Il y a un moment que les Insoumis avaient du mou dans la corde à nœuds et que ça branlait sévèrement du manche. Mais là, c’est le feu d’artifice, comme si François Pignon, le héros de L’Emmerdeur et du Dîner de cons, s’était installé aux commandes. D’où cette tragicomédie en trois actes.
Premier acte. Sébastien Delogu, le très improbable député des Bouches-du-Rhône, est en voyage en Algérie, ce qui est bien son droit. Comme il a tout à fait celui de répondre aux questions de Canal Algérie, ce 1er juillet. Sans surprise, il débine la France tout en affirmant avoir « embrassé le drapeau de l’Algérie » pour cause de « racines familiales ». Pourquoi pas. Sans surprise non plus, il s’en prend à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, au motif qu’il « invective et menace l’Algérie ». Jusque-là, tout est à peu près sous contrôle. La preuve en est qu’il se garde bien de citer les noms de l’écrivain Boualem Sansal (franco-algérien) et du journaliste Christophe Gleize (français tout court), respectivement condamnés à cinq et sept années de prison.
Puis, soudainement, la surchauffe dans le caisson à fusibles, les fils qui se touchent, les (rares) neurones qui disjonctent et les pieds qui se prennent dans le tapis.
Delogu se fâche avec les Marocains…
D’où cette idée baroque le conduisant à dénoncer le gouvernement marocain à propos de ce Sahara occidental, récemment reconnu comme partie intégrante du royaume chérifien par les USA et la France, affirmant se « fier à l’ONU et au droit international », lesquels condamnent justement cette tutelle. Ce qui équivaut, de fait, à épouser la ligne algérienne sur cet épineux sujet.
Résultat ? Dès le lendemain, c’est la levée de boucliers sur les réseaux sociaux. D’un côté, il lui est reproché de se moquer du sort de nos deux compatriotes encabanés. De l’autre, ce sont les Franco-marocains qui sortent drapeaux et clairons : « La diaspora marocaine ne votera pas pour vous ! » Plus menaçant encore, cet autre message, cité par nos confrères de Boulevard Voltaire : « Nous exigeons un positionnement clair et net de LFI concernant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Sans cela, aucun ressortissant franco-marocain ne votera pour LFI. »
Très logiquement, les murs auraient tremblé au siège des Insoumis, et Sébastien Delogu aurait été victime d’une sévère remontée de bretelles. D’où ce communiqué, pondu à la va-vite : « Le député Sébastien Delogu s’est exprimé de façon personnelle en Algérie. Il n’engage ni les groupes parlementaires de La France insoumise, ni le mouvement. »
… Et Mélenchon avec les Algériens !
Deuxième acte. Tentant d’apaiser la polémique naissante, Jean-Luc Mélenchon poste illico ce message, le 2 juillet : « Mais savez-vous que le journaliste sportif Christophe Gleizes est en prison depuis un an en Algérie ? Le silence français à géométrie variable l’a invisibilisé. Il est temps de se réveiller ! Nous, les insoumis, qui avons toujours recherché une solution mutuellement respectueuse aux problèmes des relations avec le gouvernement algérien nous ne comprenons pas cette condamnation à sept ans de prison ! Nous demandons au président Tebboune d’user de ses pouvoirs constitutionnels pour nous renvoyer notre compatriote. Christophe Gleizes et Boualem Sansal ont été jugés et ils ont été déjà détenus. Ils ne représentent quelque danger que ce soit pour l’Algérie. Leur maintien en détention est une crispation inutile entre nos pays et une sévérité cruelle. »
Notons au passage qu’il y a quelques mois, les députés européens de LFI avaient voté contre la résolution exigeant la libération de l’écrivain emprisonné. Du coup, les soutiens historiques de ce dernier ne voient, dans le tardif réveil de la Méluche, qu’une basse manœuvre consistant à tenter de sauver le slip du troufion Delogu. Quant aux Franco-algériens, c’est un autre couscous, autrement plus relevé à l’harissa, sauce Internet : « Vous n’avez pas à ordonner quoique ce soit à l’Algérie, c’est un pays souverain. » Mieux, insulte suprême : « Vous montrez votre vrai visage de colon ! » Si l’on résume la situation, la tonalité générale demeure celle-ci : « LFI, en 2027, c’est fini ! ». Comme Capri, aurait pu ajouter Hervé Vilard, le grand poète qu’on sait.
