par Laurent Guyénot
Dans mon précédent article, « Apollo et l’Empire du Mensonge », j’ai résumé les arguments les plus irréfutables de la thèse du canular lunaire (moon hoax), selon laquelle les missions Apollo furent une mise-en-scène. Je n’ai présenté qu’une petite partie du dossier. Même en se limitant à l’analyse des photos prétendument prises sur la lune, il y a beaucoup plus à dire. Je n’ai pas, par exemple, évoqué l’absence de cratère sous le module lunaire, sur laquelle insista Bill Kaysing, ingénieur chez Rocketdyne et pionnier de cette enquête avec son livre « We Never Went to the Moon: America’s Thirty Billion Swindle » (1976). Étant donné que, de l’aveu de Armstrong lui-même, le sol sur lequel s’est posé le module était composé de « very fine grain, almost like a powder », l’absence de cratère sous le moteur-fusée du module et l’absence de poussière sur les larges semelles des jambes du module (landing pads) sont inexplicables (vérifier en zoomant sur cette image).
Kaysing, soit dit en passant, est l’une des réponses à l’objection la plus courante : « Quelqu’un aurait parlé ! ». Mais pour expliquer qu’il n’y ait pas eu davantage de whistleblowers comme lui, il faut insister sur le fait que l’immense majorité des ingénieurs de la NASA et de ses sous-traits travaillaient sur des projets réels (je vais revenir en particulier sur les fusées Saturn V, bien réelles évidemment). Ceux qu’on a fait travailler pour la mise-en-scène étaient très peu nombreux (et tenu au secret par des contrats extrêmement contraignants). Il suffit d’examiner la finition du module lunaire pour s’en convaincre. Prenons un autre exemple, tiré du documentaire télévisé en 4 parties « Moon Machines » produit en 2008 (dont le fil directeur est la série de coups de chances qui a permis la réussite de toutes les missions Apollo). La conception et la construction du système de guidage du module de commande a été confiée au MIT (très proche de la CIA). On donna cette mission à un jeune ingénieur, Alex Kosmala, qui déclare dans le film (27:30) :
« Il n’y avait pas de cahier des charges. Nous l’avons inventé nous-même. Et ça m’a toujours paru incroyable : pourquoi ai-je été autorisé à programmer quelque chose qui n’avait même pas été spécifié mais qui serait essentiel pour assurer le succès de l’ensemble du programme Apollo ? Je n’y croyais pas, mais c’était comme ça. On l’a inventé au fur et à mesure ! »
On apprend ensuite que le logiciel chargé de guider le module lunaire jusqu’à la surface de la lune fut « écrit presque au dernier moment [as an afterthought] par un ingénieur junior » de 22 ans, Don Isles, qui débutait son tout premier job. Ce logiciel, nous dit-on, « était l’un des programmes les plus compliqués de MIT ait jamais conçus », et il ne fut jamais testé avant de poser Armstrong et Aldrin sur la lune (51:20)1. Confier toutes ces missions inutiles à des jeunes recrues qui savent à peine ce qu’elles font, telle est l’une des clés de l’étanchéité du secret.
Dans le présent article, je vais, comme annoncé, expliquer les motivations géostratégiques et les coulisses de cette mystification. Mais pour commencer, je voudrais encore répondre à une objection courante à la thèse de la mise-en-scène : pourquoi les Russes n’ont-ils pas dénoncé la supercherie ? Il y a plusieurs raisons possibles. Tout d’abord, à défaut de preuves irréfutables et suffisamment simples pour être présentées par exemple devant l’Assemblée des Nations unies, leur dénonciation risquait de se retourner contre eux (« mauvais joueurs ! »). De plus, les Russes étaient vulnérables à la même accusation de mensonge, en particulier sur le voyage orbital de Youri Gagarine en 1961, très probablement factice. Mais surtout, il faut considérer que les Russes avaient plus à gagner en monnayant leur silence : c’est ce qu’on appelle vulgairement le chantage. Sous la présidence de Nixon, au plus fort de la Guerre froide, les États-Unis apportèrent à l’Union soviétique une aide économique, technologique et industrielle considérable. La récente déclaration de Dmitry Rogozin, ancien directeur de l’agence spatiale Roscosmos, nous met sur la voie lorsqu’il dit qu’en exprimant ses doutes sur les missions Apollo, il a été accusé de saper la « sacro-sainte coopération de la Russie avec la NASA »2. Cette coopération date du début des années 60. Elle fut même initiée par Kennedy, comme nous allons le voir. Elle s’intensifia en 1972, lorsque les États-Unis et l’URSS signèrent un « Accord de coopération dans l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques ». La pierre angulaire de cet accord était l’annonce d’un programme de vol expérimental habité conjoint, nommé Apollo-Soyuz Test Project (ASTP). L’accord fut signé par Richard Nixon et par le président du Conseil des ministres de l’URSS, A.N. Kossyguine, en présence de Leonid Brejnev. Il faut bien admettre qu’il y avait un niveau profond à la Guerre froide dont nous ignorons les détails. Nous pouvons néanmoins facilement comprendre que les Soviétiques, s’ils disposaient de preuves que la NASA mentait, avaient mieux à faire qu’abattre leurs cartes publiquement.
