Les contacts entre Mussolini et les autorités britanniques n’étonneront que ceux qui croient encore à l’histoire officielle de la deuxième guerre mondiale. Ces contacts sont d’autant moins surprenantes que l’on sait, depuis les révélations du Guardian, il y a une douzaine d’années, que Mussolini était un agent du service de renseignement britannique, le MI5, avec un salaire de £100 (6400 € d’aujourd’hui) par semaine ~ RI
Voilà qui a de quoi faire sursauter, Winston Churchill1 entretenant une correspondance personnelle avec son « ennemi juré », Benito Mussolini, non seulement avant, mais aussi pendant la guerre, et le plus fort, c’est ce que contenaient ces lettres.
par Marc Roland.
Objet de multiples controverses en Italie et, bien que dans une moindre mesure, en Angleterre et en Amérique, la correspondance personnelle entretenue par Winston Churchill avec Benito Mussolini – avant et pendant la guerre – reste pour ainsi dire complètement ignorée du reste du monde. L’existence d’une telle communication entre deux hommes d’État d’envergure internationale qui, au moins pour le public, s’affichaient en ennemis jurés, pourrait au fond n’avoir qu’un intérêt assez marginal, voire ne pas apparaître si exceptionnelle, n’était-ce le contenu sensationnel et potentiellement d’une portée incalculable qu’on prête à ces échanges.
C’est ainsi que les lettres auraient pu révéler qu’en mai 1940, alors qu’il venait d’être nommé Premier ministre, Churchill aurait essayé de s’allier l’Italie, de la retourner contre Hitler, en lui proposant des territoires d’autres nations, dont certaines – comme la France et la Grèce – étaient alliées à la Grande-Bretagne. Au cours du mois d’octobre qui a suivi, Churchill aurait demandé la protection personnelle de Mussolini envers les dirigeants de l’Axe au cas où l’Angleterre devrait se rendre.
Avant que l’année ne s’achève, Churchill, dans une nouvelle lettre au Duce, aurait proposé un armistice entre l’Angleterre et l’Italie en Afrique du Nord, pour ensuite partir ensemble de Finlande envahir l’Union Soviétique.
De toutes les allégations faites au sujet du courrier de Mussolini, la suggestion de Churchill de conclure la paix spécifiquement dans le but d’une invasion conjointe de l’Union soviétique est à la fois la plus renversante et la plus recoupée. On la retrouve chez un certain nombre d’observateurs et d’acteurs, entre autres, Sergio Nesi, un officier de la Decima Flottiglia, une unité d’élite, Valerio Borghese, le supérieur du précédent, dit le « prince noir » ou Pietro Carradori, l’ordonnance du Duce, tous autant de témoins crédibles.
Tous les trois ont attesté de la tenue, le 16 novembre 1944 à Montefano, siège de la base de la Decima sur les rives superbes du lac d’Iseo en Lombardie, non loin de Bergame, de la plus secrète et de la plus extraordinaire conférence de toute la guerre qui soit.
Benito Mussolini (1883-1945) était le fondateur d’un nouveau mouvement politique, le fascisme. En 1932 il rédigeait une entrée pour l’encyclopédie Italienne pour définir ce qu’était le fascisme :
« Le fasciste accepte la vie et il l’aime. Il voit la vie comme un devoir, un combat et une conquête, mais avant tout pour les autres – les proches ou les plus éloignés, les contemporains et les descendants. Le fascisme est tout le contraire du socialisme marxiste, le fascisme maintenant et pour toujours croit en la sainteté et en l’héroïsme, en des actions dépourvues de motivation économique, et surtout, le fascisme rejette l’idée que la lutte des classes soit la force prépondérante des changements de la société. Mais comme le socialisme, il combat et répudie le système démocratique ».
À l’intérieur de l’immeuble du QG, sévèrement gardé par des marins lourdement armés des unités de la Decima, le commandant Borghese présidait une rencontre à laquelle participaient des représentants de la République Sociale Italienne (RSi) : Francesco Maria Barracu pour le gouvernement, le général Giuseppe Violante pour l’armée et le capitaine Fausto Sestini, ministre de la Marine. À leurs côtés se trouvaient l’ambassadeur d’Allemagne en Italie, Rudolf Rahn et l’Obergruppenfuehrer SS Karl Wolff, commandant en chef des forces allemandes en Italie et proche confident de Hitler.
