À l’heure où l’homme blanc, constamment dévalorisé, est sommé de se déconstruire, il est bon de se remémorer des histoires qui ont fait sa grandeur. L’une d’entre elles a traversé les siècles et son écho résonne encore dans le cœur de chaque Européen : la bataille des Thermopyles. Cette sanglante défaite qui s’est déroulée en août ou septembre -480 est plus actuelle que jamais. Voici pourquoi.
La criminalisation du mâle blanc est l’une des manœuvres en acte les plus dégueulasses et les plus délétères qui soit. Elle se base sur la mystification et le mensonge : on fait croire à d’entières générations que ce dernier n’aurait fait montre de virilité, de force, de courage et d’honneur que pour son profit personnel, pour dominer arbitrairement. On fait croire que l’Européen est et a toujours été en quête de pouvoir pour une fin en soi, feignant d’ignorer que la puissance fonde la liberté.
La bataille des Thermopyles, acmé du sacrifice d’hommes pour la communauté, rappelle que la liberté se conquiert par de grands actes. Concept dévoyé par excellence, nos boomers et nos petites bourgeoises nés dans la paix et l’abondance, pensent que la liberté revient à “faire ce que l’on veut quand on veut”. Mais la liberté c’est pouvoir choisir son destin. C’est choisir ses actes sans y être contraint par aucune force extérieure. Et pour ce faire, il faut bien être plus fort que ces forces extérieures. Une banalité au Ve siècle avant notre ère, une incompréhension aujourd’hui. Ainsi, c’est pour ne pas subir le joug de l’empire perse et disparaître dans sa masse que des Spartiates ont fait don de leur vie. Une poignée de Spartiates – et leurs alliés thébains et thespiens – sont allés aux devants d’une mort certaine pour le destin du monde grec. On est loin de l’image de masculinistes assoiffés de guerre et de pouvoir…
Les Spartiates sont morts depuis longtemps, et tout semble séparer les citoyens d’aujourd’hui de ces glorieux soldats. Pourtant, les Spartiates étaient des hommes, faits de chair et d’os, de peurs et de courage, de vilenie et de noblesse. Mais c’est le choix et le respect – sévère et implacable – des valeurs auxquelles ils devaient tous obéir, qui en fit des hommes supérieurs. À l’heure des insipides “valeurs de la République” qui n’ont pas plus de sens que de réalité, il est bon de le réaffirmer.
Ces soldats étaient des hommes et rien ne témoigne mieux de cette humanité que les mots d’Agathocle (1), un de ces trois cents héros qui ont choisi de se sacrifier pour faire barrage à l’Autre, et permettre à leurs fils, leurs filles, leur femme et leurs parents de pouvoir rester eux-mêmes.
“ Moi qui dois mourir demain, j’écris ces mots à la lumière d’une torche, en attendant le matin. Je contemple la splendeur des étoiles : l’éclat est très différent de l’obscurité qui enveloppe les cadavres qui s’étendent devant moi. Les mêmes corps qui teignent de rouge la boue que je piétine, dont l’odeur âcre me répugne autant que de savoir que demain je serai l’un d’entre eux. Moi, Agathocle, soldat spartiate, je suis de garde ce soir au col des Thermopyles. Je sais qu’ils nous ont encerclés aujourd’hui et que cet endroit sera ma tombe. À cette seule pensée mon estomac se contracte de froid, comme si le gel de la mort voulait déjà envahir mon corps. C’est pourquoi j’écris avec attention et – ce faisant – mes mains cessent de trembler et je sens que mes craintes s’estompent. Non, je n’essaierai pas de fuir devant les ténèbres. Je préfère écrire. Et ces mots parleront pour moi quand je serai mort. Ils expliqueront pourquoi j’accepte mon destin et pourquoi nous attendons la mort ici. Nous, les spartiates de la garde du roi Léonidas, on dit que nous sommes des hommes justes, que nous avons été choisis parmi ceux qui méprisent le plus les richesses et le luxe, que nous ne nous sommes jamais laissé corrompre par l’or.
Mais, en vérité, je vous le dis, celui qui affirme cela ment.
À Corinthe, nous vîmes pour la première fois de l’or et de l’argent en abondance. Nous nous sommes jetés dessus, impatients de butin. Mais bien vite, nous vîmes un frère se battre avec un autre pour une coupe d’argent, nous vîmes des hommes qui avaient lutté côte à côte se disputer une esclave aux yeux verts. Léonidas nous vit possédés par la cupidité et nous convoqua dans l’agora. Là, il jeta au sol ce qui lui était échu et dit :
« Voici ma part, maintenant vous pouvez vous entre-tuer pour elle ».
Nous, les trois cents hommes de la garde, nous avons eu honte et nous nous sommes débarrassés de nos richesses. Depuis cette nuit-là, nous abandonnâmes les palais de marbre et dormions dans le froid, hors de la ville, sous nos tentes en lin. Tous les hommes de l’armée spartiate nous saluèrent et dirent : « Ceux-là sont des hommes justes qui ne se laissent pas corrompre », en se partageant notre or. Mais il nous en importait peu, car on avait vu le prix de l’opulence et il nous semblait si élevé que pas même un des trois cents n’eut le courage de rester en ville. C’est pourquoi, quand nous reconnûmes Xerxès sur la colline, vêtu de soie et de pierres précieuses, nous le méprisâmes. Ce soir-là, il nous offrit une cargaison d’or pour laisser le passage libre. Nous sentîmes à nouveau le ver de la cupidité en nous et je crois que chacun de nous se trouva à désirer ces richesses et à vouloir abandonner le passage des Thermopyles, et vivre. Mais Léonidas se tenait devant nous. Il nous connaissait et c’est pourquoi il ne nous a pas parlé d’honneur, de gloire ou de patrie, parce qu’il savait qu’en cette occasion ces termes seraient vides à nos oreilles face au mot “vie”.