Ce n’est qu’une hypothèse. En réalité, nous ne savons pas pourquoi les Russes n’ont rien dit, ni pourquoi ils n’expriment encore aujourd’hui leurs doutes qu’assez timidement. Nous ne savons pas non plus pourquoi Poutine ne dénonce pas publiquement le mensonge du 11-Septembre. Et pourtant, nous savons que c’est un mensonge, et que les preuves sont faciles à produire : cela montre bien que l’objection du silence des Russes, ou des Chinois, n’est pas décisive. Notons toutefois qu’en interne, les Russes ne se gênent pas : un sondage de 2019 montre que seulement 24 pour cent des Russes âgés de 18 ou plus croient que les Américains ont marché sur la lune.3
Comment Johnson nous a fait marcher sur la lune
C’est durant le mandat de Nixon, entre 1969 et 1972, que les Américains sont censés être allés sur la lune pour y planter des drapeaux américains et ramasser des cailloux. Nixon savait-il que les missions étaient truquées ? Mon hypothèse est qu’il était trop intelligent pour ne pas l’avoir compris, mais qu’il a probablement cru à la première (Apollo 11), programmée bien avant son entrée à la Maison-Blanche. Il se serait ensuite trouvé dans l’obligation de participer au mensonge. Il y a trouvé son compte : j’ai évoqué dans mon précédent article tout le prestige qu’il en tira à peu de frais, ainsi que l’utilité de détourner l’attention des Américains et du monde pendant la Guerre du Vietnam. Nixon, par ailleurs, se faisait peu d’illusion sur l’intérêt de dire la vérité en politique. On lui prête cette remarque : « Americans don’t believe anything until they see it on television. »
La paternité du projet Apollo, en tout cas, ne revient pas à Nixon. Elle revient, selon la vulgate, à Kennedy, dont tout le monde connaît le discours du 12 septembre 1962 : « Nous choisissons d’aller sur la lune, non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile » (une phrase qui sonne presque comme un aveu que la vraie raison est cachée). Mais en réalité, Kennedy n’était pas lui-même à l’origine du projet. Il y a cru et l’a soutenu jusqu’à la fin 1962, mais il était sur le point de tout arrêter en 1963. « Dans les semaines qui ont précédé son assassinat, John F. Kennedy cherchait à se retirer de la course à la lune », explique Charles Fishman, auteur d’un article de 2019 intitulé « Si le président Kennedy n’avait pas été tué, aurions-nous atterri sur la lune le 20 juillet 1969 ? Cela semble peu probable »4. David Baker écrit dans son livre « The Apollo Missions : The Incredible Story of the Race to the Moon » (2018) :
« Généralement crédité pour avoir initialisé et jamais démenti l’expansion du programme spatial, Kennedy avait en réalité tenté de revenir sur sa décision à plusieurs reprises avant son assassinat le 22 novembre 1963. Dès le départ, il n’avait jamais voulu sélectionner l’objectif de la lune, et cherchait une alternative qui serait une réponse plus durable aux réalisations spatiales soviétiques. […] 18 mois après [son discours sur la lune au Congrès en mai 1961], il cherchait désespérément des moyens de rompre cette engagement. Son assassinat a empêché cela, et a galvanisé la NASA dans un engagement encore plus profond. »5
La véritable paternité du projet revient à Lyndon Johnson. « Peu de gens aujourd’hui le savent ou s’en souviennent, déclare Alan Wasser, mais un seul homme, Lyndon Baines Johnson, dit LBJ, est le principal responsable de la « course à l’espace » du début à la fin »6. « Apollo 11 n’aurait pas vu le jour sans Lyndon Johnson », confirme Michael Marks, citant John Logsdon, professeur au Space Policy Institute de l’Université George Washington et auteur de « John F. Kennedy and the Race to the Moon » (Macmillan, 2010)7. Il y a un large consensus sur ce point parmi les historiens de la NASA.
