L’Ancien Régime est marqué par l’abondance de fêtes et de réjouissances diverses : 55 dans le diocèse de Paris au début du XVIIe siècle (soit en moyenne une par semaine), en plus des 52 dimanches. Dans le diocèse d’Angers, avant 1693, 63 fêtes jalonnent l’année. Le travail est alors interdit sous peine d’amende.
Il est évidemment impossible de détailler dans cet article toutes les fêtes locales. Certaines de ces fêtes locales sont pour l’anecdote parfois particulièrement pittoresques comme la fête du 22 août à Beaucaire, où est organisée une course des prostituées de la ville et des environs entièrement nues. Par ailleurs, certaines réjouissances sont spontanées comme à Arras en 1434, où il neigea pendant trois mois et trois semaines à compter du 30 novembre, ce qui permis aux habitants de modeler de nombreuses figures avec la neige ; ou à Lille en 1600 où l’on a fait rôtir un porc sur une fontaine gelée en présence d’une cinquantaine de personnes.
I. La calendrier agro-liturgique
A la campagne, les fêtes se répartissent en six grands cycles marquant l’année (Carnaval-Carême, Mai, Saint-Jean, Assomption, Toussaint, les 14 jours autour de Noël).
Le cycle de Noël concentre à lui seul six fêtes obligatoires en 14 jours. Outre la présence au divers offices religieux, un certain nombre de pratiques marquent cette période. Le 24 au soir, dans chaque maison, on allume une énorme bûche placée dans la cheminée par le doyen de la maison, aspergée d’eau bénite avant d’être enflammée. Elle doit brûler entre 3 et 9 jours selon les régions françaises. Toute l’année on conserve précieusement les cendres qui entrent dans la composition de plusieurs remèdes, protègent la maison de la foudre, préservent les blés et purifient l’eau du puits.
Les mois de janvier et de février sont des mois de noces et de carnaval. La Chandeleur, le 2 février, commémore la purification de Jésus au Temple et les cierges sont bénis à l’église ; ceux-ci sont ramenés à l’habitat : ils protégeront la maison et l’étable de l’incendie et de la foudre. Le carnaval dure plusieurs jours et se termine à des dates différentes selon les régions, un mannequin représentant Carnaval ou Carême-Prenant est brûlé pour clôturer cette période de festivité qui concerne essentiellement les jeunes.
Le dimanche des Rameaux ou de Pâques-Fleuries marque le début de la Semaine sainte. Le curé bénit des branches de lauriers et des bouquets de buis, puis, après la grande messe, les fidèles se rendent au cimetière déposer un buis sur chaque tombe. En rentrant chez soi, chaque fidèle fait de même pour les croix sur le chemin, puis au crucifix de la maison. Le dimanche de Pâques marquant la fin du Carême est un grand jour de fête, la viande réapparaissant sur les tables et les cloches sonnant à toute volée. Les beaux jours sont là et déjà les travaux des champs entraînent la fin des veillées d’hiver.
Quarante jours après Pâques vient l’Ascension, puis le dimanche de la Pentecôte dix jours plus tard, et le jeudi de la Fête-Dieu dix jours après la Pentecôte. La Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, est avec Noël et Pâques la plus grande fête de l’année. Cette vieille fête mal christianisée est l’occasion de pratiques plus ou moins bien tolérées par l’Église. On allume des feux sur les hauteurs ou devant la chapelle dédiée au saint qui donnent lieu à des farandoles et sauts par-dessus les flammes. Les cendres du brasier sont ensuite conservées pour protéger du mauvais sort.
Après la Saint-Jean, les gros travaux commencent et les fêtes se font moins nombreuses : l’Assomption le 15 août, la Nativité de la Vierge le 8 septembre, la Saint-Michel le 29 septembre. La Toussaint et la Commémoration des morts les 1er et 2 novembre (fêtes avec prières et processions) marquent l’approche de la période hivernale et terminent l’année.
