Par Antoine de Lacoste
La Hongrie est, à l’origine, le pays des Magyars. Ce peuple, venu des steppes d’Asie centrale, n’était pas turcoman comme tant d’autres mais finno-ougrien. Cela donne une grande originalité à sa langue, à nulle autre pareille. Seul le finnois peut s’y apparenter.
Il se fixa en Europe centrale et fut à l’origine de la création de la Hongrie. Les Hongrois ne sont donc pas, faut-il le rappeler, des descendants d’Attila et de ses guerriers comme le prétendent parfois certains, y compris en Hongrie. La rue Attila (Attila ut) que l’on emprunte à Budapest, à l’étonnement du voyageur occidental, ne doit pas faire illusion.
CONVERSION ET COURONNEMENT DE SAINT ÉTIENNE
C’est un certain Árpád qui devint chef des tribus magyares vers l’an 900. Un siècle plus tard, son descendant Etienne se fit baptiser. Le pape Sylvestre II le couronna roi de Hongrie en l’an mille. Etienne fut ensuite canonisé et est aujourd’hui le saint patron de la Hongrie.
Le pays connut alors une grande période chrétienne. Plusieurs souverains furent canonisés et beaucoup se signalèrent par leur zèle chrétien. André II fut par exemple un des chefs de la Cinquième croisade. C’est d’ailleurs lui qui concéda en 1222 la Bulle d’or à la noblesse hongroise, afin de pérenniser une alliance nécessaire à la stabilité du royaume.
La sainte la plus emblématique de toute cette période fut Sainte Elizabeth de Hongrie. Fille d’André II, elle vécut en Allemagne après son mariage avec Louis IV de Thuringe et eut trois enfants (dont une fille sera bienheureuse). Veuve à 20 ans, elle se dévoua pour les pauvres et s’inspira de la règle franciscaine pour sa vie personnelle. Sa tombe à Marbourg est l’objet d’importants pèlerinages.
Notons, pour être complet que notre apôtre des Gaules, Saint Martin, était d’origine hongroise. Il y a encore des pèlerins qui partent de sa ville natale, Szombathely, et marchent jusqu’à Poitiers ou Tours. Le pèlerinage s’étale généralement sur plusieurs années.
Les invasions mongoles du XIIIe siècle mirent hélas un terme à cet âge d’or chrétien de la Hongrie. La « Horde d’or » de Gengis Khan fut finalement chassée et des souverains entreprirent de reconstruire le pays, comme Charles Ier Robert d’Anjou (1308-1342).
Mais la poussée de l’Empire ottoman commença à peser sur les marches du sud du royaume. Une première défaite inquiétante frappa l’armée hongroise en 1396 à Nicopolis et le roi Sigismond Ier s’enfuit au soir de la bataille. Les Ottomans s’étaient dangereusement rapprochés.
Le XVe siècle fut à nouveau une période heureuse. Deux grands souverains, qui sont encore au Panthéon des héros hongrois, exercèrent de beaux règnes : János Hunyadi (1407-1456) et Mathias Corvin (1458-1490). Ils bâtirent et firent venir de grands artistes de toute l’Europe, notamment des peintres italiens. C’est après la mort de Corvin que La Hongrie chrétienne sombra dans le malheur.
LA NUIT OTTOMANE
En 1526, la grande armée hongroise fut lourdement défaite à la bataille de Mohács. Le roi Louis II y trouva la mort et la nuit ottomane s’abattit sur le vieux royaume chrétien. La Hongrie fut dépecée et vassalisée. Au centre, au sud et à l’est se trouvaient les Ottomans ou leurs alliés. Mais à l’ouest les Habsbourg se rapprochaient et devinrent à la fois les libérateurs de la Hongrie mais aussi leur autoritaire suzerain.
La libération prit du temps, la puissance militaire de l’Empire ottoman étant alors considérable. Son échec devant Vienne (un de ses deux objectifs majeurs avec Rome) en 1683, déclencha le début du déclin.
En 1686, Charles V de Lorraine, libéra Buda après de rudes combats. Rappelons à ce propos que Budapest, capitale de la Hongrie, est l’adjonction de Buda et de Pest, deux villes distinctes à l’origine. Une lente reconquête autrichienne s’ensuivit et en 1697 un autre prince au service des Habsbourg, Eugène de Savoie, battit les Turcs à Zenta. Cette fois, c’était une victoire décisive et pour l’Empire ottoman, le début d’une longue agonie.
Libéré du joug musulman, le nationalisme hongrois se porta alors contre les Habsbourg. Le prince François Rákóczi en fut le chef emblématique au début du XVIIIe siècle. Vaincu en 1711, les Habsbourg l’épargnèrent et il fut condamné à l’exil.