De l’autre côté de la table, on trouvait les envoyés plénipotentiaires de Franklin D. Roosevelt et du chef du corps expéditionnaire Allié, le général Dwight David Eisenhower. Ils étaient en compagnie d’officiers britanniques de haut rang représentant du maréchal Bernard Montgomery et du premier ministre Winston S. Churchill qui avait convoqué cette réunion ultra-secrète pour discuter de sa proposition en quatre points :
- Reconnaissance officielle Anglo-Américaine de la RSi et cessation immédiate des hostilités entre toutes les puissances de l’Axe et les États Alliés.
- Engagement de la Cinquième armée américaine et de la Huitième armée britannique sur le front de l’Est contre l’Union soviétique.
- Coopération des troupes de la Wehrmacht en Italie pour le transfert des forces Alliées sur le théâtre d’opération russe.
- Engagement des divisions italiennes Littorio, Monterose, San Marco et Italia, ainsi que de la Decima MAS, dans la campagne en Russie.
Où se trouvait Mussolini au moment de la conférence secrète du lac d’ISEO ? Comme Churchill, Mussolini se tenait à l’écart pour permettre aux délégués de discuter de la possibilité d’un armistice et d’une coopération militaire sans la pression de l’une ou l’autre des personnalités. Le Duce et le Premier ministre n’auraient été appelés qu’au cas où les émissaires Italiens, Allemands, Anglais et Américains seraient parvenus à un projet d’accord.
Après avoir attentivement écouté la traduction de ces propositions, le commandant Borghese demandait aux représentants Alliés pourquoi le gouvernement d’Italie du sud, combattant du côté des Alliés, avait été tenu à l’écart de la conférence. Parce que, disaient les Britanniques, le cabinet post-Badoglio était lui-même en grande partie composé de communistes ou d’intrigants peu recommandables, plus intéressés par le pillage et les vendettas sanglantes que par le retour à la paix civile. Les quatre représentants de la RSi ont été unanimes à accueillir cette proposition pour une défense commune de la civilisation Occidentale, tout comme les Allemands qui ont promis qu’ils pousseraient le Führer à examiner soigneusement le plan mis sur la table par le premier ministre.
Au contraire, les Américains refusaient de seulement prendre en considération les suggestions de Churchill, un rejet sans appel qui coupait court à toute discussion en vue d’une alliance Anglo-Américaine avec les puissances de l’Axe contre l’URSS, mettant un terme immédiat à la conférence.
Néanmoins, Churchill faisait une deuxième tentative en organisant une réunion presque identique, avec toutefois des plénipotentiaires Américains qu’il espérait moins coriaces, cette fois à Porto Ceresio, une petite commune sur lac Lugano, frontalier de la Suisse. L’issue fut la même et en resta définitivement là, plus aucune tentative de retournement d’alliance contre Staline n’eut lieu.
Plus tard au téléphone, Hitler demandait à Mussolini :
« Mais les Anglais n’ont-ils pas conscience du colosse Russe ?
– Si bien sûr, répondit Mussolini. Cela fait des années que Churchill a senti le danger, mais vous le savez déjà Führer
– Hélas oui, je sais répondit Hitler désabusé, je connais les détails »2.
Et quels étaient-ils ces « détails » de la conférence d’ISEO qui n’avait débouché sur rien six jours plus tôt, avant cette conversation téléphonique du 22 novembre ?
On sait en tout cas que le 9 janvier 1945, Mussolini a fait une allusion directe aux propositions de Churchill aux Alliés et aux puissances de l’Axe au maréchal Graziani. « Il est grand temps et de la plus haute importance que ces documents soient placés en lieu sûr », se référant plus particulièrement à sa correspondance au plus haut niveau, il ajoutait « à commencer par les échanges de courrier et les arrangements avec Churchill »3.
Le célèbre historien Américain, Peter Tompkins, qui durant la guerre était un agent du Strategic Services à Rome, se demandait : « En quoi ce qui avait été convenu entre Churchill et Mussolini à Porto Ceresio et au lac d’Iseo devait à ce point être effacé que cela nécessitait quelque chose d’aussi radical que l’élimination physique de Mussolini et de Claretta Petacci ? Il en allait sans doute de la réputation de Churchill qui aurait risqué d’être sérieusement écornée s’il s’était su qu’il complotait avec le Duce et quelques généraux nazis en Italie pour obtenir que les forces italiennes et allemandes se joignent aux Alliés pour s’en prendre à l’URSS… »4. Churchill devait préserver ses chances de réélection en 1951.