Si l’on tient bien la comptabilité à jour, s’étant à la fois mis Marocains et Algériens à dos, il ne reste plus à Jean-Luc Mélenchon qu’à se fâcher avec les Tunisiens et ce sera carton plein. Certes, Emmanuel Macron avait réussi à se brouiller à la fois avec Alger et Rabat ; mais, par nature, les records ne sont-ils pas aussi faits pour être battus ? Tant d’années d’efforts à draguer l’électorat issu de l’immigration maghrébine pour en arriver là. À leur place, on se ferait hara-kiri à grands coups de bananes blettes.
Il ne manquait plus que Mathilde Panot…
Après cette brillante semaine, il aurait été licite d’estimer que tous ces braves gens allaient se poser, histoire de reprendre leur souffle. Mais, non, toujours sur la brèche, les Insoumis ne prennent même pas de vacances, fut-ce en plein été.
D’où ce troisième acte. Comme Mathilde Panot devait trouver que tout allait trop bien, voilà qu’elle remet une thune dans le juke-box. Ainsi, à seulement neuf mois d’élections municipales à haut risque pour LFI et ses alliés écologistes, la voilà qui affirme, ce 6 juillet, que « les maires LFI élus désarmeront la police municipale et démantèleront les caméras de vidéo-surveillance. » Ou de l’art de faire l’unanimité, mais contre soi, fortuitement. Pour Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, « Traduction : avec cette gauche, vous n’aurez plus le droit à la sécurité. La gauche sans le peuple. » Et à gauche, justement ? Le socialiste Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen : « LFI n’est pas dans le réel des élus de terrain. (…) Désarmer la police municipale, supprimer la vidéo-protection, c’est porter atteinte à la sécurité publique pour ceux qui en ont le plus besoin : ceux qui vivent dans les quartiers populaires. » Comprenez, les immigrés ou descendants d’immigrés qui aimeraient bien vivre au calme. Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier n’est guère plus tendre : « Je suis en absolu désaccord avec les propositions de LFI, l’armement de la police municipale lui permet d’intervenir en tout lieu seule ou aux côtés de la police nationale, elle peut, en cas de danger évident, agir pour protéger mais aussi pour se protéger en légitime défense. La vidéo protection permet à la police nationale sous l’autorité judiciaire d’identifier les auteurs et de rendre justice aux victimes. La sécurité est un enjeu républicain, sa prise en compte par la gauche est nécessaire pour garantir la protection des plus fragiles (notamment dans les quartiers populaires) qui ne peuvent compter que sur la puissance publique pour être protégés.
À peine moins à gauche, même son de cloche du côté de Valérie Pécresse, président LR du Conseil régional d’Île-de-France : « LFI fait le choix de l’insécurité dans nos communes ! Les Français jugeront. On comprend mieux pourquoi ils souhaitent mettre à terre notre bouclier de sécurité avec les communistes. Aux municipales, nous ferons tout pour leur faire barrage ! » À croire qu’une prochaine tentative de « front républicain » puisse déjà avoir du plomb dans l’aile. L’eurodéputé lepéniste Matthieu Valet y va, lui, plus franco : « avec LFI, c’est la racaille qui reprend le pouvoir. (…) Ce parti est un danger public. »
Fin du troisième acte. Ne reste plus aux artistes qu’à venir saluer le public en délire. Bientôt en tournée dans toute la France, prière d’applaudir bien fort le Grand Mélenchon Circus, avec ses trapézistes sans trapèze, ses magiciens en attente d’être dévorés par leurs propres pigeons et, surtout, ses clowns, tous issus du Trotsko Comedy Club.