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La Révolution bolchévique – XXIème partie

Nous présentons quelques parties de ” Symphonie en rouge majeur ”, le livre-document de Landowsky, trouvé dans des circonstances mystérieuses.

Le livre de Landowsky nous fait comprendre combien est aliénant, absurde et asservissant le régime qui avait déformé la Russie, gouvernant avec une intimidation cruelle après avoir brisé les pauvres restes mortels des Romanov.

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Landowsky parle à la première personne.

” Je suis revenu au laboratoire. Mon état nerveux m’inquiétait et je me suis astreint à un repos complet. Me voici au lit presque toute la journée. Ici je suis pratiquement seul depuis quatre jours.

Gabriel me faisait des demandes chaque jour. On l’a fait responsable de mon état. A la seule pensée qu’ils pouvaient m’envoyer de nouveau à la Loubianka de Moscou (la direction centrale de la police secrète) pour assister à une nouvelle scène de terreur, je suis pris d’angoisse et je tremble. J’ai honte d’appartenir à l’espèce humaine.

Ces quelques lignes sont tout ce que j’ai pu écrire en cinq jours après mon retour de la Loubianka, essayant de coucher sur le papier l’horreur, et interrompant donc l’ordre chronologique de mes notes, mais je n’ai pu écrire. Ce ne fut qu’après plusieurs mois, au début de l’été, que je pus enfin calmement et simplement rédiger tout ce que j’avais vu de révulsant, de vicieux, d’abominable… ( N.D.T dans le texte original : Evil )

Au cours des derniers mois, je me suis posé mille fois la même question: “Qui étaient ces gens, qui assistaient anonymement aux séances de tortures?” J’ai tendu à l’extrême toutes mes capacités inductives et déductives.

Etait-ce Ezhov ? C’est possible, mais je ne vois pas la raison pour laquelle il se serait caché. Il est officiellement le responsable, et la crainte qui l’a fait se cacher n’a donc aucune raison logique. Bien plus, si j’ai quelque raison de me décrire comme un psychologue, alors ce fou, le chef du N.K.V.D., qui manifeste des symptômes d’un anormal, aurait certainement plaisir à assister à une scène criminelle. Des traits comme son arrogance devant un ennemi humilié, qui psychologiquement et physiquement avait été réduit à l’état d’épave, lui auraient certainement donné un plaisir malsain.

Je poussais encore un peu plus mon analyse. L’absence de toute préparation avait été évidente: manifestement la décision de tenir cette séance satanique avait été prise à la hâte. Le fait que ma présence avait été requise avait résulté d’un accord subit. Si Ezhof avait été à même de choisir librement le moment, les préparatifs auraient alors été effectués en temps voulu, et dans ces conditions je n’aurais pas été invité; il y avait aussi le fait que le général du N.K.V.D. qui eut du mal à arriver à temps pour assister aux tortures aurait dans ce cas été informé de la séance à l’avance. Si donc ce n’était pas Ezhof, qui donc avait décidé de l’heure? Quel autre chef avait le pouvoir de décider de tout? Quelque médiocres que pouvaient être mes connaissances de la hiérarchie soviétique, au dessus d’Ezhof dans les questions concernant le N.K.V.D., il n’y en avait qu’un: c’était Staline. Alors c’était donc lui qui était là?… ( N.D.T.: voir : Stalin’s Loyal Executioner: People’s Commissar Nikolai Ezhov, 1895-1940 ).

Sept jours passèrent, lorsqu’un matin Gabriel parut chez moi. Je lui trouvai une allure dynamique et enthousiaste; il était ce jour-là d’humeur optimiste. Mais les éclairs de bonheur qui avaient illuminé son visage à son arrivée ne reparurent plus ensuite.

Il me sembla que, par la suractivité et en s’occupant l’esprit, il voulait chasser les nuages qui passaient sur son visage. Après le déjeuner, il me dit:

– Nous avons un invité ici.

– Qui est-ce?- demandais-je.

– Rakowsky, l’ancien ambassadeur à Paris.-

– Je ne le connais pas…

– C’est l’un de ceux que je vous ai désignés l’autre soir; c’est l’ancien Ambassadeur à Londres et à Paris … . Naturellement il était un grand ami de votre connaissance Navachine …  . Oui, cet homme est entre mes mains. Il est ici avec nous; il est bien traité et l’on s’occupe bien de lui. Vous le verrez bientôt.