Mussolini aurait également conservé de la correspondance avec le prédécesseur de Churchill, Neville Chamberlain, dont on pense qu’il a dû y exprimer le même genre de propos que ceux qu’il avait tenus auprès de l’ambassadeur Américain en Grande-Bretagne, Joseph P. Kennedy, début 1941, comme quoi jamais l’Angleterre ne se serait embarquée dans une guerre avec l’Allemagne « sans les pressions de William C. Bullitt » l’envoyé spécial en Europe de Franklin D. Roosevelt juste avant la guerre « et sans la pression des juifs d’Amérique ». De fait, ces remarques de Chamberlain ont été consignées dans ses mémoires par James Forrestal, le secrétaire Américain à la marine5.
Il y aurait également eu deux ou trois lettres de Roosevelt lui-même dans lesquelles le président aurait formulé le vœu de voir l’Empire britannique en Afrique remplacé « par une forme plus humaine d’impérialisme comme celle de l’Italie »6. Parmi les autres sujets abordés dans la correspondance de Mussolini, principalement avec Churchill, on trouvait la crise de Munich en 1938, l’entrée en guerre de l’Italie et son invasion de la Grèce ne 1940 – autant de sujets traités dans un langage diamétralement opposé à celui officiellement affiché en public par les Alliés.
Ces lettres auraient également présenté des révélations qui, dans l’esprit de Mussolini, étaient potentiellement encore plus dommageables. « Churchill sait que j’ai des munitions » disait-il ainsi en février 1945 à son chef d’État-Major, le général Rudolfo Graziani, il prenait en exemple une lettre du Premier ministre d’octobre 1940 « comme l’une de celles qu’il pourrait regretter ». Elle était accompagnée de documents explosifs émanant de chefs d’État sur des sujets particulièrement sensibles. Deux mois plus tard, il déclarait que « ces documents valent plus que si nous avions gagné la guerre »7. S’il en est ainsi, il ne s’agirait plus de simples petites indiscrétions politiques de la part de Churchill.
La Decima Flottiglia MAS. La Decima Flottiglia Mezzi d’Assalto, ou Xª MAS est une unité navale d’élite très en avance sur son temps. Comparable aux Navy Seals, elle était équipée de mini sous-marins de poche conduits par des hommes-grenouilles. Elle compte à son actif nombre de succès extraordinaires contre les Alliés en Méditerranée, de Suez à Gibraltar. Entre 1940 et 1945, ses hommes ont réussi à couler des navires de guerre et une vingtaine de navires marchands pour un tonnage total de 130 000 tonnes. Leur plus haut fait d’armes s’est déroulé le 31 décembre 1941 dans le port d’Alexandrie, au QG de la Navy, où ils ont réussi à couler les croiseurs HMS Valiant et HMS Queen Elizabeth, plus un pétrolier Norvégien, le Sagona (le destroyer HMS Jervis a aussi été sévèrement endommagé). En septembre 1943, après la libération de Mussolini par Skorzeny et la création de la Repubblica Sociale Italiana, la plupart des vétérans de la Mas l’ont suivi dans le nord où ils ont lutté sans merci contre les communistes jusqu’à la fin de la guerre. Les rares membres de la Xª MAS qui s’était rangés du côté du gouvernement fantoche du Sud (Governo Italiano Cobelligerante ; ICBG) de Pietro Badoglio ont été enrôlés dans une unité d’assaut de la marine, la Mariassalto, ils ont fait défection quand on leur a demandé d’appuyer Tito dans sa conquête des possessions italiennes en Yougoslavie. En photo, un submersible deux places en service dans la Decima Flottiglia pour l’attaque des navires Alliés.
Ces lettres et documents devaient contenir quelque chose de plus explosif, et Mussolini a bel et bien évoqué auprès de ses plus proches confidents qu’il s’y trouvait des « accords » qu’il avait conclus avec les Alliés, lesquels, s’ils étaient révélés au monde, ne manqueraient pas de provoquer une sensation retentissante. Leur contenu n’a jamais été révélés, il n’y a eu que des conjectures, sur des bases d’ailleurs très ténues, tout au plus de rares allusions de Mussolini et de quelques autres sources. Qui plus est, aucune des lettres que Mussolini aurait pu avoir écrit dans le cadre de cette correspondance ne subsiste, on ne sait donc pas ce qu’il a bien pu répondre aux prétendues lettres de Churchill, de Chamberlain et de Roosevelt.
