Il faut oser. Il faut être culotté, ou totalement hors-sol, pour venir sur un plateau de CNews balancer tranquillement que « les familles qui ne travaillent pas et qui touchent 2000 euros par mois grâce aux aides sociales vivent mieux que ceux qui bossent ». C’est la petite phrase de Kevin Bossuet, journaliste de droite en quête de buzz et de reconnaissance médiatique. Une phrase lâchée comme une grenade dans le débat public, au mépris de toute décence.
Alors voilà. Permettez que je vous réponde, moi, ouvrier, père de famille, militant syndicaliste enraciné, qui vit de son travail et qui côtoie au quotidien ceux dont vous parlez sans jamais les avoir rencontrés. Parce que votre discours, c’est celui d’un bourgeois planqué, qui se donne des airs de révolté mais ne connaît rien à la misère concrète.
2000 euros à 6 ? La belle vie ? Sérieusement ?
Monsieur Bossuet, 2000 euros par mois pour une famille avec quatre enfants, c’est la survie, pas le Club Med. C’est des fins de mois à faire des choix : manger ou se chauffer, acheter des pompes neuves pour le gamin ou payer la facture EDF. C’est les vacances qui n’existent pas, les soins dentaires repoussés, les couches qu’on achète au compte-goutte, les machines à laver qui tombent en panne et qu’on ne remplace pas.
Vous trouvez ça confortable ? Venez vivre un mois à six dans 65 m² en HLM, avec des gamins malades, des voisins qui pètent les plombs, des flics qui passent pour des rodéos tous les soirs, et un frigo à moitié vide. Venez essayer d’expliquer à vos enfants pourquoi ils n’ont pas droit à un goûter comme les autres, pourquoi on ne peut pas les inscrire au foot, pourquoi on garde les manteaux deux hivers de suite. Ensuite, venez nous parler d’« assistanat ».
Ce n’est pas l’aide qu’il faut dénoncer, c’est l’exploitation
Votre vraie cible, c’est qui ? Le père de famille qui s’est fait broyer par 10 ans d’intérim à la chaîne avant d’être mis au placard ? La mère seule qui élève ses enfants après avoir fui un mec violent ? Vous voudriez quoi ? Qu’on les jette à la rue ? Qu’on supprime les allocations ? Qu’on stérilise les pauvres pour éviter qu’ils se reproduisent ? Qu’on privatise la compassion ?
Non, Monsieur Bossuet. Le scandale n’est pas l’aide sociale. Le scandale, c’est que des travailleurs à temps plein galèrent autant – voire plus – qu’une famille qui touche le minimum pour survivre. Le vrai scandale, c’est que travailler à deux n’assure même plus de pouvoir vivre dignement à six. Le problème, ce n’est pas qu’il y ait des aides. C’est que les salaires sont trop bas, que le SMIC est une trappe à misère, que l’on nous vend le mérite pour mieux nous faire accepter l’humiliation.
Et tant qu’on y est, certains nous parlent aussi de la sacro-sainte parité salariale, comme si c’était un combat prioritaire. Un leurre encore. Parce que l’inégalité réelle aujourd’hui, ce n’est pas entre un homme et une femme au même poste – sauf peut-être chez les cadres de la communication progressiste –, c’est entre un smicard qui trime et un parasite de bureau qui gère des budgets fictifs depuis un open-space climatisé. Le vrai combat, ce n’est pas pour l’égalité dans la misère, c’est pour revaloriser le travail, la famille, la dignité.
Revenir au réel, et vite
Il est facile de cracher sur les pauvres quand on ne les connaît pas. De condamner ceux qui ne « veulent plus travailler » sans jamais s’interroger sur les raisons de cette démotivation généralisée : la perte de sens, la précarité, le mépris social, les salaires minables, les métiers ingrats, l’effondrement de tout espoir. Vous vous demandez pourquoi les gens fuient le monde du travail ? Mais regardez donc ce que vous leur proposez !
Quand on vous vend l’intérim à vie, des horaires décalés, des congés refusés, des accidents ignorés, des chefs méprisants, des collègues absents, il faut être fou ou désespéré pour y retourner chaque matin.
Alors oui, je suis ouvrier. Syndiqué même. Et patriote. Et je refuse de choisir entre ma culture, mon peuple, et la justice sociale. Ce que je veux, c’est que le fruit du travail revienne à ceux qui le produisent, que nos familles soient respectées, que nos solidarités soient défendues, que l’on arrête de diviser les pauvres entre eux pendant que d’autres vivent sur le dos du système.
Monsieur Bossuet, à force de tirer sur les « assistés », vous tirez surtout sur la classe populaire française, celle qui souffre, qui se tait, mais qui n’oublie pas. Alors un conseil : quittez un peu vos studios parisiens, venez passer une semaine dans les quartiers, dans les bourgs ruraux oubliés, dans les familles nombreuses précaires, chez les travailleurs pauvres. Vous verrez que l’assistanat, c’est surtout un fantasme de nantis.
Ce qu’il faut abolir, ce n’est pas l’aide aux pauvres. Ce qu’il faut abolir, c’est le mépris.
Ronan L.
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