Dans un article intitulé « Lyndon Johnson’s Unsung Role in Sending Americans to the Moon », Jeff Shesol rappelle le rôle déterminant de Johnson dans la fondation de la NASA en 1958 :
« Le 4 octobre 1957, quelques heures après avoir appris que l’Union soviétique avait mis en orbite le premier satellite, le Spoutnik, Johnson, alors chef de la majorité au Sénat, s’est saisi de la question de l’exploration spatiale. Avant la fin de la soirée, il travaillait le téléphone et parlait à ses assistants, esquissant des plans pour une enquête sur le programme américain anémique. George Reedy, un membre du personnel de Johnson, l’informa que la question pourrait « faire sauter les Républicains, unifier le Parti démocrate et vous faire élire président. […] Vous devriez envisager de vous impliquer profondément dans cette question ». […] Le président Dwight D. Eisenhower avait résisté à l’établissement de ce qu’il appelait, par moquerie, « un grand département de l’espace », mais Johnson, et les circonstances, sont venus à bout de ses résistances. La NASA a été leur création conjointe. »8
Après avoir remporté l’élection présidentielle en novembre 1960, John Kennedy mit en place des « équipes de transition » de haut niveau pour le conseiller sur des questions clés. Son équipe sur l’espace était présidée par le professeur du MIT Jerome Wiesner, qui était déjà membre du comité consultatif scientifique d’Eisenhower. Le 10 janvier 1961, Wiesner remit à Kennedy un « rapport au président élu du comité ad hoc sur l’espace », qui reflétait le scepticisme général de la communauté scientifique quant à la faisabilité des vols spatiaux habités au-delà de l’orbite terrestre9. Il mentionnait, parmi les « nouvelles découvertes scientifiques d’une grande importance » récemment obtenues avec des satellites et des sondes spatiales lointaines, « la grande ceinture de rayonnement, piégée dans le champ magnétique terrestre ». Par conséquent, écrit-il : « Pour le moment […] l’exploration spatiale doit se limiter à des véhicules sans pilote ». Wiesner savait que les Ceintures Van Allen étaient impossibles à traverser pour un équipage humain.
Kennedy nomma Wiesner président de son Comité consultatif scientifique. Wiesner demeura un adversaire farouche du programme Apollo, comme on peut le lire sur sa page Wikipedia : « Il était un critique virulent de l’exploration habitée de l’espace extra-atmosphérique, croyant plutôt aux sondes spatiales automatisées ». Wiesner était également un ardent défenseur de la coopération internationale plutôt que de la concurrence dans l’exploration spatiale, comme il l’indiquait dans son rapport de janvier 1961 :
« les activités spatiales, en particulier dans les domaines des communications et de l’exploration de notre système solaire, offrent des possibilités passionnantes de coopération internationale avec toutes les nations du monde. Les projets spatiaux très ambitieux et à long terme prospéreraient s’ils pouvaient être réalisés dans une atmosphère de coopération en tant que projets de toute l’humanité plutôt que dans l’atmosphère actuelle de compétition nationale. »
C’était aussi la conviction profonde de Kennedy, comme nous le verrons. Mais lorsque l’astronaute soviétique Youri Gagarine fut proclamé la première personne dans l’espace le 12 avril 1961, Kennedy se retrouva sous une pression intense. Son vice-président Johnson se porta volontaire pour mener un examen urgent afin d’identifier un « programme spatial qui promette des résultats spectaculaires dans lesquels nous pourrions gagner ». Il amena de hauts responsables de la NASA à la Maison-Blanche et, le 28 avril, remit à Kennedy un mémorandum intitulé « Evaluation of Space Program ». Le mémo assurait le président de la faisabilité d’un « atterrissage et d’un retour en toute sécurité d’un homme sur la lune d’ici 1966 ou 1967 », si « un effort sérieux » était fait. Johnson résuma l’intérêt du projet en ces termes :
« Les autres nations, indépendamment de leur appréciation de nos valeurs idéalistes, auront tendance à s’aligner sur le pays qu’elles croient être le chef de file mondial — le gagnant à long terme. Les réalisations spectaculaires dans l’espace sont de plus en plus considérées comme un indicateur majeur du leadership mondial. »10
Kennedy se laissa séduire par la perspective d’un tel exploit durant sa présidence. Le 25 mai 1961, 43 jours après l’exploit de Gagarine, il délivra devant le Congrès un message sur les « besoins nationaux urgents », demandant 7 à 9 milliards de dollars supplémentaires au cours des cinq prochaines années pour le programme spatial. Kennedy déclarait être parvenu, « avec les conseils du vice-président, qui est président du Conseil national de l’espace », à la conclusion suivante :
« Je crois que cette nation devrait s’engager à atteindre l’objectif, avant la fin de cette décennie, de faire atterrir un homme sur la lune et de le ramener en toute sécurité sur Terre. Aucun projet spatial de cette période ne sera plus impressionnant pour l’humanité ou plus important pour l’exploration spatiale à longue distance. »11
En tant que président du Conseil national de l’aéronautique et de l’espace, Johnson avait les mains libres pour enrôler ses propres hommes dans la course à la lune. Il fit nommer James E. Webb administrateur de la NASA.
