Une question taraudera longtemps les historiens qui, dans cinquante, cent ou deux cents ans, se demanderont comment un pays qui disposait et dispose encore de tant d’atouts a pu se saborder comme la France s’évertue à le faire depuis cinquante ans…
Autodestruction et marigot bruxellois
Car il s’agit bien d’une autodestruction à laquelle nous assistons. On aurait pu admettre que, vaincu par une force supérieure, après un beau et long combat, notre vieux pays se soit replié sur lui-même, pour essayer de retrouver en son for intérieur les quelques forces vitales qui lui resteraient nécessaires. Mais non, il semblerait plutôt que, quel que soit le sujet, depuis la révolution sociale de la fin des années soixante d’une jeunesse trop gâtée, ses gouvernants se soient mis en tête de détruire systématiquement tout, absolument tout ce qui faisait sa force, et jadis sa grandeur. Comme généralement ils n’ont pas d’enfants, ils se contrefoutent de ne laisser derrière eux qu’un immense champ de ruines.
Et le coup d’État de Frau Ursula von der Leyen, auquel nous venons d’assister, n’en est qu’un exemple de plus.
Soyons francs, je n’avais pas beaucoup d’estime pour Thierry Breton, qui avait du mal à trouver des chapeaux au diamètre de son tour de tête, mais son éviction, sans combat, puis son remplacement par Stéphane Séjourné ne sont pas de bon augure pour la place de la France dans le marigot bruxellois, surtout face à « l’impératrice » qui a bien compris que, devant l’affaiblissement de Macron et de Scholz, il était temps de prendre le pouvoir. Franchement, entre le petit marquis de Macron et Attal, et les fonctionnaires de Bruxelles, il n’y aura pas photo.
Le réquisitoire d’Henri Proglio
Mais revenons à notre mouton. Henri Proglio, qui fut entre autres PDG d’EDF de 2009 à 2014, raconte dans L’étrange débâcle – Comment la France a perdu sa souveraineté énergétique, un petit livre qui se lit facilement ce que furent ses combats, souvent perdus, pour essayer de préserver ce formidable outil de souveraineté qu’est EDF. Une image me revient en tête, c’est le diagramme réalisé par le journal Élucid (classé à gauche, mais enfin il arrive que le diable porte pierre), qui montre l’effroyable bordel qui a été créé par les idéologues de Bruxelles, et les énarques de Bercy.
Là où nous avions un industriel qui fournissait une électricité décarbonée et compétitive (grâce au nucléaire, il ne faut jamais arrêter de le dire et de l’écrire), les Bruxellois et leurs supplétifs ont détruit sciemment cet outil pour servir l’idéologie « escrologiste[1] », et les intérêts de l’industrie allemande. Christian Harbulot, qui dirige la très remarquable École de guerre économique a parfaitement démontré comment le gouvernement allemand avait financé via les fondations Rosa Luxembourg (on rêve) et Heinrich Böll la politique de désinformation contre le nucléaire français[2].
Henri Proglio identifie quatre étapes dans ce travail de destruction :
- La création d’Areva par le sherpa de Mitterrand, Anne Lauvergeon, qui, tout à ses rêves de gloire industrielle, enfonça le premier coin dans le monopole d’EDF sur le nucléaire. Et non, monopole n’est pas un gros mot, car sur certaines technologies ou industries, il est bon d’avoir un champion national. Regardez Dassault, par exemple.
- L’Energiewende (ou nouvelle ère énergétique), mise en place en Allemagne entre 2008 et 2012 (donc par la néfaste Angela Merkel, dont il faudra un jour faire le triste bilan), ayant été marquée par la sortie du nucléaire dans un but électoraliste, et qui entraînera la mise au pilori d’EDF en Allemagne, et donc à Bruxelles (Commission et Parlement).
- La mise en concurrence des KWh d’EDF, dite loi Nome (Nouvelle organisation du marché électrique) plus connue sous le nom de Arenh, issue des recommandations de la commission Champsaur, du nom d’un haut fonctionnaire nommé par MmeLagarde et M. Borloo afin de libéraliser le marché de l’électricité. En substance, 25 % de l’électricité produite par EDF devait être vendue à ses concurrents. Cela revenait à permettre à ces sociétés de s’enrichir sans risque (le risque est pourtant la seule justification du profit).
- La séparation d’EDF de son réseau de distribution (RTE, ENEDIS), afin de favoriser la concurrence, mais qui a, en fait, affaibli l’énergéticien national. Imagine-t-on une société dont le réseau commercial serait mis gratuitement à la disposition de ses concurrents ?
Henri Proglio tire un constat accablant de cette politique « drivée » [menée, ndlr] par l’idéologie et l’incompétence : « Ces quatre ans d’attaques incessantes ont vu la réunion d’une invraisemblable veulerie du politique, de la légèreté technocratique et du renoncement collectif face à ce qui incarne une idéologie dominante[3]. »
En bref, un témoignage éclairant sur la catastrophe qui frappe notre pays, car, comme le dit Loïk Le Floch-Prigent, pour se développer un pays a besoin d’une énergie peu chère, abondante et souveraine.
En revanche, on aurait aimé qu’Henri Proglio creuse et analyse un peu plus les causes de cet effondrement, car, à part quelques portraits plutôt bienveillants (Borloo, Royal), il passe rapidement sur les motivations de tous les coupables de cette « étrange débâcle ».
Frédéric Éparvier 28/09/2024
Notes
[1] Cet excellent néologisme est de Franz-Olivier Giesbert.
[2] www.ege.fr
[3] Proglio (Henri), L’Étrange Débâcle, p. 117.
https://www.polemia.com/letrange-debacle-comment-la-france-a-perdu-sa-souverainete-energetique/