« Peut-être que l’un d’entre vous veut-il encore vivre à Corinthe ? », dit-il. « Qui le veut peut prendre sa part et m’abandonner, mais à celui qui le fera je lui recommande de charger beaucoup d’or pour oublier le visage des amis qu’il laissera derrière lui, et il lui en faudra prendre encore plus pour oublier le sang de ceux qui mourront pour sa trahison au-delà du col. »
Il dit cela et nous regarda en silence ; personne ne bougea, et aucun d’entre nous ne jeta ses armes. Pendant un instant, juste un instant, nous nous sommes réjouis d’être là avec notre roi. On dit de nous, Spartiates de la garde du roi Léonidas, que nous sommes des hommes de grande valeur, que nous ne méprisons pas la mort mais la lame des armes des ennemis.
Moi, en vérité, je vous dis que celui qui dit cela ment.
Car, en voyant le déploiement de l’ennemi, le cœur se serre. Et nous craignons le tranchant et la douleur des blessures, mais beaucoup plus que cette douleur, nous craignons le mépris de l’ami qui se bat à nos côtés, la honte de la femme qui attend notre retour et le rejet du vieil homme qui a jadis lutté pour nous. Pour tout cela, nous dominons nos craintes et nous luttons, possédés par la force qui brille dans nos yeux.
Mais ce regard n’est pas de la haine pour les ennemis, c’était un regard de frayeur sachant que la mort marche toujours à nos côtés et que n’importe lequel d’entre nous peut être le prochain.
On dit de nous, Spartiates de la garde du roi Léonidas, que nous avons été des hommes loyaux, et que nous avons combattu pour la liberté des Grecs, pour la justice et la loi.
Mais en vérité, je vous dis que celui qui dit cela ment.
Demain à l’aube, nous saisirons nos boucliers et après avoir pris nos lances, nos hymnes de guerre résonneront au rythme de nos pas et nous chargerons les hordes des barbares. Je marcherai coude à coude, occupant ma place dans la phalange, et je sentirai la chaleur et la lumière du soleil, l’odeur du fer et la sueur des hommes, sachant que je ferai tout cela pour la dernière fois. Ma lance se couvrira de sang : je tuerai 10, 100, 1000 barbares, mais cela ne servira pas à grand-chose, parce que mon corps sera transpercé par les lances de l’ennemi, et je mourrai. Mais je ne le ferai pas pour la liberté des Grecs, ni pour la justice, ni pour la loi, et je ne mourrai pas non plus pour Sparte. Je mourrai pour ne pas être esclave, en traînant les chaînes de la servitude dans les déserts de la moyenne. Je mourrai pour venger Agésilas, mon ami, que j’ai vu tomber hier, percé d’une flèche égyptienne. Je mourrai avec Archiloque, qui m’a couvert de son bouclier pendant dix batailles, et me couvrira pour la dernière fois demain.
Je mourrai pour Léonidas qui nous conduit à la mort, mais à qui nous sommes reconnaissants parce qu’avant cela, il fit de nous des hommes. Demain, quand la nuit tombera, de la garde du roi Léonidas il ne restera qu’un monceau de corps sans vie, puis une poignée d’os, et puis plus rien. Peut-être alors, quand on aura oublié le nom de Sparte et que même le vaste empire perse aura succombé à l’oubli, peut-être quelqu’un se souviendra-t-il de notre sacrifice et verra que pour notre mort nous étions justes, courageux et loyaux. Nous étions tout ce que nous ne pouvions pas être en vie. Et alors, ils diront :
« Les Spartiates de la garde du roi Léonidas moururent il y a longtemps, mais leur souvenir reste immortel ». “
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Manifestant l’intérêt atemporel du mythe de Sparte, trois ouvrages ont récemment été publiés :
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Sparte et l’idée spartiate, Des origines au déclin. Frédéric Éparvier, La Nouvelle Librairie éditions, 2024. Dans ce bref ouvrage, l’auteur retrace l’histoire de Sparte et de l’idée spartiate, depuis ses origines à sa chute, exposant en détail les raisons de son âge d’or et les causes de son déclin. Vous pouvez vous le procurer ici.
- Sparte comme modèle, Histoire, hérédité et mythe d’une civilisation immortelle. Collectif, Éditions du Paillon, 2024. Ce recueil de textes insolites retrace lui-aussi l’histoire de la célèbre cité du Péloponnèse dans une première partie. Mais une seconde, plus fournie et plus éclectique, évoque le mythe de Sparte. L’idée de Sparte à travers les siècles, comment a-t-elle été perçue et valorisée par différents courants de pensée, qu’est-ce qui, en Sparte, est éternel. 196 pages. Vous pouvez vous le procurer ici.
Audrey D’Aguanno
Photo : DR
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(1) Nous remercions Les Éditions du Paillon qui nous ont aimablement autorisés à reproduire ce texte, présent dan l’ouvrage Sparte comme modèle, Histoire, hérédité et mythe d’une civilisation immortelle.