Johnson profita aussi du soutien de son ami pétrolier, le sénateur Robert Kerr. Dans ses mémoires, « Wheeling and Dealing : Confessions of a Capitol Hill Operator », le secrétaire personnel de Johnson, Bobby Baker, rapporte avoir collecté en espèce un demi-million de dollars de pots-de-vin pour Kerr12. D’une corruption sans limite, Johnson s’arrangea pour attribuer à ses partenaires d’affaire texans une grande partie des contrats.
Près d’un an et demi après son discours au Congrès, en septembre 1962, Kennedy visita un certain nombre d’installations spatiales à travers le pays. L’ingénieur en chef de la NASA, Wernher von Braun, a rapporté qu’en regardant la fusée Saturn V en construction au Marshall Space Flight Center de la NASA (Huntsville, Alabama), Kennedy paraissait dubitatif et, se tournant vers lui, lui dit : « Ne pensez-vous pas que nous avons eu les yeux plus gros que le ventre ? »13 Néanmoins, Kennedy prononça le lendemain (12 septembre), son discours « Nous choisissons d’aller sur la lune » à la Rice University à Houston, Texas, près du site de ce qui allait devenir le Manned Spacecraft Center (rebaptisé Lyndon B. Johnson Space Centre en 1973).
Un mois plus tard, c’était la crise des missiles de Cuba. Elle eut un impact profond sur la conception de Kennedy de la Guerre froide et augmenta ses doutes sur la pertinence de la course à la lune. Le 21 novembre 1962, il convoqua à la Maison-Blanche neuf hauts responsables de la NASA et membres de l’administration, dont James Webb et Jerome Wiesner. Il ressort de cette conversation enregistrée (audio ici, transcription ici, commentaires utiles sur ce podcast) que Webb était loin d’être convaincu que la NASA pourrait envoyer des hommes sur la lune : « Il y a de vraies inconnues quant à savoir si l’homme peut vivre dans des conditions d’apesanteur, où même si on pourrait faire l’alunissage ». Wiesner a ajouté : « Nous ne savons rien de la surface de la lune et nous faisons les suppositions les plus folles sur la façon dont nous allons atterrir sur la lune ». Kennedy conclut :
« Tout ce que nous faisons devrait vraiment être lié à l’objectif d’aller sur la lune avant les Russes. […] Sinon, nous ne devrions pas dépenser autant d’argent, car je ne suis pas très intéressé par l’espace. […] Je suis prêts à dépenser des sommes raisonnables, mais nous parlons ici de dépenses fantastiques qui ruinent notre budget et [pénalisent] tous ces autres programmes nationaux ; et la seule justification, à mon avis, pour le faire est parce que nous espérons les battre. »
Comme le dit Lillian Cunningham en commentaire dans le podcast Moonrise, « La tension entre Kennedy et Webb n’a cessé de monter au cours de l’année suivante. […] Le Congrès commençait à se lasser de dépenser tout cet argent ; le programme prenait du retard ; et Kennedy entrait maintenant dans une année électorale avec cet albatros autour du cou »14. En plus de cela, l’ancien président Eisenhower critiquait publiquement le projet lunaire. Kennedy a néanmoins continué à le soutenir en public, mais avec une inquiétude croissante.
Le 18 septembre 1963, il convoqua Webb à nouveau pour lui faire part de ses doutes sur la possibilité et l’intérêt d’envoyer des hommes sur la lune. « Je vais entrer en campagne en défendant ce programme et nous n’avons rien à montrer depuis un an et demi », se plaint Kennedy dans cette conversation enregistrée. Anticipant que le Congrès réduirait le budget, il demanda à Webb : « Si je suis réélu, nous n’irons pas sur la lune sous ma présidence, n’est-ce-pas ? » Webb répondit : « Non, on n’y arrivera pas. Ça prendra plus longtemps que ça. C’est une mission difficile, vraiment difficile ». Un moment plus tard, Kennedy demande à Webb : « Pensez-vous que la mission humaine sur la lune soit une bonne idée ? » Il se disait préoccupé par le fait que cela coûtait « un sacré paquet d’argent », et suggérait d’envoyer plutôt des sondes, qui selon lui pourraient enrichir nos connaissances scientifiques à moindre coût. « Mettre un homme sur la lune ne vaut pas tous ces milliards de dollars », dit-il. Webb insista qu’il était trop tard pour changer de plan15. Mais Kennedy tira ses propres conclusions de cet ultime entretien.
