Cette campagne électorale des législatives ne remettra évidemment pas en cause la République, malgré les grandes exclamations et déclamations des défenseurs autoproclamés de celle-ci, et les idées royalistes ou les propositions monarchiques n’ont guère été abordées alors que la question des institutions mériterait largement d’être évoquée aussi au moment même où celles de la Cinquième semblent compromises par l’attitude (suicidaire ?) du Président de la République et par les emballements d’un Nouveau Front Populaire dont certains partisans prônent l’établissement d’une Sixième qui ressemble furieusement à la Quatrième… Et pourtant ! Si le Rassemblement National et le NFP sont des alternances possibles au sein de la République française, la Monarchie royale pourrait bien constituer une alternative crédible, pour autant que les royalistes (entre autres) sachent la présenter et le Prince l’incarner. Bien sûr, pas pour tout de suite : non que la nécessité ne s’en fasse pas sentir aujourd’hui et depuis fort longtemps, mais parce que les esprits n’y sont pas préparés et que rien ne peut se faire sans une visibilité importante et un minimum d’accord sur la forme institutionnelle à instaurer. Cela impose aux actuels royalistes de travailler, y compris au sein des institutions républicaines, pour préparer la transition institutionnelle et constitutionnelle qui pourra mener à l’instauration pleine et entière d’une véritable Monarchie royale.
Les royalistes ne sont pas, selon la formule célèbre, des « émigrés de l’intérieur », ni des égarés dans les couloirs du temps : ils sont souvent bien intégrés à la société, engagés dans de multiples fonctions ou associations ; ils sont fonctionnaires, entrepreneurs, artisans, ouvriers, paysans, etc. ; ils vont à l’église ou au temple (entre autres), ou ils ne sont d’aucune religion… En fait, ils sont à l’image de la société française : divers, mais Français ! C’est la recherche du bien commun, de l’intérêt de la France qui est aussi et surtout celui de tous les Français, c’est la défense de la liberté de la nation, « condition première de toutes les autres », qui les motivent essentiellement. Certains seront plus sensibles aux questions sociales quand d’autres se préoccuperont d’abord des questions environnementales, et que d’autres encore se contenteront juste de la proposition politique pure…
Le vote de dimanche prochain divise aussi les royalistes, comme tous les Français, et j’ai eu l’occasion en ces quelques jours de campagne législative (dont je ne suis qu’un spectateur, mais « engagé ») de constater que les électeurs (y compris les royalistes, donc), le plus souvent et profondément, se mobilisent et se décident, non plus sur des idées ou sur des propositions concrètes, et assez peu sur les programmes qui leur sont présentés, mais plutôt en fonction de leur détestation ou de leur opposition à l’un ou à l’autre. Je crois qu’il y a eu un temps où ce n’était pas forcément le cas, en particulier (pour celles que j’ai connues) dans les années 1970-1980, à une époque où les lycées, les universités et les usines comme les rues, retentissaient des slogans de mouvements qui se voulaient « révolutionnaires » à défaut, sans doute, de l’être vraiment.
Un collègue m’affirmait, il y a peu : « les peurs répondent aux peurs ». Si tel est le cas, ce n’est pas, justement, très rassurant ! Mais cela démontre les limites de nos démocraties actuelles, représentatives certes, mais limitées désormais dans leur capacité à crédibiliser la parole et l’action politiques. Le grand chambardement annoncé (mais n’est-ce pas un leurre : « il faut que tout change pour que rien ne change » ?) pourrait bien avorter sous la forme d’un « gouvernement technique » destiné à « passer l’année à venir » (sic), les marchés économiques préférant « l’immobilisme à l’aventure » si l’on en croit les analystes financiers… Sauver le système de libéralisme économique, globalisé et capitaliste, est la première préoccupation des forces vives du pays légal (1), pour garantir leur pouvoir et leurs avoirs, même au risque de la sécession d’avec les populations pourtant fondatrices (si l’on en croit les démocrates contemporains) de toute légitimité démocratique et gouvernementale (2)… C’est là toute l’ironie de la situation au moment où les citoyens se déplacent plus nombreux que ces dernières décennies vers les urnes : comme en 2005, la démocratie devient « dangereuse » (pour le pays légal) parce que les citoyens-contribuables, après la répression et l’échec du soulèvement des Gilets jaunes, ont transformé leurs bulletins de vote en autant de pavés contre le Pouvoir…
Cette situation de crise politique ne se résoudra pas au soir du second tour ni à la constitution du prochain gouvernement car le mal est plus profond, voire constitutif d’une République dont les promesses pour tous n’ont fait, au regard de l’histoire, que valider les prébendes de quelques uns. Oligarchique, la République a cessé d’être convaincante, et le mythe « égalité » a détruit nombre d’inégalités protectrices pour installer de véritables injustices sociales et – ô comble de l’ironie ! - conforter l’oligarchie ! Jamais les inégalités démesurées (donc socialement condamnables) n’ont été aussi fortes et illégitimes, et aussi décriées. Ce n’est pas forcément l’envie qui anime les contestations du pays réel, mais bien plutôt le désir d’équité, de justice sociale, de reconnaissance du travail… C’est aussi le besoin de protection des citoyens (et de préservation de leur être civilisationnel historique, qu’il s’agit de ne pas sous-évaluer), aujourd’hui menacés par les différentes formes d’insécurité, sociale et publique, qui leur fait bousculer (pour l’instant, juste électoralement) le « désordre établi » déjà dénoncé il y a presque un siècle par le personnaliste Emmanuel Mounier et les partisans de la Jeune Droite, ces « lys sauvages » à la fois royalistes et révolutionnaires qui, souvent, nous inspirent.
Bousculer le pays légal sera-t-il suffisant pour faire basculer l’injustice sociale dans les oubliettes ? Il est permis d’en douter… Mais, quoiqu’il en soit, la justice sociale, possible d’abord dans le plus vaste cadre sentimental, historique et civique (la nation, française pour ce qui nous concerne) et grâce au moyen du politique (l’État), doit rester l’objectif principal de toute action sociale et politique digne de ce nom…
Notes : (1) : La formule de pays légal peut désormais être mondialisée, et il s’agit désormais d’un phénomène qui s’inscrit dans le double processus de mondialisation (et plus exactement, de la globalisation) et de métropolisation : l’archipel métropolitain mondial constitue le monde dominant, le cœur du système global qui prône la gouvernance mondiale contre les gouvernements étatiques et les pays réels de l’International, ce dernier terme considérant les États comme des éléments structurants, historiquement comme politiquement et socialement, des peuples et des nations suivant leurs caractéristiques qui peuvent varier d’un État à l’autre, ce que soulignait déjà en son temps de Gaulle à la suite de Maurras.
(2) : La légitimité démocratique est-elle vraiment « la » légitimité ? Il n’est pas interdit d’en douter, et de préférer, d’une certaine manière, Antigone à Créon…
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