II. Trois coutumes populaires
La chevauchée de l’âne
La chevauchée de l’âne est une pratique qui consiste à promener sur un âne à travers le village un mari cocu ou battu par sa femme. Parfois, le mari en question peut être remplacé par un mannequin de paille ou un figurant remplissant le rôle. Au XVIe siècle, cette pratique populaire se tient jusque dans les grandes villes, certaines parades pouvant alors se transformer en de véritables spectacles. A Lyon en 1578, ce sont 18 groupes venant chacun d’un quartier différent qui traversent la ville, avec 1500 à 2000 figurants et un mari cocu ou battu par quartier. Cette pratique est alors évidemment parfois mal supportée par le mari humilié qui peut se venger voire tuer l’un des participants (on a au moins un cas pour le XVIIe siècle connu grâce à une lettre de grâce du roi pour le meurtrier). Un parlementaire bordelais du XVIe rachète pour dix sous la course de l’âne méritée par son voisin.
Quand ils passent devant la justice, les participants se justifient en invoquant l’ancienneté de la coutume. Un avocat chargé de la défense de paysans du hameau de Colleignes, près d’Aiguillon-en-Agenais, affirme ainsi devant le parlement de Bordeaux que « la course de l’âne est une coutume générale par toute la France… Il n’y a ni loi, ni ordonnance défendant expressement cette cérémonie, puisque donc la loy civile manque, la peine civile cesse. Encore aujourd’hui, on convie aux jeux d’hasard défendus, aux nastreries et champisseries des laquais par coutume ; la course de taureau à Bazas et mille autres choses peu louables se tolèrent par coutumes ».
Le charivari
Le clerc Antoine Furetière, dans son Dictionnaire universel (paru en 1690), définit le charivari comme un « bruit confus que font des gens du peuple avec des poëles, des bassins et des chaudrons pour faire injure à quelqu’un. On fait des charivaris en dérision des gens d’un âge fort inégal qui se marient. » Dans les textes, la pratique du charivari n’est mentionnée qu’à partir du XIVe siècle sous des dénominations différentes (mais cela ne signifie pas que la coutume ait pris naissance seulement à la fin du Moyen Âge).
La coutume consiste à faire un grand chahut lorsque qu’un mariage paraît anormal. Au bas Moyen Âge, elle ne semble liée qu’aux secondes noces ; durant l’époque moderne, elle se met à concerner presque systématiquement deux époux d’un âge très inégal (quelquefois deux époux originaires de deux régions lointaines ou deux époux de catégories sociales très différentes).
Les textes insistent tous sur le bruit (sifflements, huées, percussions d’objets divers) et certains font allusion au fait que les participants sont déguisés ou masqués. Certains mentionnent des extorsions d’argent ; le charivari ne cesse alors que lorsque les époux se sont « rachetés ». Ainsi, l’ordonnance synodale d’Étienne Le Camus, évêque de Grenoble, condamne en 1687 « ceux qui avec des charivaris… obligent les veufs ou les veuves qui se marient, ou ceux qui contractent hors de la paroisse, de payer quelque contribution ». Les autorités civiles et l’Église répètent évidemment leurs condamnations à l’égard du charivari, considéré comme une atteinte à la sainteté du mariage. Cette pratique populaire, malgré la réitération des interdictions, perdure néanmoins jusqu’à la fin du XIXe siècle.
La mise à mort fictive d’un bouc-émissaire
La scène de mise à mort d’un bouc-émissaire la plus connue est celle de Carnaval, le mercredi des Cendres. Mais ce supplice fictif, qui a traversé les siècles, est loin d’être le seul sous l’Ancien Régime. De nombreux autres coexistent selon des variantes régionales. Dans les Pyrénées, on met à mort un ours joué par un jeune homme déguisé avec une vraie peau. Cet ours était accusé d’avoir enlevé une jeune fille, la Rosetta. A Metz, le Graouilly, un dragon de carton est promené dans les rues et flagellé par les enfants. A Limoges, chaque 27 août, une effigie représentant Gauthier (personnage ayant réellement existé : bourgeois ayant en 1426 tenté d’ouvrir une porte de la ville aux Anglais, acquis à leur cause) est baladé dans la ville et hué par les Limougeaux aux cris de « maudit Gauthier, maudit traître ». A Lille, c’est le « chevalier rouge », obscur criminel, qui est présenté chaque année à la foule, expiant un crime atroce.
Sources :
BERCÉ, Yves-Marie. Fête et révolte. Des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle. Hachette, 1994.
LEBRUN, François. Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime. Seuil, 2001.
MUCHEMBLED, Robert. Culture populaire et culture des élites dans la France moderne (XVe-XVIIIe siècle). Flammarion, 1991.