Sauf qu’après enquête, il s’avère que le « fantasme » n’en est pas un. Il existe bel et bien des clandestins, certes peu nombreux, qui se font recoller leurs oreilles aux frais de la princesse.
Oui, mais…
Alors, pour atténuer l’aspect scandaleux de cette malencontreuse découverte, Libération sort les rames. Son premier contre-argument porte sur les conditions demandées à ceux qui souhaiteraient se faire recoller les oreilles. Une telle procédure nécessiterait « un délai d’ancienneté du bénéfice de l’AME de neuf mois », avait expliqué, en 2023, le ministre délégué Agnès Firmin-Le Bodo. Tu parles de conditions drastiques ! On se doute que les clandestins ne vont pas se ruer chez le chirurgien dès le lendemain de leur arrivée sur le territoire. Ils sont déjà suffisamment occupés par toutes les autres démarches qu’ils doivent entreprendre durant leurs premiers mois de séjour irrégulier : dépôt de demande d’asile, demande d’un logement, demande de l’ADA (l’allocation versée gracieusement à tous ceux qui se prétendent réfugiés), etc.
Le second argument du quotidien tient aux sommes engagées par de telles procédures médicales. Il s’agirait, seulement, d’une dizaine de clandestins chaque année qui demanderaient à se faire recoller les oreilles. « Les sommes sont dérisoires », veut croire Libération, qui avance un « coût de l’opération moyen d’environ 170 euros ». Un chiffre donné par l'ancien ministre de la Santé, Aurélien Rousseau. Mais quelques lignes plus bas, un autre montant est évoqué, confirmé cette fois par le ministère de la Santé : « Le tarif appliqué pour le recollement des oreilles en établissement public de santé [se situe] autour de 2.000 euros. » D’un paragraphe à l’autre, le prix de l’acte a été multiplié par 12. Mais pas de quoi faire vaciller les convictions de nos enquêteurs. « Les sommes restent donc très faibles », maintiennent-ils. Certes, au regard du coût global de l'AME, ces sommes sont dérisoires, mais le sont-elles, pour ces nombreux Français pauvres qui renoncent à certains soins coûtant largement moins de 2.000 euros ?
Libé se garde bien de le dire, mais l’AME est un système d’une extrême générosité. Cette aide ouvre droit à la prise en charge à 100 % des soins avec dispense d'avance de frais. Ses bénéficiaires ne sont même pas soumis aux dispositifs du médecin traitant, comme l’est le Français moyen. Outre les interventions anecdotiques pour oreilles décollées, elle couvre les séances de masso-kinésithérapie, les gastroplasties pour obésité ainsi que les opérations de chirurgie esthétique du nez. Seules les cures thermales ont été, finalement, exclues du dispositif de l'AME en 2011, nos gouvernants se disant sans doute que payer des bains bouillonnants aux clandestins était légèrement superflu.
Une aide dont la France peut se passer
Les défenseurs acharnés de l’AME ne le disent pas non plus, mais la France n’a pas attendu la mise en place de ce système d’aide, en l’an 2000, pour soigner ses clandestins. Dès la fin du XIXe siècle, l'assistance médicale gratuite (AMG) permettait aux malades les plus pauvres de bénéficier d’un accès gratuit aux soins de santé. Celle-ci s’est progressivement muée, dans la seconde partie du XXe siècle, en une aide médicale départementale (AMD) ouverte aux résidents irréguliers.
Par ailleurs, si l’AME venait à être supprimée, les illégaux ne serait pas privés de soins médicaux. C’est d’ailleurs déjà le cas. Comme l’indique le site officiel de l’administration française, « si vous résidez en France de manière irrégulière et que vous n'avez pas l'AME, vous pouvez bénéficier d'une prise en charge de vos soins urgents à l'hôpital ». Les blessures et maladies qui comporteraient un danger vital, les situations qui pourraient « conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître », ou à une propagation d’un virus, ouvrent déjà droit à une prise en charge. Avec ou sans AME.
Enfin, rappelons que le coût de l’aide médicale de l’État ne cesse de progresser. Comme l’a pointé le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, le centriste Vincent Delahaye, pas moins de 1,2 milliard d’euros avaient été inscrits dans le projet de loi de finances 2024 pour financer ce dispositif dédié aux étrangers en situation irrégulière. Ce rapport pointait, aussi, du doigt l'augmentation importante du nombre de bénéficiaires, depuis 2019 : +43 % ! Rappelons, aussi, que dans le même temps, l’hôpital Georges-Pompidou en a été réduit à lancer un appel aux dons afin de pouvoir se payer un scanner coûtant moins de 2 millions d’euros…
Chacun ses priorités.