« Allons-y ensemble ! »
Deux jours après cette conversation, le 20 septembre 1963, Kennedy surprit Webb, la NASA et le monde entier en proposant, dans un discours prononcé à l’Assemblée générale des Nations unies, qu’au lieu de chercher à prendre l’Union soviétique de vitesse dans la course à la lune, les États-Unis collaboreraient volontiers avec l’Union soviétique dans l’exploration spatiale :
« dans un domaine où les États-Unis et l’Union soviétique ont une capacité particulière – dans le domaine spatial – il y a place pour de nouvelles coopérations. […] J’inclus parmi ces possibilités une expédition conjointe sur la lune. […] Pourquoi le premier vol de l’homme vers la lune devrait-il être une question de compétition nationale ? […] Nous devrions certainement étudier si les scientifiques et les astronautes de nos deux pays – et même du monde entier – ne pourraient pas travailler ensemble à la conquête de l’espace, en envoyant un jour de cette décennie sur la lune, non pas les représentants d’une seule nation, mais des représentants de tous nos pays. »16
Comme le commente Charles Fishman : « Le président qui avait passé plus de deux ans à expliquer pourquoi la course à la lune était une question de compétence et de prééminence nationales, un combat entre la démocratie et le totalitarisme, proposait maintenant exactement le contraire »17. Ce fut par euphémisme que le New York Times écrivit en première page le lendemain : « Washington est surpris par la proposition du Président »18. Dans une interview donné en 1969, Webb interpréta correctement le discours de Kennedy aux Nations unies comme donnant le « sentiment que ce n’était que le début d’un groupe autour de lui [Kennedy] qui voulait retirer son soutien. »19
En fait, l’attitude de Kennedy était loin d’être nouvelle, et seuls ceux qui n’avaient pas pris au sérieux les discours précédents de Kennedy pouvaient être surpris. Dans son discours sur l’état de l’Union du 30 janvier 1961, Kennedy avait déclaré :
« Cette administration a l’intention d’explorer rapidement tous les domaines possibles de coopération avec l’Union soviétique et d’autres nations “pour invoquer les merveilles de la science au lieu de ses terreurs”. Plus précisément, j’invite maintenant toutes les nations, y compris l’Union soviétique, à se joindre à nous pour développer un programme de prévision météorologique, dans un nouveau programme de satellites de communication et en préparation pour sonder les planètes lointaines de Mars et de Vénus, des sondes qui pourraient un jour dévoiler les plus profonds secrets de l’univers. Aujourd’hui, ce pays est en avance dans la science et la technologie de l’espace, tandis que l’Union soviétique est en avance dans la capacité de mettre de gros véhicules en orbite. Les deux nations s’aideraient elles-mêmes ainsi que d’autres nations en retirant ces efforts de la concurrence amère et inutile de la guerre froide. »20
Dix jours seulement après son discours au Congrès du 25 mai 1961, lors de son unique rencontre face à face avec le Premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev à Vienne, Kennedy suggéra que les États-Unis et l’URSS devraient aller ensemble sur l’exploration de la lune. Khrouchtchev répondit favorablement dans un premier temps, mais se rétracta le lendemain, au motif qu’un accord sur le désarmement devait primer.21
Cependant, un an plus tard, le 20 février 1962, lorsque les États-Unis réussirent l’exploit de faire orbiter John Glenn trois fois autour de la Terre, Khrouchtchev envoya à la Maison-Blanche un télégramme de félicitations, suggérant :
« si nos pays unissaient leurs efforts – scientifiques, techniques et matériels – pour maîtriser l’univers, cela serait très bénéfique pour l’avancée de la science et serait joyeusement acclamé par tous les peuples qui souhaitent que les réalisations scientifiques profitent à l’homme et ne soient pas subordonnées à la “Guerre froide” et à la course aux armements. »
Kennedy informa aussitôt Khrouchtchev qu’il « chargeait les membres appropriés de ce gouvernement de préparer des propositions concrètes pour des projets immédiats d’action commune dans l’exploration de l’espace », et moins d’un mois plus tard, il soumit une première proposition portant sur « un système de satellite météorologique opérationnel ». Dans les mois qui suivirent et jusqu’à la mort de Kennedy, des discussions et des accords se nouèrent entre la NASA et l’Académie soviétique des sciences.22
Nous voyons que, sur la scène domestique, le président Kennedy parlait de battre les Soviétiques dans la course à la lune, tandis que sur la scène diplomatique internationale, il essayait de changer de paradigme et de transformer la compétition en coopération. Khrouchtchev était dans la même situation que Kennedy : il devant maintenir chez lui une attitude guerrière afin de garder le contrôle de son propre gouvernement, mais faisait savoir à Kennedy qu’il partageait sa vision.