S’agissait-il simplement de bluff de la part du Duce dans le but de maintenir à flot le moral de ses fidèles dans les derniers jours de la RSI ? Ou était-il réellement en possession de preuves incriminantes d’une portée incalculable pour le monde d’après-guerre ? Les historiens autorisés affirment que Churchill n’a écrit à Mussolini qu’une seule fois, dans un télégramme public par lequel il lui demandait, juste avant le début des hostilités, de renoncer à la guerre. Pour prix de ce retournement d’alliance, d’après les soi-disant documents secrets de Mussolini, Churchill était prêt non seulement à abandonner Malte et Gibraltar, mais aussi à mettre dans la balance des territoires étrangers, y compris ceux de ses propres alliés, sans leur assentiment, comme la Savoie, la Tunisie et Nice pour la France ainsi que des parties de la Yougoslavie et de la Grèce.
Dans les mémoires même de Churchill, on ne trouve pas trace d’une correspondance amicale avec le dictateur Italien, il y est au contraire dépeint sous les traits de l’antéchrist, comme un sinistre personnage qu’aucun homme tant soit peu civilisé ne saurait décemment approcher. Pourtant, dès 1922 et l’arrivée au pouvoir des fascistes par leur « marche sur Rome », Churchill ne cachait pas son admiration pour ce soi-disant monstre. Sa petite phrase dans laquelle il disait que « Si j’étais un Italien, je serais fier de porter une chemise noire, vive le fascisme en Italie » a été reprise par tous les grands journaux en Angleterre8.
Dans le droit-fil de cette déclaration, il avait préparé 16 extraits de son histoire de la Première Guerre mondiale qui ont été publié en 1927 dans le propre organe de presse de Mussolini, Il Popolo di Italia. Même après la guerre d’Éthiopie, Churchill continuait de parler en public de Mussolini comme d’un génie Romain9.
Il ne fait aucun doute que la correspondance entre les deux hommes s’est effectivement poursuivie durant toute la guerre. Selon un rapport allemand du 25 septembre 1943, les agents de la Gestapo auraient intercepté des messages de Churchill à Mussolini littéralement par dizaines, même longtemps après que la guerre eut démarré, tous exprimant de l’admiration pour le fascisme italien et l’espoir d’une coopération avec l’Empire britannique. L’existence de ces courriers ne fait pas non plus l’ombre d’un doute, parce que Mussolini les montrait à pratiquement tous ceux de son premier cercle – des centaines de personnes – dont son épouse, Rachele. Répondant à un entretien avec David Irving, le sulfureux et talentueux historien britannique, elle disait qu’elle avait vu le classeur qui contenait les lettres, mais a refusé d’en dire plus sur leur contenu10.
Pour son livre paru en 1994 sur la controversée Careggio segreto, la Correspondance secrète, le chercheur Fabio Andriola a retrouvé 30 personnes qui ont personnellement vu les messages de Churchill, dont certains dataient de l’hiver 1944-45, soit, pour ainsi dire, de la fin de la guerre11.
On trouvait notamment parmi les témoins le ministre de l’Éducation de la République de Salo, C.A. Biggin et le général Graziani ; les deux ont attesté après-guerre de l’existence des documents. Dans son enquête, Adriola avait été précédé par un certain nombre d’historiens Italiens de premier plan comme Giorgio Cavalleri, dont l’ouvrage « Ombre sul Lago », Les ombres du lac, donnait la reproduction de l’imprimé sur lequel figurait l’ordre de Mussolini au directeur du service cinématographique de la République de photographier en priorité certaines lettres12.
Dans cet ordre, Mussolini demandait en outre au cinéaste si quelqu’un dans son équipe parlait couramment l’anglais. En réalité, il lui fallait plus qu’un traducteur, il lui fallait quelqu’un qui avait ses entrées auprès du gouvernement britannique.
En janvier 1945, il convoquait en secret John Amery à son QG de Milan. John Amery avait alors 33 ans et une vie déjà bien remplie, c’est lui qui a organisé le British Free Corps, une unité de Waffen-SS composée des recrues Anglaises, des volontaires qu’il allait chercher dans les camps de prisonniers de guerre en Allemagne pour aller combattre sur le front de l’Est. Auparavant, Amery avait réalisé une série d’émissions sur Radio Berlin condamnant les Alliés occidentaux pour leur soutien à la Russie soviétique. Il avait aussi combattu dans la guerre d’Espagne aux côtés des nationalistes, ce qui lui a valu une médaille d’honneur de la part des Italiens.