Moi, et pourquoi? Vous savez bien que je n’ai aucune curiosité sur ce genre de sujets… Je vous demande de m’épargner sa vue; je ne me sens encore pas bien après ce que vous m’avez forcé de voir. Je ne peux garantir mon état nerveux et cardiaque.

– Oh, ne vous inquiétez pas. On ne nous demande pas d’actes de force. Cet individu a déjà été brisé. Non, pas de sang, ni de force. Il s’agit seulement de lui donner des doses modérées de drogues. Voici, je vous ai apporté quelques instructions détaillées, elles sont du Dr Lévine  ( N.D.T.: medecin de NKVD ) qui nous sert encore par son savoir. Apparemment, il y a quelque part au laboratoire une certaine drogue qui peut faire des merveilles.

– Vous croyez dans tout cela?-

– Je parle symboliquement. Rakowsky tend à avouer tout ce qu’il sait sur l’affaire en question. Nous avons déjà eu un entretien préliminaire avec lui, et les résultats n’ont pas été mauvais.

– Dans ce cas, quel besoin d’une drogue miracle?

-Vous verrez, docteur, vous verrez. C’est une petite mesure de sécurité dictée par l’expérience professionnelle de Lévine. Cela aidera à obtenir que celui que nous interrogerons se sente plein d’optimisme et ne perde pas espoir et foi. Qu’il puisse déjà entrevoir un espoir lointain et une chance de sauver sa vie. C’est le premier effet à atteindre.

Ensuite nous aurons à nous assurer qu’il demeure en permanence dans cet état, où il se sente comme vivant un moment heureux et décisif, mais sans qu’il perde ses capacités mentales: plus exactement, il faudra même les stimuler et les aiguiser. Comment dire encore? Plus précisément, il s’agit d’obtenir un état de stimulation éclairée.

– Une sorte d’état d’hypnose?

– Oui, mais sans assoupissement.

– Et je dois inventer une drogue pour tout cela? Je crois que vous vous exagérez mes talents scientifiques. J’en suis incapable.

– Mais il n’y a rien à inventer, le docteur Lévine assure que le problème pourrait  être résolu rapidement.

– Il m’a toujours laissé l’impression d’être une espèce de charlatan.

– C’est probable, mais je crois que la drogue qu’il a mentionnée, même si elle n’est plus aussi efficace qu’il prétend, nous aidera quand même à obtenir ce qu’il nous faut. Après tout, nous n’attendons pas un miracle. L’alcool, malgré nous, nous fait dire des bêtises: pourquoi une autre substance ne parviendrait-elle pas à nous encourager à dire raisonnablement la vérité? En outre, Lévine m’a parlé de cas précédents, qui semblent vrais.

***

 Je n’eus aucune difficulté à trouver le médicament.

Il se présentait en doses d’un milligramme sous forme de petits comprimés. Je fis un essai selon la méthode qu’il recommandait: ils se dissolvaient très facilement dans l’eau et mieux encore dans l’alcool. La formule du produit n’était pas indiquée, et je décidai d’en faire l’analyse plus tard, quand j’aurai le temps.

C’était sans aucun doute une substance en provenance du spécialiste Lümenstadt, ce savant dont Lévine m’avait parlé lors de notre première rencontre. Je ne m’attendais pas à y découvrir à l’analyse quoi que ce soit d’inattendu ou de nouveau. Il s‘agissait probablement d’une base quelconque mélangée avec une quantité importante d’opiacé d’une espèce plus active que la thébaïne. J’en connaissais bien les dix-neuf principales variétés et quelques autres en sus. Dans les conditions dans lesquelles mes expériences avaient lieu, je me satisfaisais des faits que mes investigations avaient pu recueillir.

Bien que mes travaux aient eu une direction tout à fait différente, je me trouvais cependant en pays de connaissance dans le domaine des substances hallucinatoires. Je me souvenais que Lévine m’avait parlé de la distillation de certains types rares de chanvre indien. Il fallait donc que je m’occupe d’opium ou de haschisch pour pénétrer les secrets de cette drogue si appréciée. J’aurais été heureux d’avoir la chance de découvrir une ou plusieurs bases nouvelles qui eussent développé leurs “miraculeuses” propriétés. J’étais prêt à penser que cela devait en principe être possible.

