Lorsque l’Empire romain d’Occident disparaît avec la déposition du dernier empereur Romulus Augustule en 476, la quasi-indifférence générale règne dans l’Empire romain d’Orient, où siège désormais l’unique empereur romain à Constantinople. Le problème barbare semble en voie de solution, et l’empereur Anastase (491-518) laisse un Trésor plein ; mais ce répit est de courte durée. A l’éphémère reconquête justinienne (527-565) succèdent de nouvelles grandes invasions qui vont mettre l’existence de l’Empire en péril.
La dernière tentative de tenir le limès danubien échoue avec l’empereur Maurice (582-602). En quelques décennies, les Balkans sont submergés par les barbares tandis que l’Empire lutte en Orient contre les Perses sassanides. En 626, Constantinople est assiégée des deux côtés : par les Avars du côté occidental, et par les Perses venus de l’autre côté du Bosphore !
L’empereur Héraclius parvient à repousser les envahisseurs et remporte contre les Perses une victoire décisive à Ninive (627). Néanmoins, l’Empire alors très affaibli est devenu une proie idéale pour de nouveaux assaillants. L’invasion arabe est la plus grave que l’Empire va connaître jusqu’à celle des Turcs à partir du XIe siècle. L’Empire byzantin aurait très bien pu disparaître dès le haut Moyen Âge.
I. La conquête arabe
Dès la mort de Mahomet en 632, les musulmans se lancent à l’assaut des grandes puissances voisines : l’Empire byzantin et l’Empire perse sassanide. L’expansion est d’une très grande rapidité, et les villes byzantines tombent les unes après les autres : Damas (635-636), Qinjasrîn (637), Jérusalem (638), Césarée (640). Héraclius réagit en envoyant une armée à la rencontre des envahisseurs, laquelle essuie une lourde défaite à Yarmurk, près d’un des affluents du Jourdain (636).
La conquête de l’Égypte se fait sans que les conquérants arabes ne rencontrent de grandes résistances : la cité d’Héliopolis est perdue en 640, Tripoli en 644, Alexandrie est définitivement conquise en 646. L’Égypte constituait alors le « grenier à blé » de l’Empire, cependant, la perte de cette province ne semble pas avoir entraîné de famine grâce à l’approvisionnement venant d’Asie mineure et de Thrace, et à l’action des pouvoirs publics soucieux de maintenir la stabilité du prix du pain.
La conquête est ralentie par les troubles agitant alors le monde musulman : la fitna. Le dernier des quatre califes rashidun, Ali, est renversé par Mu’awiya, gouverneur de Damas en 661. C’est à cette occasion que les trois groupes religieux islamiques rivaux se forment : les sunnites (partisans de Mu’awiya), les shi’îtes (partisans d’Ali), et les kharidjites (anciens partisans d’Ali déçus par sa tentative de conciliation avec Mu’awiya).
Mu’awiya inaugure la dynastie des califes omeyyades, qui perdure jusqu’en 750, et relance la politique d’expansion militaire. Contrairement aux décennies précédentes, l’avancée se fait plus lente. La résistance est plus farouche en Asie mineure et les reliefs freinent la progression des troupes. A l’Ouest, l’Afrique du Nord est progressivement conquise de 660 à 709 (Carthage tombe en 698). Pour rappel, c’est en 711 que les musulmans traversent le détroit de Gibraltar à bord des navires chrétiens du comte Julien…
Le calife comprend l’intérêt de se doter d’une flotte, puisque les musulmans font désormais face à la mer à l’Ouest de l’Afrique et en Asie mineure (les îles). Déjà en 655, sous Ali, une flotte byzantine fut défaite au large de Lycie, ce qui permis la conquête d’une série d’îles, dont Chypre, Rhodes et Cos. Ces îles servent de bases de ravitaillement pour le premier siège de Constantinople qui est lancé par Mu’awiya en 674. Ce siège dure 4 ans et se termine par une victoire byzantine grâce à une arme nouvelle : le feu grégeois. Le reste de la flotte musulmane regagnant ses bases est en grande partie détruite par une tempête. Les musulmans vont mettre une génération pour reconstituer leur armée. Mu’awiya est même obligé de payer un tribut annuel de 3000 pièces d’or, 50 prisonniers byzantins et 50 étalons.
II. Les causes de l’échec byzantin
Comment se fait-il que le puissant Empire byzantin ait si mal résisté aux assauts musulmans ? Les historiens s’accordent pour dire que les Arabes ne possédaient pas un armement supérieur ou une supériorité numérique significative. Ce sont d’autres facteurs qui expliquent les succès musulmans.
En premier lieu, comme cela a été dit, les Byzantins et les Perses ont amenuisé leurs forces dans une longue guerre de cinquante ans, qui s’est terminée en 629 avec les accords d’Arabissos : les deux Empires était largement affaiblis et incapables d’affronter une grande invasion. Ensuite, les Byzantins ont tout misé sur la résistance des villes, les Arabes n’ayant pas développé de technique de siège. La consigne, après la défaite de Yarmuk, était d’éviter le combat, Byzance ne possédant plus une armée capable d’affronter l’ennemi en rase campagne. Or, la plupart des villes se sont rendues, ne voyant pas les troupes impériales venir à leur secours et préférant négocier des conditions de reddition favorables. Les divisions religieuses byzantines (l’hérésie monophysite) expliquent aussi en partie la reddition des villes mais sont loin d’en être la cause principale. Il y a enfin l’enthousiasme religieux des combattants musulmans, et l’effet de surprise (ces populations n’avaient jamais constitué un réel danger) : le réseau de forteresses aux frontières était insuffisamment dense.
