par Gérard Leclerc
Olivier Grenouilleau s’est fait connaître par ses travaux sur la traite des esclaves (cf. son ouvrage Christianisme et esclavage, Gallimard, 2021). Il se distingue notamment par « une approche globale » de son sujet, mettant en œuvre diverses disciplines rendant compte de la complexité d’une histoire qui s’étire sur des siècles, si ce n’est des millénaires. Cette même approche lui permet d’envisager un domaine bien différent de ses études précédentes, puisqu’il s’agit de Noël, cette fête que nous nous apprêtons à célébrer dans le climat familial, religieux ou séculier qui est le nôtre.
Nous savons plus ou moins que Noël est l’objet de controverses sur ses origines chrétiennes, mais aussi préchrétiennes. Le mérite d’Olivier Grenouilleau est d’apporter toutes les précisions nécessaires, sans cacher la part d’incertitude, de causalités emmêlées qui empêche d’avoir toujours une vision assurée des strates de ce qui relève souvent de l’histoire des mentalités. Sa seule prétention est « de mettre un peu d’ordre dans la multitude des faits qui, depuis 2500 ans, se rapporte à la période de Noël ». Car il y a une préhistoire de la Nativité chrétienne, celle que les Grecs et les Romains nous permettent de reconnaître, en célébrant « le passage de l’apparente mort végétale à la nature renaissante. Passage des ténèbres à la lumière, lorsque se rejoue rituellement le moment où le chaos primordial cède la place à l’ordre cosmique. Passage de témoin entre la vie et la mort rappelant à l’homme sa finitude ».
Est-il vrai que l’Église a voulu christianiser les fêtes païennes antérieures, en leur substituant l’événement de la naissance de Jésus à Bethléem ? Notre historien n’est pas vraiment d’accord avec cette thèse défendue par les « folkloristes » et les anticléricaux. C’est parallèlement aux évolutions de la pensée païenne, que les chrétiens affirment leur propre foi et ses thèmes théologiques : « Il s’agit moins d’une volonté de contrecarrer les progrès du culte solaire que d’une dynamique propre où s’affirme une autre lumière : celle scintillante, de l’étoile et de l’Esprit. »
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il faudra attendre le IVe siècle pour que Noël entre dans l’histoire de la chrétienté. En effet, l’Église primitive se fonde exclusivement d’abord sur la Résurrection du Christ, célébrée chaque dimanche et annuellement le jour de Pâques. Et c’est à l’autorité romaine qu’il appartiendra de privilégier la Nativité par rapport au baptême du Christ cher aux chrétiens d’Orient. Mais la complicité des événements oblige à mettre aussi en évidence la volonté manifestée par l’empereur Constantin et sa mère Hélène d’ancrer le christianisme dans son espace spécifique, c’est-à-dire en l’espèce Bethléem, avec la grotte où Jésus serait né et où une basilique a été édifiée en 339.
Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la précision et de l’acuité de la recherche de notre historien, qui nous retrace toute l’évolution de la piété chrétienne jusqu’à nos jours, avec l’invention de la crèche et l’apparition de tous ses personnages. Parmi lesquels l’âne et le bœuf absents du récit de saint Luc. Nous sommes, non sans raison, persuadés que la vénération de la crèche remonte à saint François d’Assise mais l’affaire se découvre plus compliquée.
En résumé, pour tout savoir de Noël, ses origines, son évolution, sa laïcisation, et la transformation de saint Nicolas en père Noël, les rites familiaux qui, à vrai dire, ne s’affirment qu’au XIXe siècle, il faut lire Olivier Grenouilleau, puits de science, qui ne se contente pas de retracer des faits mais ne cesse de nous faire réfléchir à leur signification et à leur portée. Si une objection à la laïcisation sur laquelle il insiste venait à l’esprit, c’est peut-être celle d’un actuel retour au Noël chrétien, sensible dans la querelle des crèches, à l’heure où la restauration de Notre-Dame impose le retour à notre identité chrétienne.
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