Il y avait néanmoins une différence dans leur approche : Khrouchtchev ne voulait pas entendre parler de la lune. Il en savait suffisamment pour ne pas entraîner son pays dans une aventure impossible. Il n’a donc jamais répondu favorablement à l’invitation de Kennedy, formulée le 20 septembre 1963 à l’ONU, pour « une expédition conjointe sur la lune ». Il a même commenté peu après avec ironie, dans le journal gouvernemental Izvestia :
« À l’heure actuelle nous ne prévoyons pas d’envoyer des cosmonautes sur la lune. J’ai lu un rapport selon lequel les Américains souhaitaient marcher sur la lune avant 1970. Et bien, nous leur souhaitons de réussir. Et nous verrons comment ils volent jusque là-bas et comment ils vont y atterrir, ou pour être plus correct, “alunir” là-bas. Et le plus important : comment ils vont décoller à nouveau et revenir. »23
Loin d’être un revers pour Kennedy, l’indifférence officielle des Soviétiques pour la lune était peut-être exactement ce dont Kennedy avait besoin pour déclarer que, étant donné que les Russes n’essayaient même pas d’aller sur la lune, il n’y avait pas de « course à la lune » après tout. Il y a une indication très claire que, à partir de ce moment, Kennedy se préparait à passer à d’autres projets plus raisonnables et plus utiles. Lors de son voyage fatal au Texas, il s’arrêta à San Antonio pour inaugurer un centre consacré à la recherche en médecine spatiale. Il déclara à cette occasion à quel point il était heureux de voir que les États-Unis rattrapaient les Soviétiques dans l’espace et les dépasseraient bientôt dans certains domaines importants. Dans le discours qu’il s’apprêtait à prononcer à Dallas avant d’être assassiné, Kennedy aurait déclaré qu’en raison du programme spatial énergique de son administration, « il n’y a plus de doute sur la force et l’habileté de la science américaine, de l’industrie américaine, de l’éducation et du système américain de libre entreprise »24. Cela signifiait implicitement que les États-Unis n’avaient rien à prouver en allant sur la lune.
Concours de fusées
Afin de comprendre le dilemme de Kennedy, la pression qu’il subissait et sa chorégraphie élaborée avec Khrouchtchev, il est essentiel de comprendre que la lune n’était pas l’enjeu véritable de la course à la lune. Kennedy l’a dit lui-même lors d’une conférence de presse le 31 octobre 1963 : « Selon moi, le programme spatial que nous avons est essentiel pour la sécurité des États-Unis, parce que, comme je l’ai dit souvent, la question n’est pas d’aller sur la lune. La question est d’avoir la compétence pour maîtriser cet environnement »25. Kennedy n’aurait pu se permettre de le dire plus clairement dans un cadre publique, mais le sens était évident : la course à la lune était une couverture civile pour la recherche, le développement et le déploiement de systèmes de surveillance par satellite, ainsi que de missiles balistiques intercontinentaux capables d’emporter des ogives nucléaires. Le fait que la NASA employait l’ingénieur expatrié Wernher von Braun – l’un des concepteurs des fusées V-2 d’Hitler – rendait la chose presque transparente.
