Le PPE est la première force politique européenne, au sein de laquelle la CDU se taille la part du lion. Une position confortable que le Fidesz se garde de questionner pendant deux décennies. Alors, comment expliquer la reconfiguration actuelle ?
2015 : la rupture Orbán
Lors de la crise migratoire de 2015, Viktor Orbán tire la sonnette d’alarme, précisément pour rappeler son groupe européen au bon sens et à la protection des frontières européennes. Dans la mesure où la majorité, dans l’hémicycle de Strasbourg, traverse le PPE, un consensus ne se dégage qu’en obtenant son adhésion. Mais le schéma européen reproduit ce qui se joue alors en Allemagne : la chancelière Angela Merkel (CDU) tient la barre en faveur d’une immigration incontrôlée et structurelle, justifiée comme une nécessité morale et économique. Dans ce contexte révolutionnaire, une partie significative de la société allemande se sent orpheline de représentation politique. L’Alternative für Deutschland (AfD), une formation eurosceptique fondée en 2013 dans un mouvement de défiance vis-à-vis des dysfonctionnements monétaires de l’UE, prend alors un tournant identitaire et connaît un essor rapide.
Alice Weidel s’engage à l’AfD dès octobre 2013 et son profil correspond à l’orientation initiale du parti. Née en 1979, elle réalise de brillantes études d’économie, travaille plusieurs années pour Goldman Sachs et Allianz avant de fonder sa propre société de conseil. Elle a vécu en Chine et parle le mandarin. Enfin, elle est libérale sur le plan des mœurs et n’entre décidément dans aucune des cases correspondantes à « l’extrême droite » chauvine et passéiste. À ceci près qu’elle s’insurge contre l’immigration de masse et que son opposition à l’idéologie diversitaire la situe au cœur de l’AfD, un parti par ailleurs travaillé de tendances diverses : identitaire, conservatrice, souverainiste.
En Allemagne, un même consensus contre l'immigration de masse
L’Allemagne ne sait pas nettement ce qu’elle veut, mais un consensus se forme contre ce que nombre d’Allemands ne veulent plus : l’immigration de masse et ses conséquences, la guerre en Ukraine et le marasme économique qui l’accompagne, l’idéologie « verte », la rengaine antinationale, etc. Or, sur chacun de ces éléments, une convergence se dessine avec la ligne politique assumée en Hongrie depuis 2010, une ligne qui a valu sa longévité au Fidesz ainsi que son expulsion du PPE en 2021 : la recette du succès politique n’est plus dans le consensus libéral. Le Fidesz a cependant fait un constat amer : faute d’avoir pu lancer un consensus européen alternatif de l’intérieur du PPE, il se trouve orphelin de groupe politique et en butte à l’hostilité conjuguée des démocrates à Washington et de la Commission à Bruxelles.
Paradoxalement, la sanction démocratique est tout aussi claire : en avril 2022, les Hongrois plébiscitent de nouveau le Fidesz, avec une majorité des deux tiers au Parlement et un nombre de voix record. Mieux : les élections européennes de 2024 renforcent quelque peu les formations droitières et le Fidesz est à l’initiative du groupe « Patriotes pour l’Europe », qui rassemble les formations de treize pays, dont le RN français, le FPÖ autrichien, la Lega italienne et Vox pour l’Espagne. Troisième groupe du Parlement européen et principal protagoniste à droite du PPE, cette force politique se situe entre les « Conservateurs et Réformistes européens », dont Georgia Meloni est la principale protagoniste, et « Europe des nations souveraines », où l’AfD occupe la place centrale. Une alternative politique exige la bonne intelligence des formations patriotiques dominées par la France, l’Allemagne et l’Italie : un travail herculéen auquel Viktor Orbán peut apporter son concours.
Le désenclavement de l’AfD s’inscrit dans une décennie de travail politique
Si un autre consensus européen est possible, il se fera à l’extérieur du PPE et dictera à ce dernier ses conditions. Une telle perspective est encore très hypothétique : la CDU fait la course en tête dans la campagne en cours. Mais la victoire de Donald Trump catalyse le déclin du politiquement correct libéral. Le soutien affiché d’Elon Musk à l’AfD (« le meilleur espoir pour l’Allemagne ») bouleverse les usages d’un patriotisme allemand sous quarantaine internationale. Le désenclavement de l’AfD s’inscrit dans une décennie de travail politique et s’articule à la faillite des partis politiques traditionnels outre-Rhin. Cette normalisation vient d’abord de la société allemande à travers ses choix électoraux et, seulement ensuite, de l’écho international que rencontre ce succès interne.
Que vient donc chercher Alice Weidel à Budapest ? Empoigner, avec la main de Viktor Orbán, la fameuse fenêtre d’Overton qui élargit le champ des possibles et rapproche du pouvoir. Qu’attend Viktor Orbán de l’AfD ? La coordination efficace des différents protagonistes de l’intérêt national à travers l’Europe, au service avant tout des libertés hongroises.