Mais ce qui importait le plus aux yeux de Mussolini à ce moment-là, c’est que John était le fils de Léopold Charles Maurice Stennett Amery, un poids lourd du cabinet de Churchill et de la politique en Angleterre. Le père et le fils n’étaient pas en froid en dépit de leurs trajectoires et de leurs idéologies diamétralement opposées. C’est par l’intermédiaire du fils que Mussolini espérait pouvoir entrer en contact avec Léopold et le gouvernement britannique, soit pour faire valoir ses « documents explosifs », soit pour avoir la garantie d’un procès public.
Tout en s’efforçant d’entrer en contact des autorités britanniques au nez et à la barbe des SS, John Amery continuait de faire des discours à la radio en faveur du Duce jusqu’à la fin de la guerre. Dans quelle mesure ces démarches souterraines de Mussolini ont pu progresser, nous ne le savons guère, mais on peut s’en faire une petite idée en regardant le sort réservé au jeune équilibriste. Après l’effondrement de la RSi, John Amery a été arrêté par la résistance communiste et remis aux Anglais. Inculpé pour trahison, il a été condamné à mort en un temps-record – huit minutes après s’être présenté dans le box : on aurait voulu faire taire définitivement un témoin potentiellement gênant pour le pouvoir en place, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Et John Amery n’était pas la seule personne au courant des documents de Mussolini à avoir été promptement réduit au silence. Robert L. Miller dans sa préface du « Mussolini, The Secrets of His Death » [de Luciano Garibaldi], écrivait ainsi que plus de 500 Italiens du nord susceptibles d’y avoir eu plus ou moins accès ont été exécuté à la fin de la guerre dans des conditions diverses13. Parmi les victimes, on compte Claretta Petacci elle-même, froidement abattue, selon Bruno Giovanni Lonati, le chef local de la résistance chargé de la garder, elle et Mussolini, après leur arrestation, par un agent britannique.
En avril 1945, Mussolini a fait venir un menuisier pour qu’il lui fasse trois caissons étanches pour y conserver les photocopies des lettres de Churchill et d’autres documents qu’il considérait précieux. Un jeu de document a été confié à son épouse, Rachele, et un autre a été expédié en Suisse où un fonctionnaire britannique de sa connaissance en attendait livraison près de Bâle. Il conservait le dernier jeu avec lui ainsi que les originaux. En plus de ces caissons, Mussolini avait chargé dans un camion Alfa Romeo de son petit convoi en partance pour la frontière suisse, de grands sacs de cuir bourrés de documents connexes à la correspondance de Churchill.
Ferrare et Modène. Les rouges y ont tué 21 religieux dont un jeune séminariste de 16 ans, Rolando Rivi, enlevé et abattu le 13 avril 1945 simplement parce qu’il portait une soutane. L’adolescent a été forcé de creuser sa propre tombe et a été exécuté d’une balle dans la nuque par Giuseppe Corghi, le commissaire politique de l’unité. On peut aussi citer les meurtres horrifiants de Don Ernesto Tale et de sa servante, de Don Giuseppe Tarozzi, et de Don Luigi Lenzini, âgé de 60 ans et dont le crâne a été fracassé à coup de crosse dans la nuit du 25 juillet 1945, ou enfin celui de Don Francesco Venturelli, assassiné dans la nuit du 15 janvier 1946
Plutôt que de livrer avec panache un dernier combat pour le fascisme, Mussolini préférait se placer sur le tapis vert d’un procès spectacle dans lequel il aurait pu dévoiler au grand jour la correspondance de Churchill. Les officiers de la SS battant en retraite avaient beau l’avertir qu’il n’atteindrait jamais la Suisse parce que le nord de l’Italie était infesté de partisans communistes. Comme il s’obstinait dans son projet, les SS lui ont quand même accordé une petite escorte. Avant de se mettre en route, il fit une dernière accolade à Franz Spogeler, un capitaine SS et un ami personnel, en lui confiant une dernière lettre pour Churchill, datée du 23 avril, demandant au capitaine : « Est-ce que je peux compter sur vous pour lui faire suivre ça ? »
« Tout ce que je peux promettre, c’est d’essayer », lui répondit Spogeler avant de partir se rendre aux forces britanniques d’occupation dans le sud de l’Allemagne, muni de la missive confidentielle. Mussolini y demandait qu’on lui accorde de se défendre devant une cour internationale à laquelle il acceptait par avance de confier son sort, il terminait en faisant une référence appuyée mais générale à des « documents que vous trouverez sans doute intéressants et utiles »14.