Il ne fait aucun doute que le soi-disant « programme spatial civil » de la NASA était d’abord et avant tout une couverture pour un programme militaire. Le NASA Act signé par Eisenhower en 1958 prévoyait explicitement une collaboration étroite avec le ministère de la Défense. Tout ceux qui ont entendu parler du « complexe militaro-industriel » savent que c’est Eisenhower qui le premier a employé cette expression lors de son discours d’adieu, pour mettre en garde les Américains contre le « risque d’une montée désastreuse du pouvoir entre de mauvaises mains ». Ironiquement, la fondation de la NASA par Eisenhower a été en soi un pas de géant pour le complexe militaro-industriel. En pratique, le Pentagone participa à toutes les décisions concernant les programmes Mercury, Gemini et Apollo. Erlend Kennan et Edmund Harvey ont documenté ce point dès 1969 dans leur livre « Mission vers la lune : un examen critique de la NASA et du programme spatial », et ont conclu :
« Il demeure impératif que la NASA conserve son statut de hall d’exposition de l’ère spatiale afin de récolter le soutien du public pour tous les projets spatiaux et donner aux efforts spatiaux du ministère de la Défense une « couverture efficace. »26
Cette couverture ne visait pas à tromper les Soviétiques, mais les Américains. Les dirigeants soviétiques, eux, savaient bien à quoi servaient les roquettes. Outre le lancement de satellites à des fins d’espionnage, la NASA devait contribuer au développement de fusées transcontinentales capables de porter des têtes nucléaires. Car après la Seconde Guerre mondiale, l’équation était simple : « Fusée + bombe atomique = puissance mondiale. »27
C’est pourquoi Kennedy était sous la pression des Cold Warriors qui dominaient le Pentagone, et ce qu’on nomme le National Security State, dont la CIA était la cheville ouvrière. Wiesner expliqua, en des termes aussi limpides qu’il lui était permis, le dilemme de Kennedy, dans une interview de 1990 :
« Kennedy était, et n’était pas, pour l’espace. Il me disait : « Pourquoi ne trouvez-vous pas autre chose que nous puissions faire ? » Nous n’avions rien d’autre. L’espace était la seule chose que nous pouvions faire pour montrer notre puissance militaire […] Ces fusées étaient un substitut à la puissance militaire. Il n’y avait pas de réelles alternatives. Nous ne pouvions pas abandonner la course à l’espace, et nous ne pouvions pas nous condamner à être deuxième. Nous devions faire quelque chose, mais la décision était douloureuse pour lui. »
Dès 1967, Wiesner avait confié à l’historien John Logsdon que Kennedy avait désespérément recherché un autre grand projet « qui serait plus utile – disons par exemple le dessalement de l’océan – ou quelque chose d’aussi dramatique et convaincant que l’espace », mais « il y avait tellement de connotations militaires […] dans le programme spatial qu’on ne pouvait pas faire un autre choix. »28
Wiesner partageait la difficulté de Kennedy. Sa notice nécrologique sur le site du MIT le décrit comme « une figure clé de l’administration Kennedy dans la création de l’Agence pour le contrôle des armements et pour le désarmement, dans la conclusion du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires d’octobre 1963, et dans les efforts fructueux visant à restreindre le déploiement de systèmes de missiles anti-balistiques. »29
Dans « JFK et l’Indicible », James Douglass a raconté avec talent les efforts déterminés de Kennedy pour mettre fin à la course aux armements et abolir les armes nucléaires. Dans un discours historique à l’Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 1961, Kennedy déclara « son intention de défier l’Union soviétique, non pas dans une course aux armements, mais dans une course à la paix – pour avancer ensemble pas à pas, étape par étape, jusqu’à ce qu’un désarmement général et complet soit réalisé ». Khrouchtchev répondit favorablement à ce discours. Il applaudit également le célèbre « discours de paix » de Kennedy du 10 juin 1963 à l’Université américaine de Washington, le qualifiant de « plus grand discours d’un président américain depuis Roosevelt ». Il le fit traduire intégralement dans la Pravda, et le fit lire à la radio.30
En septembre 1963, Khrouchtchev et Kennedy avaient échangé une vingtaine de lettres dans le cadre d’une correspondance secrète, contournant les canaux officiels, visant à apaiser les tensions et à vaincre la pression de leurs appareils militaires respectifs. Dans son discours à l’ONU du 20 septembre 1963, cité plus haut, Kennedy liait sa proposition d’expédition jointe vers la lune à l’objectif de mettre fin à la course aux armements : « L’Union soviétique et les États-Unis, avec leurs alliés, peuvent conclure d’autres accords – des accords qui découlent de notre intérêt mutuel à éviter une destruction mutuelle. »
Inviter Khrouchtchev dans le projet lunaire, c’était couper l’herbe sous les pieds des faucons du Pentagone, car cela ne pouvait que signifier la fin de la compétition pour les fusées balistiques. C’était un coup de maître : que Khrouchtchev ait répondu favorablement ou qu’il ait proposé un autre domaine de coopération à la place – comme il le fit -, cela sonnait la fin de la course à la lune comme couverture pour la course aux armements. Compte tenu de la persistance de Kennedy de 1961 à 1963 et de la réponse de plus en plus ouvertement positive de Khrouchtchev, il y a même une chance que, si Kennedy avait vécu un deuxième mandat, la recherche spatiale aurait servi de cadre et de tremplin pour le désarmement. C’était en tout cas, très clairement, la vision de Kennedy.
