Après l'onde de choc des élections européennes le 9 juin dernier, plus rien ne va en république. La dissolution de l'Assemblée nationale ne faisant qu'ajouter une grosse dose de sel dans une soupe déjà bien indigeste. Pour sauver le potage, il suffit de laisser place à la combine électorale. Coup de chance, c'est exactement là où la machine démocratique est la plus forte, c'est là où le castor est le meilleur.
« La France est un pays ingouvernable » tonne ataviquement le député au soir d’une élection mi-figue, mi-beurre doux. Et oui en cas de sodomie, il vaut mieux éviter le gros sel. Au lendemain de cet énième mascarade électoraliste, tout est bien en ordre, et nombreux doivent être les électeurs à cocotter dans l’air cette sensation de s’être bien fait mettre.
Avec l’arrivée en tête du Nouveau Front Populaire (NFP), sans majorité absolue, l’ensemble du système politique républicain est paraplégique. S’il y avait un premier enseignement à retenir, c’est celui-ci : cette élection est un énième rebond de l’inaction. Le retour en arrière-plan d’une frêle IVe république peut satisfaire les prosélytes de la VIe, les voilà comblés. Dans l’absolu pourtant, le Rassemblement national (RN) arrive en tête des scrutins (plus de 8 700 000 voix), devant le NFP (à peine 7 000 000 de voix) et un bloc centriste Ensemble, en bon dernier (6 300 000 de voix). Pittoresque mode de scrutin majoritaire, exception française d’ailleurs, où le gagnant du début termine, à la fin des courses, en seconde, voir en troisième position. L’apanage de l’affairisme politique et des intrigues partisanes, me direz-vous. Au moins, elles amusent. Voire les pasionarias de la lutte contre la réforme des retraites appeler à voter pour Elizabeth Borne, et autres Guevara d’amphis permettant le retour en grâce de notre superbe Hollande Ier… Tant qu’il est possible de se poiler, faisons durer la blague. Le plan d’Emmanuel Macron s’est-il déroulé sans accro ? Il est clair en tout cas que la stratégie du blocage en saut de puce fonctionne parfaitement.
Le plus symptomatique dans cette république, c’est cette inaction larvée, cette propension à démocratiquement punaiser sur le mur de la discussion toute possibilité de prise de décision. L’abstention n’est pas le premier parti de France, c’est son mode de fonctionnement depuis que le politique a été « grand remplacé » par la politique. Dans cette élection législative, elle s’est exprimée à plein poumon ! A grands renforts de barrages et d’agitations de castors, les groupuscules de pouvoir ont parfaitement rempli leurs rôles : profs, syndicats, magistrats, artistes, journalistes… Tout le long du fleuve démocratique cathodique, les mammifères à queues plates ont entonné le couplet classique. Tous en chœurs…
« Il y a eu une immense mobilisation de la société civile, avec des convois de la victoire, des syndicalistes qui ont pris leurs responsabilités, et aussi si je puis me permettre, des médias qui ont un peu changé de braquet. (…) Je pense qu’un mouvement s’est levé et qui a concerné la société civile mais aussi les journalistes qui se sont dit : « Qu’est ce qu’on est en train de faire ?! » rappelait doctement Clémentine Autain, « députée purgée » du groupe insoumis, sur le plateau de BFM-TV dimanche soir. Et oui, le front républicain fonctionne toujours, qui en aurait douté ?
Surtout ne pas agir
Dans un esprit purement libéral, la démocratie de marché et d’opinion ne peut entendre l’action. « Choisir, agir, trancher, distinguer », aspirations pourtant essentielles quant à la nécessaire projection des hommes dans une aventure politique, sont des syntagmes suspects, voir menaçants pour le démocrate aux aguets, toujours à mettre en garde contre les hasardeuses aventures du bulletin de vote. Comme le rappelait magnifiquement des contre-révolutionnaires comme Juan Donoso Cortés : « Quant à l’école libérale (…) elle se vante d’être laïque, et, en cette qualité, elle est essentiellement antithéologique ; de là son impuissance à faire de grandes-choses, de ces choses qui donnent à la civilisation une impulsion décisive, car la civilisation est toujours le reflet d’une théologie. Sa fonction propre est de fausser tous les principes en cherchant capricieusement à les combiner les uns avec les autres, et, par une inconcevable absurdité, à les mettre d’accord, alors même qu’ils sont contradictoires.1 » Un commentaire du XIXe siècle fort actuel.
Le volontarisme des réseaux sociaux
L’autre enseignement de cette fantaisie électorale, c’est l’extrême limite du volontarisme. Très en vogue sur les réseaux sociaux, cette propension d’un individu, ou un groupe d’individus, estimant que la seule volonté (la sienne, la leur, évidemment) sera en mesure de modifier le cours des événements, s’est confrontée à un mur. De droite à gauche, les lyriques et parfois colériques déclarations électoralistes se sont échouées sur cet horrible et pourtant évidente réalité : ce ne sont pas les volontés et desiderata qui font les résultats. Ce sont bien les partis, les réseaux, les médias.
L’extrême-centre joue toujours la carte magique de la démocratie, du dialogue, du compromis, soit par élimination des extrêmes, soit par enveloppement des extrêmes. Une stratégie éculée, certes, mais c’est celle qui établit pleinement le contrat républicain depuis les années 1870. Il n’aura suffit que d’une Première Guerre mondiale victorieuse et quelques millions de morts pour assurer sa pleine légitimité. Mais il serait trop demandé aux réseaux sociaux de le comprendre…
Que de temps et d’énergie perdus en chemin de traverse et abâtardissements pseudo-culturels consistant à singer ce qui se fait de plus laid pour pouvoir parler à tous. Or, on ne peut pas prétendre à la juste hiérarchie tout en prônant le bulletin de vote. Irait-on mander à un anarchiste de s’inscrire au RSA ? Non, car l’anarchie est un luxe de millionnaire…
Ceci dit, faut-il se laisser aller au rien faire en attendant l’hypothétique grand soir ? Ça serait tellement plus simple… Bien sûr que non. Car le politique ne se résume pas au bulletin de vote. C’est même son antithèse, et un certain travail accompli depuis maintenant des années dans la bataille dite « culturelle » porte ses fruits. C’est heureux. Et c’est maintenant que les choses seront de plus en plus dures. Une démocratie de marché aux abois ne fera que serrer de plus en plus les vis, provoquant dans les grandes horizontalités les conflits tout en tapant au morlingue les entreprises « non-conformistes ». Peu importe le premier ministre à venir, il sera l’idéal pour le syndicat démocratique, et le garant des valeurs républicaines, en attendant les prochains sondages en désillusion. Voire un porte drapeau de liberté de l’UE, prêt à sacrifier quelques français pour sauver le Dantzig ukrainien.
Belle soirée électorale en tout cas. Le spectacle démocratique et le castor en maître de cérémonie ne sont jamais décevants. L’anarchisme est un luxe de riche. Ne pas bouder son plaisir, un luxe pour tous. Même dans la démocratie, il y a du bon…
- Donoso Cortès, Essai sur le Catholicisme, le libéralisme et le socialisme, 1851 ↩︎