Le 11 mars, Sébastien Falletti, correspondant du Figaro en Asie, alertait ses lecteurs du fait qu'en Chine, "Xi Jinping assoit encore plus son pouvoir personnel sur le régime communiste".
Dernier tour de vis observable à Pékin : ce jour-là la conférence de presse annuelle du premier ministre Li Qiang était annulée sans explication. Or, depuis 36 ans, cet exercice devenu traditionnel coïncidait avec la clôture de l’Assemblée nationale populaire. Ceci jusqu'alors pouvait rendre, approximativement crédible la petite apparence de démocratie et de transparence économique du pays. L'illusion se voyait désormais supprimée, y compris pour les années à venir. Place aux pleins pouvoirs du parti communiste.
Quelques jours plus tôt le 5 mars le pseudo-parlement du régime avait ouvert sa session qui, comme on peut le constater, dure donc une semaine.
Or, le contexte économique ne manque pas d'inquiéter le pays réel. Principalement, la classe moyenne, ou ce qui en tient lieu, se trouve ruinée car frappée dans son épargne, investie dans un immobilier en crise.
Particulièrement emblématique, l'effondrement du géant Evergrande, était ainsi apparu à partir de 2021. Le groupe, implanté dans la plupart des régions, employait directement à cette époque quelque 200 000 salariés. Dans son métier d'origine, la maison mère détenait plus 45,8 millions de mètres carrés de terrain à construire et des projets immobiliers dans 22 villes. Créé en 1986 par l'ancien métallo Xu Jiayin il était devenu, 35 ans plus tard, un immense conglomérat. Il intervenait aussi bien dans la santé, les assurances, le numérique, les panneaux solaires, l’élevage de cochons, les parcs de loisirs, les centres commerciaux, l’eau minérale, le football. Selon ses estimations, il faisait vivre au total 3,5 millions de personnes. Sa filiale automobile prévoyait aussi de devenir le Tesla chinois : elle n'avait hélas produit aucune voiture. En janvier 2024 il était mis en liquidation : au cours de l'exercice 2023 son bilan faisait apparaître un passif de 328 milliards de dollars pour un capital social de 350 milliards.
Considéré comme symptomatique du capitalo-communisme de la Chine continentale, ce cas extrême ne manque pas d'inquiéter la finance internationale. Celle-ci observe en effet une croissance devenue relativement poussive dans ce qu'elle avait pris l'habitude de considérer comme l'usine du monde.
L'étroite fenêtre de réunion de l'assemblée législative, – en fait une chambre d'enregistrement – est considérée comme le principal rendez-vous institutionnel de l'État. Prononçant son discours d'ouverture Li Qiang s'était donc voulu rassurant quant aux perspectives de rebond. Il a cru pouvoir fixer ainsi, pour l’année à venir, un objectif de croissance à hauteur de 5 %. Un tel chiffrage, outre qu'il reste largement inférieur à ceux de l'ère Deng Xiaoping comme des premières années du XXIe siècle, respire hélas la légèreté, mais aussi l'imposture propagandiste, avec lesquelles les autorités communistes chinoises traitent la statistique.
Un exemple récent bat, dans ce registre, les records. En 2023 il apparaissait que le chômage des jeunes atteignait, durablement, un niveau explosif. Entre autres phénomènes, on constatait que les jeunes diplômés délaissaient l’industrie pour la livraison. Cette année-là, en juin, le taux de sous-emploi avait atteint un record à 21,3 %. La réponse des autorités ne se fit pas attendre : il suffisait de changer le mode de calcul et de recension dont, déjà, les ruraux étaient absents. Comme l'œuf de Christophe Colomb, la recette était simple, il suffisait d'y penser.
Nommé premier ministre en mars 2023, le camarade Li Qiang apparaissait avant tout comme l’homme de confiance les plus proches de Xi Jinping. Il avait été désigné gouverneur de la province pilote du Zhejiang en 2012, année de l'ascension de Xi. La région, l'une des plus avancées du pays se situait aussi à la pointe de la répression du christianisme, religion dont désormais les observateurs sérieux pensent que les adeptes dépassent [dangereusement pour sûr] en nombre les adhérents du parti communiste chinois. Cependant la tâche principale confiée au nouveau chef du gouvernement par le chef de l'État, à l'issue du 20e congrès du PCC, tendait au rétablissement de l'économie : cet objectif s'est révélé mission impossible dans le contexte renforcé du pouvoir personnel et du parti unique. L'appareil politico-militaire imposant ses objectifs bureaucratiques, l'intendance ne suit pas.
Xi Jinping, secrétaire général du Parti, président de la république et de la Commission militaire, régnant depuis 2012, a liquidé, année après année, presque définitivement, le principe de la direction collégiale.
On connaît le précédent de Staline après la mort de Lénine, la mise à l'écart de Trotsky, jusqu'au début des années 1930… la gradation conduisit à la période des Grandes Purges de 1937. Membre du Politburo dès 1917, le Petit Père des Peuples, coryphée des Sciences et des Arts, avait éliminé tous ses rivaux en sa qualité de secrétaire général du Parti, fonction qu'il inaugure en 1922 et qu'il exercera jusqu'en 1952. On considère que son pouvoir est devenu absolu en 1929. Cette année-là correspond au processus de liquidation de la NEP, entamée par la crise des Grains de 1928 et officialisée par un décret de 1930. Il a toujours existé, en effet, une imbrication assez étroite des fractures politiques et des convulsions économiques des pouvoirs révolutionnaires.
L'évolution de la dictature, à la fois autoritaire et personnelle, ne suit pas exactement la même courbe à Zhongnanhai qu'au Kremlin mais elle lui ressemble grandement : Josef Vissarionovitch Djougachvili, succédant à Lénine, est devenu le maître tout-puissant du pouvoir soviétique en 7 ans ; et c'est après 6 années de gouvernement, qu'en 2018 son émule chinois réforme la constitution afin de se maintenir après son deuxième quinquennat, ce qu'il concrétisera en octobre 2022 pour prendre effet en mars 2023…
L'équivalent du Politburo soviétique est officiellement appelé dans l'Empire du Milieu "comité permanent" [du bureau politique du Parti communiste chinois]. Or, au sein de cette instance suprême, théoriquement collégiale de 7 membres, la domination du numéro 1 n'a fait que se renforcer depuis quelque 30 ans.
Ne pas prendre en compte cette restalinisation, ne pas observer que le budget militaire 2024 se situe en hausse de 7,2 %, ne pas vouloir remarquer la réactivation des milices populaires datant de l’ère maoïste, ne pas prendre au sérieux le renforcement réaffirmé du rôle du Parti, c'est exposer l'occident à se retrouver aveugle et désarmé devant la reconstitution d'un bloc oriental hostile.
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2024/03/une-restalinisation-exemplaire.html