Cette possibilité a été brisée lorsque Johnson prit le contrôle de la Maison-Blanche. Jerome Wiesner fut remplacé par Donald Horning (il retourna au MIT, dont il devint président en 1971). Huit jours à peine après l’assassinat de Kennedy, Johnson demanda au Congrès davantage d’argent pour la course à la lune de la NASA, ce qui signifiait, incidemment, plus d’argent pour ses partenaires commerciaux texans31. Sous Johnson, le Texas est devenu le cœur économique de la NASA, qui contribue encore aujourd’hui à plus de 4,7 milliards de dollars à l’économie de l’État et à 90% de l’économie de la région, selon des sources officielles. Nous ne saurons jamais combien de pot-de-vin Johnson a reçu au cours du processus.
Curieusement, James Webb, qui avait supervisé le projet Apollo depuis le début sous l’impulsion de Johnson, ne souhaita pas rester à bord jusqu’à la réalisation de ce « pas de géant pour l’humanité » ; il démissionna lorsque Johnson annonça qu’il ne se représenterait pas en 1968. Toute cette histoire ne prouve pas, bien entendu, que Kennedy fut assassiné pour permettre à la NASA de tromper le monde par les missions Apollo. Il y avait d’autres enjeux autrement plus importants, que je détaille dans mon livre « Qui a maudit les Kennedy ? » (KontreKulture, 2021) et dans le film « Israël et le double assassinat des frères Kennedy ». Néanmoins, compte tenu de l’implication certaine et centrale de Johnson dans l’assassinat de son président, l’affaire Apollo constitue une pièce non négligeable dans ce dossier.
- https://vimeo.com/673970849, cité dans Dave McGowan, « Wagging the Moondoggie », p. 121.
- https://reseauinternational.net/russie-lancien-responsable-de-lagence-spatiale-roscosmos-remet-en-question-lalunissage-dapollo-11
- https://www.rferl.org/one-small-step-for-hollywood-in-russia-denying-moon-landings-may-be-matter-of-national-pride
- Charles Fishman, « Si le président Kennedy n’avait pas été tué, aurions-nous atterri sur la lune le 20 juillet 1969 ? Cela semble peu probable »
- David Baker, « The Apollo Missions : The Incredible Story of the Race to the Moon », Arcturus, 2018, p. 55.
- Alan Wasser, « LBJ’s Space Race : What we didn’t know then (part 1) », The Space Review
- Michael Marks, « Why Apollo 11 Wouldn’t Have Happened Without Lyndon Johnson », 19 juillet 2019. Un article plus court de John Logsdon peut être téléchargé ici.
- Jeff Shesol, « Lyndon Johnson’s Unsung Role in Sending Americans to the Moon
- Wiesner Committee, « Report to the President-Elect of the Ad Hoc Committee on Space », 10 janvier, 1961
- https://history.nasa.gov/Apollomon/apollo2.pdf
- « President Kennedy Challenges NASA to Go to the Moon », https://www.youtube.com/watch?v=GmN1wO_24Ao
- Andrew Cockburn, « How the Bankers Bought Washington : Our Cheap Politicians », CounterPunch)
- Moonrise podcast, https://www.washingtonpost.com/podcasts/moonrise/jfk-and-the-secret-tapes/
- https://www.washingtonpost.com/jfk-and-the-secret-tapes
- Meetings : Tape 111, Lunar Program (James Webb), 18 September 1963, https://www.jfklibrary.org
- « President Kennedy Speaks at UN on Joint Moon Flight (1963) »
- Charles Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely »
- John W. Finney, « Washington is Surpised by President’s Proposal », Sept. 21, 1963, https://www.nytimes.com
- Cité dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », Palgrave Macmillan, 2010, p. 213.
- https://www.jfklibrary.org/archives
- Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. x.
- Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 168 et 160
- Izvestia, 25 octobre 1963, cité dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », p. 187.
- Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely ».
- Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 198.
- Cité dans Gerhard Wisnewski, « One Small Step ? The Great Moon Hoax and the Race to Dominate Earth From Space », 2005, Clairview Books, p. 296.
- Wisnewski, « One Small Step ? » op. cit., p. 62.
- Ces deux interviews de Wiesner sont citées dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 83.
- Source : en.wikipedia.org/wiki/Jerome_Wiesner
- Les principaux discours de Kennedy en faveur de la paix sont reproduits dans le livre de James Douglass, « JFK et l’indicible. Pourquoi Kennedy a été assassiné », Demi-Lune, 2013, pp. 390-392.
- Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely »
https://reseauinternational.net/kennedy-johnson-et-la-course-a-la-lune/