RÉPUBLIQUE ET FRANC-MAÇONNERIE
Les Hongrois se résignèrent un certain temps à cette dépendance autrichienne jusqu’à ce qu’éclate la révolution de 1848.
Il faut noter que, dans les trois siècles précédents, deux influences néfastes se développèrent en Hongrie : le protestantisme tout d’abord puis, plus tard la franc-maçonnerie. Le protestantisme se répandit à la faveur de la Guerre de trente ans (1618-1648), à cause des princes allemands géographiquement très proches. Le calvinisme en fut son fer de lance et il reste vivace aujourd’hui.
Quant à la franc-maçonnerie, elle se développa sous l’influence de quelques aristocrates, souvent protestants d’ailleurs, qui répandirent leurs idées néfastes dans la haute société hongroise.
Les révolutions de 1848 qui submergèrent l’Europe n’épargnèrent pas la Hongrie. Une révolte se produisit et les députés hongrois, jusqu’alors dépendants de Vienne, proclamèrent à la fois l’indépendance et l’avènement de la république. Le personnage emblématique de cette révolution fut le franc-maçon Lajos Kossuth dont la statue trône devant le parlement de Budapest.
Les Habsbourg réagirent et envoyèrent une armée combattre les insurgés. Mais la valeur militaire des Hongrois est proverbiale et, devant les difficultés rencontrées, Vienne appela la Russie à son secours. Le Tsar Nicolas Ier accepta de fournir son aide au nom de la lutte contre les idées révolutionnaires. Pris entre deux feux, les Hongrois furent finalement vaincus à la bataille d’Arad. Les Habsbourg commirent alors une grave faute politique en faisant fusiller les 13 généraux hongrois qui s’étaient rendus. Ce n’était guère glorieux et cela ne contribua pas à améliorer les relations entre l’Empire et les Hongrois.
LE COMPROMIS DE 1867
L’arrivée au pouvoir d’un nouvel empereur, le jeune François-Joseph, provoqua un changement radical et bénéfique dans les relations entre les deux peuples. Après de longues négociations avec une partie de la classe politique hongroise, la plus encline à une réconciliation avec l’Autriche, un accord fut finalement signé en 1867. On l’appela « le compromis de 1867 ».
Il donna une large autonomie à la Hongrie, en dehors des finances et des affaires étrangères. Et, symbole très fort, l’empereur d’Autriche devint en même temps roi de Hongrie et devait se faire couronner à Budapest après l’avoir été à Vienne. L’Empire devint l’Empire austro-hongrois et le patriotisme du peuple hongrois était ainsi honoré. De toutes les minorités du vaste empire, la Hongrie fut la seule ainsi mise en avant et sa fidélité à Vienne fut alors sans faille.
Sur cette période, on peut lire la remarquable trilogie romanesque (si bien écrite) de Miklós Banffy, Vos jours sont comptés, Vous étiez trop légers, Que le vent vous emporte. Beaux titres inspirés du célèbre Mane, Tecel, Fares raconté dans l’Ancien Testament, au Livre de Daniel.
La si funeste guerre de 14 sonna le glas de cet ensemble harmonieux. Malgré les efforts désespérés de Charles Ier, dernier empereur d’Autriche et dernier roi de Hongrie, ses propositions de paix séparée furent rejetées avec mépris par la France figée par la voix de Clemenceau dans son sectarisme anti-chrétien.
En 1918, la défaite de l’Empire fut actée. Charles et Zita, ce couple impérial et royal si attachant, fut condamné à l’exil. Charles mourut de chagrin peu de temps après et Zita éduqua courageusement et chrétiennement ses nombreux enfants. Ainsi mourut ce bel empire.
Les francs-maçons relevèrent la tête et Mihály Károlyi fut porté à la tête de la nouvelle république proclamée. Encouragés par la révolution bolchévique triomphante, les communistes hongrois réussirent un coup de force et prirent le pouvoir à Budapest. Leur chef était Béla Kun et, comme il se doit, il ordonna de nombreux actes sanguinaires. Heureusement, les communistes ne parvinrent jamais à étendre leur pouvoir au-delà de la capitale. Finalement, une alliance militaire improbable composée de militaires hongrois, tchèques, serbes et français chassèrent les communistes. Il ne resta d’eux qu’une triste et sanglante parenthèse.