En 1944, ayant appris que les Alliés étaient résolus à faire passer les dirigeants de l’Axe devant les tribunaux pour « crimes contre l’humanité », il avait publiquement déclaré que « moi et moi seul suis responsable moralement et historiquement de tout ce qui est arrivé. Si le fascisme a été une organisation criminelle, c’est à moi qu’en incombe la responsabilité »15. La lettre adressée à Churchill, même si elle n’employait pas exactement les mêmes mots, était dans le même esprit.
Quoi qu’il en soit, si Spogeler a bien été arrêté peu après avoir franchi la frontière bavaroise, les autorités britanniques ont rapidement confisqué et fait disparaître la lettre. Le jeu de documents qui avait été envoyé en éclaireur au contact britannique en Suisse a subi le même sort. De qui s’agissait-il précisément, on ne le sait pas, mais c’était quelqu’un en qui Mussolini devait avoir suffisamment confiance pour lui confier la précieuse correspondance. Il pensait manifestement qu’au vu de l’importance capitale des documents, le fonctionnaire serait prêt à mettre sa vie en jeu, mais il semble que, précisément en raison de leur caractère explosif, les Britanniques étaient fermement résolus à ne les laisser faire surface à aucun prix.
Lors de l’arrestation de Mussolini à Dongo, les quatre sacs pleins de la correspondance et le camion Alfa Romeo qui contenait des documents connexes ont été saisi par la résistance. Le contenu du véhicule a été vendu au Foreign Office à l’exception des sacs en cuir. La vente a fait l’objet d’une note publique du Foreign Office à Londres, elle reconnaissait ouvertement que les lettres de Neville Chamberlain et de Franklin Roosevelt avaient été mises de côté, c’est-à-dire détruites sur l’ordre de la direction du Foreign Office.
Urbano Lazaro, le résistant qui avait arrêté Mussolini, a mis les quatre sacs en lieu sûr dans le coffre d’une banque locale à Da Maso. Il se souvient qu’un certain « Renzo », de son nom de code dans la résistance, a fouillé le troisième sac dans lequel il a trouvé une série de classeurs portant l’étiquette « Churchill ». Après le passage de Dante Goreri le chef du Parti communiste qui a ordonné l’exécution de Mussolini, il a photocopié le contenu des quatre sacs. Les documents originaux ont été vendu à deux agents Britanniques du Field Security Service et ont depuis disparu.
Les photocopies ont été confiées à un autre membre de la résistance, nom de code « Cavalieri », lequel a exigé que les documents soient tenus secrets durant un certain délai après sa mort. Au moment de la rédaction de cet article, Cavalieri est toujours en vie, mais sa famille a déjà fait part de sa réticence à jamais rendre public les documents.
Qu’il ait ou non lu la lettre du Duce du 23 avril, Churchill n’a jamais eu l’intention d’accorder à Mussolini une tribune publique devant un tribunal, il caressait au contraire l’idée, comme il le dira lui-même au président Roosevelt lors de leur rencontre à la conférence de Casablanca en 1943, de le voir pendu haut et court sur le Forum de Rome aussitôt capturé. Ceci a été souligné par le plus fameux historien d’après-guerre de l’Italie, Renzo de Felice, dans son livre paru en 1995 au sujet de la dernière année de la guerre, « Les Rouges et les Noirs »16.
Felice a pu retrouver la trace d’une officine gouvernementale britannique, le Special Operations Executive (SOE), dirigé par Max Salvadore, chargé de tirer à vue sur le Duce. Un ordre secret en violation des termes de l’armistice signé pour l’Italie par Badoglio en Sicile le 3 septembre 1943, lesquels stipulaient que Mussolini devait être pris vivant et remis à la XVe armée américaine du général Mark Clark.
Mais le temps que Salvadore retrouve la trace du fondateur du fascisme, Mussolini était déjà aux mains de la résistance qui le détenait dans l’attente de l’arrivée du chef local, Goreri. Jugeant politiquement plus opportun que l’exécution soit l’œuvre d’Italiens plutôt que le fait d’envahisseurs étrangers, Salvadore n’est retourné au SOE qu’après avoir vu le cadavre mutilé pendu par les pieds dans un square de Milan. La reconstitution de De Felice se basait sur le témoignage de vétérans de la résistance qui avaient assisté aux derniers jours de Mussolini. « Les documents en ma possession m’amènent à une seule conclusion possible », disait-il.
