Le 9 février dernier est décédé Robert Badinter, avocat, professeur agrégé et ancien garde des Sceaux. Principale incarnation politique de la pensée judiciaire de gauche, il est indubitable, quoi qu’on en pense, que son héritage est marquant dans l’Histoire contemporaine française.
Avocat, Robert Badinter avait notamment défendu Patrick Henry, tueur d’enfant dont l’affaire eut un retentissement mémorable. Avocat talentueux, il lui évita la peine de mort, avant que celui-ci ne se reconvertisse d’ailleurs en trafiquant de drogue à sa sortie de prison… À l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, il est nommé garde des Sceaux et s’attelle à abolir son ennemie jurée : la peine de mort.
Une peine devenue exceptionnelle
En réalité, la peine de mort paraissait déjà en sursis depuis plusieurs décennies. Ainsi, dès le début du XXe siècle, le Président Armand Fallières s’en était bruyamment déclaré opposé et graciait allègrement tous les condamnés dont il avait à connaître. La fronde anti-peine de mort alla jusqu’à une tentative parlementaire d’abolition en 1908, défendue notamment par le député du Tarn Jean Jaurès.
À partir de la Seconde Guerre mondiale, la peine de mort connaît un sort fluctuant, entre calme retrouvé en métropole et troubles liés à la décolonisation. Elle acquérait néanmoins petit à petit un caractère exceptionnel : de 1968 à 1978, elle était requise en moyenne 15 fois par an, prononcée 3 ou 4 fois et exécutée une fois tous les deux ans. On ne comptait donc que 6 exécutions entre 1970 et 1981. Et si son existence avait certainement un poids symbolique important, son effet dissuasif avait probablement perdu de sa force.
En effet, en 1981, l’abolition de la peine de mort faisait déjà l’unanimité parmi les élites françaises : François Mitterrand avait clairement prévu son abolition dans ses 110 propositions, et de leur côté, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing avaient, l’un comme l’autre, exprimé leurs réticences personnelles. Le premier s’étant défendu d’être « un sanguinaire » et le second ayant qualifié cette peine de « barbare » en 1977.
À chaque fois, donc, c’est la pression de l’opinion publique, encore acquise à la peine capitale, qui pousse le chef de l’État à refuser sa grâce et il n’a tenu qu’à Alain Peyrefitte, ministre de la Justice de Giscard d’Estaing, de repousser l’abolition de la peine de mort avant 1981.
Remplacée… par rien
Lorsque Robert Badinter mène l’abolition de la peine de mort, les motivations avancées dans le débat politique sont variées, mais toutes se rejoignent sur la difficulté à les discuter. Comme le président de la République lorsqu’il devait statuer sur le droit de grâce réclamé par un condamné, c’est l’intime conviction qui fait pencher chaque citoyen d’un côté ou de l’autre.
Mais, en dehors de toute considération philosophique, cette peine si particulière en termes de dissuasion et de neutralisation est-elle remplacée par un autre dispositif qui atteint les mêmes buts tout en évitant le geste considéré barbare qu’est l’usage de la guillotine ? Malheureusement non, et ce sont des innocents qui le payeront.
En 1992, Patrick Tissier, violeur et meurtrier récidiviste, sort de prison. Il s’installe à Perpignan où il cache son passé et se lie d’amitié avec une communauté mormone locale. Quelques mois plus tard, trompant la confiance de son nouvel entourage, il tue d’abord sa voisine de palier, viole une amie puis enlève, viole et tue une petite fille de 8 ans, Karine.
La France n’ayant jamais remplacé la peine de mort ne condamne Patrick Tissier qu’à la prison à perpétuité avec 30 ans de sûreté. Depuis quelques mois, Patrick Tissier est donc libérable.
Lorsque la peine incompressible est compressible
Suite à cette affaire qui révulse l’opinion, la droite au pouvoir pare au plus pressé et Pierre Méhaignerie lance le projet de créer une peine de perpétuité incompressible ou « réelle ». Malheureusement, le droit européen est entre-temps passé par là et la perpétuité réelle est assimilée à un traitement inhumain. Le dispositif de Méhaignerie, quoique volontariste, n’est pas réel dans la mesure où il prévoit une possibilité de sortie après 30 ans de réclusion.
Et à l’heure où le nombre d’homicides en France est repassé au-dessus de la barre des 1.000 en 2023, la seule peine de mort qui subsiste aujourd’hui en France est celle qu’infligent les criminels à leurs victimes…
La peine de mort est une peine qui apparaît indubitablement sévère. Si des raisons philosophiques voire religieuse sont invoquées, son usage a surtout disparu à mesure que la violence disparaissait dans la société française. Maintenant que le processus est inversé, que la décivilisation et la violence progressent à nouveau, ce n’est peut-être qu’une question de temps que cette peine ne revienne.
Pierre-Marie Sève
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