LA SPOLIATION DU TRAITÉ DU TRIANON
Pendant ce temps, les puissances alliées travaillèrent activement au démantèlement de l’Empire austro-hongrois. En 1920 le Traité du trianon fut signé à Versailles. Le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » si invoqué en de multiples circonstances, fut dénié aux Hongrois. Plusieurs millions d’entre eux furent rattachés de force à la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie (la Hongrie perdit ainsi son accès à la mer), l’Autriche (qui n’avait rien demandé) et surtout la Roumanie qui récupéra plus de 100 000 km2 de territoires. L’Autriche fut ensuite le seul pays à accepter un referendum pour la ville de Sopron qui choisit massivement de revenir à la mère patrie hongroise. Au total, la Hongrie perdit les deux tiers de son territoire, passant de 325 000 km2 à 93 000 km2.
Ce traité du Trianon fut un traumatisme terrible pour la Hongrie qui y perdit les deux-tiers de son territoire. Depuis la chute du communisme, la Hongrie ne cesse de réclamer la révision de ce traité, en vain bien sûr. Des manifestations périodiques ont lieu à Budapest réclamant le retour des provinces perdues. Les hasards de l’histoire firent qu’une forte minorité hongroise habite aujourd’hui dans l’ouest de l’Ukraine. Elle est systématiquement brimée et l’enseignement de la langue hongroise y est régulièrement remis en cause par le sectarisme du pouvoir de Kiev.
Les errements de l’après-guerre appelaient une remise en ordre. Ce fut l’amiral Miklós Horthy qui s’en chargea. Chrétien convaincu, monarchiste, il remporta les élections de 1920. Il refusa d’en devenir le président et exigea d’en être le régent afin de permettre un éventuel retour de la monarchie. Son gouvernement autoritaire ramena le calme dans un pays ruiné par la guerre et assommé par le traité du Trianon.
Allié des Allemands pendant la seconde guerre mondiale, Horthy mécontenta Hitler dans son peu d’empressement à appliquer les principes raciaux du IIIe Reich. Déposé puis arrêté par les Allemands, il sera finalement libéré par les Américains et finira sa vie en exil au Portugal, accueilli par Salazar.
Malheureusement pour la Hongrie, Budapest se trouva sur le chemin de l’Armée rouge en route vers l’Allemagne. Le siège de la capitale dura plusieurs semaines et, à l’issue de terribles combats, les Soviétiques entrèrent dans la ville dévastée et installèrent, comme dans toute l’Europe de l’Est, un gouvernement communiste. La faucille et le marteau ornèrent désormais le drapeau tricolore hongrois.
LA TRAGÉDIE DE 1956
Mais la Hongrie ne se laisse pas facilement réduire en servitude comme l’a prouvé toute son histoire. En 1956, à la faveur d’un premier ministre moins totalitaire, Imre Nagy, les habitants de Budapest su ruèrent dans la brèche et réclamèrent plus de liberté. L’insurrection pris de l’ampleur, des membres de l’AVO, la police secrète, furent lynchés et la rue pris le pouvoir. Nagy commit alors une faute politique majeure : il annonça la sortie de la Hongrie du Pacte de Varsovie. Jusque-là, les Soviétiques étaient restés discrets. Mais la sortie de l’alliance militaire communiste, architecture de sécurité essentielle face à l’OTAN, était le chiffon rouge qu’il ne fallait pas agiter.
Le 4 novembre, les chars soviétiques envahirent la Hongrie et, malgré une résistance héroïque, Budapest tomba en quelques jours. Les combats firent 2 500 morts côté hongrois, 13 000 suspects furent arrêtés et au moins 200 000 choisirent le chemin de l’exil. Le malheureux Nagy fut pendu à la sauvette. Contrairement à une idée reçue, il ne semble pas que ce soient les Soviétiques qui aient procédé à cette sordide exécution mais plutôt János Kádár, le chef du parti communiste hongrois, désireux de se débarrasser d’un rival très populaire.
LE COMMUNISME GOULASH
C’est ce même Kádár qui dirigea ensuite la Hongrie jusqu’en 1988, l’ordre communiste étant restauré. Contrairement aux craintes de la population, sa gestion fut assez tempérée. Il accepta l’émergence d’un secteur privé, usa d’une répression mesurée et mis fin aux persécutions religieuses. Le clergé hongrois se divisa à cette occasion : une partie s’accommoda du régime affirmant que l’essentiel était de pouvoir donner les sacrements aux fidèles tandis que d’autres refusèrent tout compromis. Le célèbre et héroïque cardinal Mindszenty qui fut affreusement torturé après la guerre, réfugié à l’ambassade américaine depuis 1956, fut de ceux-là.
