec un cumul de 2200 jours). Il n’y eut que 45 présidents du Conseil pour 99 gouvernements.
Pour autant, l’affaiblissement du rôle du président de la République ne renforce pas celui du président du Conseil. Ce dernier coordonne l’activité du gouvernement tout en ayant en charge un ministère : les ministres ont ainsi tendance à être des électrons libres.
Il faut attendre une crise grave, l’affaire Dreyfus et la menace que la droite ne revienne au pouvoir, pour qu’un président du Conseil soit installé durablement : Waldeck-Rousseau dirige le Conseil pendant près de trois ans du 22 juin 1899 au 7 juin 1902.
Suivra la « République radicale » qui amènera une certaine stabilité. Mais les démons de la troisièmes République reprendront vie après la chute de Georges Clemenceau : il y aura onze ministères jusqu’au déclenchement de la Grande Guerre.
Plusieurs tentatives seront faites pour faire du président du Conseil le vrai chef du gouvernement. Il faudra attendre un évènement majeur avec 1914. Le 3 août 1914, Viviani devient le premier président du Conseil à ne pas avoir de portefeuille ministériel afin de mieux coordonner l’action du gouvernement. Mais cela n’aura pas de suite immédiate car Clemenceau cumulera son poste avec celui de ministre de la guerre.
Pourtant ce dernier accroîtra le rôle du président du Conseil. A l’époque, la gauche parlera de « Dictature clemenciste » avec Abel Ferry. Il crée un sous-secrétariat à la présidence du Conseil. Ses réunions de cabinet mettent ainsi à l’écart le président de la République. Georges Clemenceau a entre ses mains tous les pouvoirs mais reste sous le contrôle des parlementaires.
L’organisation quasi militaire du pouvoir exécutif et de la production industrielle a permis la victoire totale de 1918 après un début de guerre désastreux. Avec le régime de la terreur de 1792, l’organisation politico-industrielle sera prise en modèle par Lénine pour instaurer et faire perdurer la dictature bolchevique !
Afin de retrouver le pouvoir, le président de la république Raymond Poincaré ne se représentera pas à l’élection de 1920. C’est dire l’affaiblissement de la fonction de président de la république.
Mais ce vrai régime parlementaire, avec son contrôle des députés et son rôle central du président du Conseil, ne survivra pas à la fin du conflit. Les mauvaises habitudes de la Troisième république reviendront avec le poids retrouvé des partis et des parlementaires. A tous les moments, le gouvernement pourra être mis en minorité par un clan ou une coalition de clans souvent hétérogènes (alliance de la droite avec les socialistes révolutionnaires par exemple) et être contraint à la démission.
Ce sera alors la séquence habituelle prévue par la constitution : Choix du président du Conseil par le président de la république ; choix des ministres par le président du Conseil avec son lot d’obligés venant des partis soutenant le nouveau gouvernement ; présentation du gouvernement devant l’assemblée nationale qui a tout pouvoir pour le récuser.
C’est ainsi que certains gouvernements n’ont duré que quelques jours et que certains pressentis comme président du Conseil ont renoncé ! C’est ainsi que le parti radical contraint Painlevé à la démission en 1925 de son poste de président de la république !
Le gouvernement du « Tigre » aura une influence importante sur le reste de la Troisième république. L’opinion publique gardera en mémoire (surtout à droite) cette période où la France était gouvernée par un président du Conseil volontaire et expérimenté, voire âgé, qui pourrait sauver le pays comme l’a fait Clemenceau en 1917.
Cela explique les nominations de : Raymond Poincaré en 1926 à 66 ans (qui était très expérimenté) ; de Gaston Doumergue en 1932 à 71 ans (qui était bravounet comme on dit à Aigues-Vives) et Philippe Pétain en 1940 à 84 ans. De Gaule aura 68 ans quand il sera l’homme providentiel de 1958 !
De cette période date aussi la possibilité pour le président du Conseil de demander les pleins pouvoirs dans tel ou tel domaine. Cela sera fait à de nombreuses reprises quand de grandes difficultés (notamment économiques) apparaîtront. Quand la chambre des députés attribue les pleins pouvoirs à Philippe Pétain en 1940 ce n’est donc ni une nouveauté ni un fait incongru, mais est une conséquence du fonctionnement de la troisième République.
Cette prédominance du président du Conseil sur ses ministres aura quelques adeptes qui choisiront de ne pas cumuler cette fonction avec celle d’un ministère : Raymond Poincaré de 1928 à 1929 ; Gaston Doumergue 1934 ; Flandin en 1935 et Léon Blum en 1936. Ce dernier avait été le premier à préconiser cette façon de gouverner dès 1918 dans les « Lettres sur la réforme gouvernementale ».
On doit à Flandin l’article 23 de la loi de finance du 24 décembre 1934 qui prend acte de la présence d’un ministre chargé de la présidence du Conseil. Quant à lui, Pierre Laval fait paraître au journal officiel du 2 février 1935 un décret organisant les services de la présidence du Conseil qui s’installe à l’Hôtel de Matignon dans les anciens locaux de l’ambassade d’Autriche-Hongrie.
Autre innovation pour accroître les pouvoirs du président du Conseil : les décrets lois qui permettent de promulguer une loi sans l’aval du parlement. Poincaré, Doumergue, Laval, Chautemps et Daladier (à partir de son troisième gouvernement) en useront. Les parlementaires de gauche parleront de la « Dictature de Daladier ».