III. Le second siège de Constantinople (717-718)
En 717, profitant de troubles intérieurs byzantins, le commandant arabe Masmalah regroupe une énorme flotte et forme une gigantesque armée pour partir à nouveau à l’assaut de la capitale byzantine et annexer la “Romanie”. Une première escarmouche permet à la flotte de l’empereur Léon III de détruire quelques navires ennemis grâce au feu grégeois ; cette victoire remonte le moral de la population et des troupes mais surtout elle permet à la ville de ne pas se retrouver en état de blocus (problème des vivres). L’Empire byzantin bénéficie du soutien des Chrétiens d’Orient sous domination musulmane : les rameurs égyptiens font défection, refusant de combattre (plus de 70 ans après la conquête de l’Égypte) ! Les musulmans se sont ainsi vus privés d’une partie de leur flotte.
Des renforts arabes sont repoussés en Bithynie. Après un an de siège, minés par la famine, en proie à un hiver particulièrement rude (chevaux et chameaux meurent), les Arabes doivent se retirer. L’évacuation a lieu le 15 août 718, jour de la Fête de la Vierge. Comme en 678 une énorme tempête anéantit les restes de la flotte en déroute ! Jusqu’alors menacé dans son existence même, 718 marque la libération de l’Empire de l’emprise musulmane.
En revanche, cette victoire ne rassure pas pour autant les habitants de l’Empire qui pensent alors que Dieu les a abandonné. Même les lettrés n’ont pas conscience de ce tournant et continuent à se considérer en infériorité nette. Une colère divine semble s’être abattue sur l’Empire et les angoisses restent présentes ; ce qui va faire le terreau de la crise iconoclaste (725-843).
Jusqu’aux environs de 740, l’Anatolie continue d’être régulièrement razziée. Ce n’est qu’en 740 que pour la première fois une importante armée musulmane est défaite à Akroïnon, au coeur de l’Anatolie. Cette date marque le début de la grande reconquête byzantine qui va s’étaler sur deux siècles : en 975, Jean Tzimiskès arrivera à 150 km de Jérusalem !
– Les musulmans vus par l’évêque Théodore
Théodore Abu Qurra, évêque de Harran (v. 750-v. 825), est un théologien chrétien de langue arabe qui mena une guerre “intellectuelle” contre l’Islam en mettant en évidence les incohérences de la doctrine islamique. La Patrologie Grecque de Théodore, d’où est issu l’extrait ci-dessous, fait partie de cette “littérature de combat” qui se développe dans les premiers temps de l’Islam.
(Théodore a fini par admettre que lorsque les Juifs ont fait crucifier Jésus, celui-ci était consentant à son supplice, en sorte que, selon le musulman, les Juifs ont rendu service aux Chrétiens)…
« THÉODORE : Réponds-moi encore : lorsque vous faîtes une expédition en territoire romain, si l’un d’entre vous est tué en ces lieux, ne va-t-il pas au paradis, selon votre doctrine ?
LE BARBARE : A coup sûr.
THÉODORE : Si maintenant tu pars en expédition pour le territoire romain avec ton fils et ton propre frère, et que quelqu’un tue ton fils, vas-tu aller te venger de celui qui l’a tué, comme d’un ennemi, ou bien vas-tu l’honorer comme un bienfaiteur, l’embrasser et lui donner le baiser amical ?
LE BARBARE : Je le tuerais plutôt mille fois et le couperais en morceaux, si je le pouvais.
THÉODORE : Et comment peux-tu donc juger juste de tuer celui qui a procuré à ton fils ou à ton frère un tel salut et une telle béatitude ? Dis-moi encore autre chose : suppose que tu aies à l’oeil une blessure qui te fasse souffrir mille morts et qu’un de tes ennemis, voulant t’infliger un coup fatal et te faire perdre la vie au plus vite, saisisse l’occasion et t’inflige ce coup non en un autre endroit du corps, mais précisément sur ton œil meurtri afin, comme je l’ai déjà dit, de te faire perdre au plus vite la vie. Mais suppose encore qu’à la suite de cela sortent de ton œil blessé du pus, des sanies et des humeurs corrompues si bien que, délivré de ta maladie à la suite de ce coup, tu retrouves la parfaite santé : alors, considères-tu l’ennemi qui t’a donné le coup comme un ami et un bienfaiteur et vas-tu, en prenant en considération non son intention primitive, mais ce qui est advenu inopinément, sans qu’il le voulût, l’embrasser et le récompenser ?
LE BARBARE : Je me vengerais plutôt sur sa personne, si j’en avais le pouvoir, et je le torturerais comme le plus acharné de mes ennemis.
THÉODORE : Eh bien, considère de la même manière les bienfaits que les Juifs nous ont faits malgré nous ! »
Théodore Abu Qurra. Patrologie Grecque de Migne.
Bibliographie :
CHEYNET, Jean-Claude. Byzance. L’Empire romain d’Orient. Armand Colin, 2001.
DUCELLIER, Alain ; KAPLAN, Michel. Byzance. IVe-XVe siècle. Hachette, 2006.
SÉNAC, Philippe. Le monde musulman des origines au XIe siècle. Armand Colin, 2002.