Après tout, le travail de recherche dans des conditions illimitées de temps et de moyens, qui était précisément possible en travaillant pour le N.K.V.D., devait offrir des possibilités scientifiques également illimitées, et je me flattais de l’illusion de pouvoir découvrir à l’issue de ces recherches une nouvelle arme dans mon combat scientifique contre la douleur. Je ne pus consacrer bien longtemps à la diversion que donnaient ces rêves agréables. Je dus me concentrer afin de réfléchir à la manière et aux proportions dans lesquelles donner cette drogue à Rakowsky. D’après les instructions de Lévine, un comprimé devait suffire à obtenir le résultat désiré. Mais il indiquait que si le patient présentait une certaine faiblesse cardiaque, un assoupissement pouvait s’en suivre et même une complète léthargie, avec pour conséquence un obscurcissement mental. Compte tenu de tout cela, il me fallait d’abord examiner Rakowsky.

Je ne m’attendais pas à trouver son coeur en parfaite condition. Même s’il ne présentait pas d’anomalie pathologique, il présenterait certainement une baisse de tension compte tenu de ses épreuves nerveuses, car son système cardio-vasculaire n’avait pu demeurer insensible à la longue et terrifiante séance de tortures qu’il avait subie.

Je repoussai l’examen du patient à l’après-déjeuner. Il me fallait d’abord tout considérer, soit que Gabriel veuille donner la drogue à Rakowsky à son insu, soit au contraire avec sa pleine connaissance. Quoi qu’il en soit, ce serait à moi de m’en occuper en ce sens qu’il me reviendrait de lui donner moi-même la drogue dont on m’avait parlé.

Il n’y avait aucun besoin de la participation d’un infirmier, puisque la drogue était administrée par voie orale.

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Après le déjeuner, je rendis visite à Rakowsky. Il était enfermé dans une cellule au rez-de-chaussée sous la surveillance d’un gardien qui ne le quittait pas des yeux. La pièce était seulement meublée d’une petite table, d’une couchette étroite sans tête ni pied de lit, et d’une autre petite table grossière. Lorsque j’entrai, Rakowsky était assis.

Il se leva aussitôt. Il me regarda attentivement, et je lus sur sa figure de l’étonnement et aussi, me sembla-t-il, de la frayeur. Je pense qu’il dut me reconnaître, m’ayant vu, lorsqu’il s’assit, lors de cette nuit mémorable auprès des généraux.

Je dis au garde de m’apporter une chaise et de nous laisser.

Je m’assis et demandai au prisonnier de s’asseoir.

Il avait environ cinquante ans. C’était un homme de taille moyenne, avec un front dégarni, un nez large et charnu. Dans sa jeunesse, son visage avait dû être agréable. Son aspect physique n’était pas typiquement sémitique, mais ses origines étaient cependant clairement visibles. Dans le temps, il avait dû être gros, mais il ne l’était plus maintenant et sa peau pendait de partout, cependant que sa face et son cou ressemblaient à un ballon éclaté dont tout l’air serait parti. Le menu habituel de la Loubianka était apparemment un régime trop strict pour l’ancien Ambassadeur à Paris. Je ne fis pas alors d’autre observation.

– Vous fumez?-  lui demandais-je, en ouvrant un paquet de cigarettes dans le but d’établir avec lui des rapports un peu plus chaleureux.

– J’ai cessé de fumer afin de ménager ma santé- répliqua-t-il sur un ton plaisant  -mais j’accepte, et je vous remercie.

Je pense avoir désormais surmonté mes maux d’estomac.

Il fuma calmement, avec réserve et non sans une certaine élégance.

– Je suis médecin – lui dis-je pour me présenter.

– Oui, je le sais, je vous ai vu agir, là bas – dit-il d’une voix qui tremblait.

– Je suis venu vérifier l’état de votre santé. Comment vous portez-vous? Souffrez-vous d’une maladie?

– Non, je n’ai rien.

– En êtes-vous sûr ? Qu’en est-il de votre coeur?

– Grâce aux bienfaits de la diète forcée, je n’ai observé aucun symptôme anormal me concernant.

– Mais il y en a qui ne peuvent être observés par le patient lui-même, mais seulement par un médecin.