Dans les années trente, un courant d’opinion se forme pour demander une réforme des institutions allant vers une plus grande efficacité et une moindre instabilité. Les partis de gauche, arc-boutés sur la sacro-sainte représentation du peuple par le parlement s’y opposeront fermement. Ils refuseront la conception d’un exécutif actif et personnalisé préférant faire du gouvernement un simple comité parlementaire délégué et du président du Conseil un simple courtier politique sous haute surveillance parlementaire.
Tous leurs opposants seront qualifiés d’antiparlementaires et d’extrémistes voulant renverser la république au profit d’une dictature !
Il y aura pourtant de nombreux tenants de la « réforme de l’état » avec le plus inclassable des présidents du Conseil, André Tardieu (un des deux mentors de Pierre Laval avec Aristide Briand) qui était partisan d’un exécutif fort.
Durant les années tragiques de la drôle de Guerre (1938 à 1940), alors qu’un cabinet de personnalité voulant résister à la menace allemande et dirigé par un vrai « Premier ministre » ayant autorité sur ses ministres aurait été nécessaire, tout le contraire se produisit. Les travers de la troisième République revinrent au galop. Daladier, du 10 avril 1938 au 21 mars 1940, dirigea le gouvernement sans autorité sur ses collègues plus comme le président du Conseil du cabinet que comme un Premier ministre. De plus, à partir du 21 mars 1940, les remaniements que fit Paul Reynaud ne seront faits que pour contenter les partis et couvrir tout le spectre politique plutôt que pour trouver les bonnes personnes aptes à défendre la France.
L’humiliante défaite de 1940 conduira une immense majorité des citoyens à rejeter ce régime des partis qui n’a pas su préparer la France à l’affrontement avec l’Allemagne. Le Régime de Vichy et la Résistance seront d’accord pour condamner les travers de la troisième République.
Pendant l’Etat français, le chef du gouvernement est désigné par le terme de Vice-président du Conseil. Dans la constitution proposée par le conseil national le 19 juillet 1941, le chef du gouvernement a pour mission d’assurer sous l’autorité du chef de l’état la coordination des ministres et secrétaires d’état. Joseph Barthélemy avait proposé le terme de « Premier ministre » ou celui de « Principal ministre » qui fait très ancien régime. L’amiral Darlan n’en voulant pas, il ne fut pas employé ; mais dès son départ le terme de Premier ministre réapparaît dans le projet de constitution de 1943.
A la sortie de la seconde guerre mondiale, les constituants de la nouvelle et quatrième république entendent renforcer le rôle du président du Conseil afin d’avoir un gouvernement fort, donc uni, qui tire sa légitimité de la confiance de l’assemblée nationale.
L’article 45 de la constitution de 1946 énonce que le président de la république désigne, après les consultations d’usage, le président du Conseil. Dès que l’assemblée l’a investi de sa confiance, le président de la république peut le nommer. Il peut alors former le gouvernement. Il s’agit de renforcer la légitimité du président du Conseil en le forçant à se présenter seul avec son programme devant l’assemblée. L’article 47 lui confère de larges pouvoirs : « Il assure l’exécution des lois ; nomme à presque tous les emplois civils ou militaires ; dirige les forces armées et coordonne la défense nationale. L’article 49 prévoit qu’il est le seul à pouvoir poser la question de confiance.
Mais le socialiste Paul Ramadier, formé à l’école de la 3e république reprendra les mauvaises habitudes et affaiblira le rôle du président du Conseil. Dûment investit le 21 janvier 1947, il tient à présenter son cabinet devant l’assemblée nationale afin de faire valider ses choix. Le pli était pris et durera pendant toute la quatrième République.
A la veille de la guerre froide et suivant l’esprit de la résistance, comme l’avait fait Charles De Gaule, tous les partis devaient être représentés au gouvernement y compris le PCF qui était clairement un parti dirigé en sous-main par le pouvoir soviétique. Pour affaiblir le ministre communiste de la défense nationale, François Billoux, en lui adjoignant trois ministres d’armes (Terre, air et mer), un MRP, un modéré et un radical.
En créant la « double investiture » Paul Ramadier fait retourner la quatrième République vers le parlementarisme qui a conduit à la débâcle de 1940 et à la collaboration avec l’ennemi. Les ministres qui peuvent se prévaloir directement de la confiance directe de la représentation nationale peuvent ainsi avoir tendance à échapper à son autorité.
De plus, les présidents du Conseil successifs ont eu la fâcheuse tendance à poser la question de confiance pour faire valider par l’assemblée leurs décisions. En cas de majorité courte, ils n’hésitaient pas à quand même démissionner. Or, à partir de 1947, avec l’exclusion des ministres communistes et la fin du tripartisme, il n’y a plus de majorité parlementaire ce qui conduit à de fréquentes crises ministérielles. De janvier 1947 (gouvernement Paul Ramadier) à juin 1958 (fin de la quatrième République avec le gouvernement de Gaule), il y a eu 21 gouvernements. Soit une durée moyenne d’un peu moins de 7 mois ; moitié moins que la durée moyenne des gouvernements de la troisième République pourtant perçue comme instable !
Pour tenter de pallier à cette instabilité, les deux présidents de la république successifs choisissent des personnalités qui ne sont pas des leaders mais des hommes de conciliation. Le remède tue le malade : le chef du gouvernement n’a plus aucune autorité sur ses ministres ; pire il la perd face à l’appareil administratif et militaire.
Le gouvernement de la France, en retournant au parlementarisme, est devenu une pétaudière. Cela rendra le retour de De Gaule, « Sauveur de la France » avec ses 68 ans, facile en 1958.
Source : Premiers ministres et présidents du Conseil depuis 1815