« Mussolini a été tué par des résistants de Milan à la demande des services secrets britanniques … leur intérêt national était mis en jeu par les arrangements explosifs qu’auraient envisagés le premier ministre britannique et Mussolini dans leur correspondance avant et durant la guerre »17.
Pour 1945, Churchill s’était apparemment fixé un programme en trois volets : gagner la guerre, obtenir sa réélection, et retrouver le moindre petit bout de sa correspondance compromettante avec le défunt Duce. La victoire en Europe ne se solda pas par un succès électoral, en juillet, les Britanniques sautaient sur la première occasion qui leur était offerte pour mettre Churchill à la porte.
Dépité, en proie à la dépression, il partait en voyage sur les rives du lac de Côme dans le nord de l’Italie, en apparence pour s’adonner à la peinture et soigner ses blessures. Cela a toujours été un de ses stratagèmes favoris, se cacher à la vue de tous, masquer ses intentions réelles derrière une diversion de façade. Tandis que les actualités le montraient en train de barbouiller paisiblement sur les bords du lac, du 1er au 17 septembre, il écumait la région sur les traces de l’ancien dictateur dans ses derniers jours.
Il a recherché et rencontré le menuisier à qui Mussolini avait passé la commande des trois caissons pour les photocopies des lettres et documents. Le menuisier lui dit qu’il ne savait rien des documents eux-mêmes ni de ce qu’il en était advenu.
Ensuite, Churchill a « pris le thé » avec Romano Tebezi, le directeur de la banque Da Maso, dans l’agence même dans laquelle Urbano Lazaro et « Renzo » avaient déposé les quatre sacs de correspondance qu’ils avaient confisqués à Mussolini au moment de son arrestation et dont l’un contenait les classeurs marqués « Churchill ». Durant son séjour, Churchill résidait au QG des services secrets britanniques, dans l’ancienne villa de Guido Donegan, autrefois un grand nom de l’industrie et un ami proche du Duce.
Emprisonné juste après la guerre, Donegan s’est entretenu avec un compagnon de cellule, un ancien haut responsable du Parti fasciste, de la correspondance de Churchill. À leur insu, leur conversation était espionnée et Donegan a été éclipsé de sa prison, en jeep, par deux soldats britanniques. À sa grande stupéfaction, il s’est retrouvé nez à nez avec Churchill qui l’interrogeait à propos du « courrier disparu ». Puis, Donegan a été maintenu isolé en prison jusqu’à sa mort dans des conditions assez mystérieuses l’année suivante18.
Malgré toutes ses précautions, l’étrange comportement de Churchill a fini par attirer l’attention des journalistes Suisses et à susciter quelques articles. Le grand quotidien de Bâle, la Voix ouvrière, titrait ainsi en une du 18 septembre 1945 : « Les documents de Mussolini disparaissent et M. Churchill apparaît ». Léon Nicole, l’éditorialiste, écrivait que Churchill avait été vu par ses reporters en train de mettre le feu à des piles de ce qui semblait être des documents officiels à l’arrière de la villa Donegan19.
Début avril 1945, Mussolini avait confié à un ami d’enfance, Tomasso David, chef des renseignements de la RSi et des Renards d’argent, une équipe de saboteurs professionnels, un jeu de photocopies. Dans l’après-guerre, David s’est retrouvé dans l’impossibilité de trouver un emploi en raison de son implication au sein du Parti national fasciste, puis dans la République de Salo. Il fut arrêté en 1951 pour avoir essayé de changer illégalement d’identité et, du fait de ses antécédents politiques, condamné à une longue peine de prison. Durant son incarcération, David a contacté le Premier ministre, lui offrant de troquer les documents de Mussolini contre une libération anticipée.
Moins de deux ans plus tard, Churchill était à New York, pour une visite hautement médiatisée sur le lieu de naissance de sa maman, Jenny Jerome, 462 Henry Street. Comme le séjour sur le lac Côme de septembre 1945, son apparition en Amérique n’était pas dépourvue d’une arrière-pensée. En mars 1953, il était hébergé par le maire, Vincent Impalleteri, qui avait des liens étroits avec le gouvernement italien, dont le premier ministre De Gasperi, par qui il avait reçu la collection de documents de Tomasso David.