Le communisme de Kádár fut donc un mélange de principes communistes et de pragmatisme à tel point qu’on l’appela le « communisme goulash », du nom d’une recette de cuisine qui mélange beaucoup d’ingrédients. La Hongrie fut une oasis au sein de ce monde communiste si triste et si gris. Beaucoup d’Allemands de l’Est par exemple, qui ne pouvaient quitter leur pays qu’en allant dans un « pays frère », prirent ainsi l’habitude de passer leurs vacances en Hongrie.
Peu avant la chute du Mur en 1989, la Hongrie fut le premier pays à laisser entendre que ses gardes-frontières ne tireraient pas sur ceux qui souhaiteraient franchir illégalement la frontière vers l’Autriche. Au printemps, la ligne budgétaire d’entretien de la frontière avec l’Autriche, au coût exorbitant, fut rayé d’un trait de plume. Puis, le 27 juin, les deux ministres des affaires étrangères autrichien et hongrois découpèrent à la cisaille quelques barbelés obsolètes devant les caméras du monde entier. Le 19 août 1989 enfin, plusieurs centaines d’Allemands de l’Est organisèrent un pique-nique géant le long de la frontière autrichienne. Un mouvement de foule se produisit, les gardes-frontières hongrois regardèrent ailleurs et ce fut le début d’une ruée vers l’Autriche qui ne fit que s’amplifier au fil des semaines. Cette journée mémorable fut appelée « le pique-nique des Allemands de l’Est ». Le Mur tomba le 9 novembre suivant comme un fruit mur. La Hongrie avait ouvert la voie.
Tout le système, vermoulu, s’effondra et les premières élections libres se déroulèrent en 1990 et portèrent au pouvoir une coalition centriste.
C’est alors qu’un jeune étudiant fit ses premiers pas en politique à Budapest. Il s’appelait Viktor Orbán et avec quelques amis, créa un parti, le Fidesz. La doctrine de ce petit parti n’avait qu’un lointain rapport avec celle d’aujourd’hui. Protestant non pratiquant, plutôt libertaire, rien ne laissait prévoir que Viktor Orbán évoluerait vers un nationalisme chrétien qui séduirait le peuple hongrois, à l’exception de celui de Budapest, très occidentalisé.
ORBAN ET SON CHEMIN CHRETIEN
Vainqueur des élections en 1998, sans doute encore trop jeune, il ne sut pas se faire réélire et connut deux échecs en 2002 et 2006. Enfin vainqueur en 2010, il sut cette fois convaincre les Hongrois et fut constamment et largement réélu en 2014, 2018 et 2022.
Son évolution personnelle se fit progressivement mais l’on peut sans risque y voir l’influence bénéfique de son épouse catholique avec qui il a eu cinq enfants.
La constitution de 2012 fut le premier signe officiel de cette adhésion de Viktor Orbán au christianisme. Il y est question de la responsabilité des élus devant Dieu, du rôle du christianisme dans la préservation de la nation ou du rappel de la définition du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme.
Depuis, Orbán a multiplié dans ses discours les références à Dieu et au christianisme. Il n’a pas osé interdire l’avortement mais, en septembre 2022, a publié un décret obligeant toute femme voulant se faire avorter à écouter d’abord le cœur du fœtus. L’avortement reste donc malheureusement possible pendant les 12 premières semaines de grossesse (14 semaines en France).
Un autre combat majeur mené par Orbán fut la mise au ban de Soros, de son université et de ses réseaux. Il axa même une grande partie de sa campagne électorale de 2018 sur ce sujet. Des affiches « Stop Soros » recouvrirent les murs de toutes les villes hongroises. Les instances européennes se déchaînèrent contre lui, en vain. Orbán ne céda rien et en profita même pour développer son concept de « démocratie illibérale ». Pour se venger, Ursula von der Layen a bloqué, en toute illégalité, des milliards d’aides dues à la Hongrie. Le bras de fer est permanent contre le totalitarisme bruxellois.
Seul dirigeant libre d’Europe, il continue à entretenir d’excellentes relations avec Vladimir Poutine et a refusé de livrer la moindre arme à l’Ukraine. Son argument est imparable : toute arme envoyée à l’Ukraine ne fait que prolonger une guerre que les Russes gagneront de toutes façons.
Le chemin emprunté par Viktor Orbán est unique en Europe. Ses réélections successives démontrent que certains peuples peuvent accepter que ses dirigeants déclarent haut et fort agir sous le regard de Dieu. Il est vrai que le glorieux passé chrétien hongrois, encore très présent dans la mémoire collective hongroise, a joué un rôle important. La dévotion à Saint Étienne reste vive. Le 20 août 2023, à l’occasion de la fête du Saint, une immense croix lumineuse, élaborée à partir de drones, a scintillé dans le ciel de Budapest, visible par tous les habitants. Un beau témoignage.
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