– Je suis médecin moi-même – interrompit-il.

– Vous êtes médecin?- répétais-je surpris.

– Oui, vous ne le saviez pas?

– Personne ne me l’avait dit. Toutes mes félicitations. Je serai très heureux d’être utile à un collègue, éventuellement même à un condisciple. Où avez vous fait vos études : à Moscou, ou à Petrograd?

– Non, à cette époque je n’étais pas citoyen russe. J’ai étudié à Nancy et à Montpellier; c’est à cette dernière faculté que j’ai passé mon doctorat.

– Ainsi, nous avons dû être étudiants à la même époque. J’ai suivi des cours moi-même à Paris … . Vous êtes Français?

– J’avais l’intention de devenir Français. J’étais né Bulgare, mais sans qu’on ait demandé ma permission, je suis devenu Roumain. J’étais de la province de Dobrudga. Au traité de paix, elle fut attribuée à la Roumanie.

– Permettez-moi d’écouter votre thorax – et je mis les écouteurs du stéthoscope sur mes oreilles..

Il enleva sa veste déchirée et se mit debout. L’auscultation ne révéla rien d’anormal. Comme je l’avais pensé, il était faible, mais sans anomalie.

– Je suppose qu’il faut donner un peu de nourriture au coeur…

– Au coeur seulement, camarade?- demanda-t-il ironiquement.

– Je pense, répliquais-je – faisant semblant de ne pas remarquer son ironie.

– Vous permettez que je m’ausculte moi-même?

– Avec plaisir- et je lui passais le stéthoscope.

 Il s’écouta brièvement.

– Je m’attendais à ce que mon état fût bien pire. Merci beaucoup. Puis-je remettre mon veston?

– Bien sûr. Mettons-nous d’accord pour prendre quelques gouttes de digitaline, n’est ce pas?

– Vous considérez cela comme tout à fait essentiel. Je pense que mon vieux coeur survivra très bien encore les quelques jours ou mois qui me restent.

– Je suis d’un avis différent. Je pense que vous vivrez encore bien plus longtemps.

– Ne me contrariez pas collègue …  Vivre davantage ! Vivre plus longtemps encore … Il doit y avoir déjà des instructions au sujet de ma fin; le procès ne peut durer plus longtemps et puis alors, repos.

Lorsqu’il prononça ces mots, ayant à l’esprit le repos final, il me sembla que sa figure prenait presque une expression de bonheur… . Je haussais les épaules. Ce souhait de mourir, de mourir vite, que je lus dans ses yeux me fit presque défaillir. Par un sentiment de compassion, je ressentis le besoin de le réconforter.

– Vous ne m’avez pas compris, camarade. Je voulais dire que dans votre cas, il est décidé que vous continueriez de vivre. Et pourquoi avez-vous été amené ici? N’êtes-vous pas bien traité maintenant?

– Concernant le dernier point, oui bien sûr, mais quant au reste, j’ai entendu des bruits…

Mais je lui tendis une autre cigarette et j’ajoutai:

– Gardez l’espoir. Pour ma part, et dans la mesure permise par mon chef, je ferai tout ce qui dépend de moi pour m’assurer qu’il ne vous arrive rien de mal. Je vais commencer tout de suite par vous alimenter, mais sans excès compte tenu de votre estomac. Nous commencerons par un régime lacté, avec quelques suppléments substantiels.

Je vais donner des instructions tout de suite. Vous pouvez fumer … prenez-en quelques unes …

Et je lui laissai tout le reste du paquet.

J’appelai le garde et lui donnai l’ordre d’allumer les cigarettes du prisonnier chaque fois que celui-ci le désirerait.

Puis je partis, et avant de prendre un couple d’heures de repos je donnai instruction de faire servir à Rakowsky un demi-litre de lait avec du sucre.

***

Donc les Soviétiques torturaient, droguaient, et essayaient de modifier l’identité des personnes, voulant obtenir ainsi des marionnettes sans  âmes, avec les gouverneurs Rurik et Romanov les personnes avaient leur identité russe et la dignité que leur donnait une profonde spiritualité, avec l’U.R.S.S: religions abolies et ”ciels fermés et inaccessibles”.

Daniela Asaro

Merci au Professeur Saber Othmani pour sa collaboration dans la traduction.

revu par Martha pour Réseau International

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