Une fois que les documents ont été remis à Churchill et que celui-ci se soit bien assuré de leur authenticité, David n’a pas seulement été acquitté et libéré, mais a reçu la plus haute distinction militaire d’Italie, la médaille d’or de la République, qui lui donnait droit à une pension à vie. Étant donné le climat violemment antifasciste qui régnait dans l’Italie d’après-guerre, qu’un ancien chef ennemi, proche confident du Duce et condamné par la justice ait pu connaître un renversement de fortune aussi spectaculaire ne peut pas s’expliquer autrement que par la possession par ce dernier d’une solide monnaie d’échange.
À l’époque, le Duce ne tentait pas seulement d’arriver en Suisse avec des documents sensationnels, il avait aussi emporté avec lui quelque chose qui avait des chances d’intéresser les Suisses : 65 kilos en lingot d’or. Le trésor représentait tout ce qui avait été soutiré aux juifs Italiens ou étrangers avant leur départ pour les camps de concentration en Allemagne jusqu’en 1945. Lorsque les résistants ont arrêté Mussolini en avril, ils ont tout remis à leurs supérieurs du Parti communiste qui ont utilisé le pactole pour arriver au pouvoir. Rien du « trésor de Dongo », comme on l’appelle communément, n’est jamais revenu aux propriétaires d’origine.
En même temps que les lingots, le Parti communiste aurait également reçu les documents de Mussolini, un partisan connu sous le nom de « Gugliemo » en aurait pris livraison et les aurait scrupuleusement remis à ses supérieurs. Comme ceux-ci savaient que Staline avait l’intention, comme il l’avait fait partout ailleurs, de purger le PCi, pour s’attirer les bonnes grâces de l’Ouest, les dirigeants communistes n’ont été que trop heureux de remettre les documents compromettants à Churchill. Ayant ainsi obtenu à moindres frais les originaux, Churchill s’est mis en chasse des facsimiles. Sachant cela, les agents du Foreign Office lui ont adressé une note pour l’avertir de ce qu’en 1954, des copies de sa correspondance de guerre avec Mussolini étaient toujours en circulation en Italie.
Il griffonna sur le rapport, « ce ne sont que des falsifications », et le renvoya au Foreign Office. Le choix des mots est révélateur.
« Falsification » signifie copies truquées d’originaux authentiques. S’il s’agissait d’invention de toutes pièces, il aurait peut-être parlé de documents frauduleux. Quoi qu’il en soit, il semble qu’au milieu des années cinquante, Churchill s’était minutieusement assuré d’avoir retrouvé et détruit toutes les lettres incriminantes. Les seuls exemplaires qui pourraient encore subsister sont ceux éventuellement en possession de la famille Cavalieri, laquelle s’oppose à leur divulgation.
Churchill a sans aucun doute entretenu une correspondance avec son ennemi juré bien avant et même après le début de la guerre. C’est son contenu qui fait débat. Mussolini fait allusion à divers « accords » conclus entre les deux hommes d’État. Il devait sûrement s’agir de quelque chose de plus grave que de simples indiscrétions politiques pour que le Duce soit à ce point convaincu de détenir des pièces capables de changer son sort personnel et celui du monde d’après-guerre et pour que Churchill se lance dans une longue traque personnelle pour retrouver et effacer toute trace de leur existence.
L’énigme des pièces de Mussolini se résume en fin de compte à l’alternative suivante : soit elles n’ont jamais existé, du moins pas au sens où elles auraient pu renverser les paradigmes de l’histoire de la guerre, soit Churchill a réussi à pratiquement toutes les retrouver, les originaux comme les copies, et à les détruire.
Que le Duce ait été en possession d’au moins certains documents qu’il considérait d’une importance capitale est hors de doute. Leur contenu ne pourra toutefois jamais être établi avec certitude tant qu’on n’aura pas mis la main sur des reproductions authentiques ou sur les documents eux-mêmes. En attendant, le courrier échangé entre les deux hommes restera une des questions sans réponse de la Deuxième Guerre mondiale.
Article basé sur un extrait du livre, « Mussolini’s War », Helion Publishing, Ltd., UK, 2010
source : The Barnes Review A JOURNAL OF NATIONALIST THOUGHT & HISTORY VOLUME XVI NUMBER 5 SEPTEMBER/OCTOBER 2010 BARNESREVIEW.CO
traduit par Francis Goumain
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