Un départ qui n'a rien d'étonnant
Né le 30 juillet 1964, le général Burkhard aurait théoriquement pu être prolongé jusqu’au 30 juillet 2027, l’âge maximal de maintien en première section des officiers généraux étant de 63 ans. Mais lorsqu’on examine la longue liste des CEMA sous la Ve République, l’on constate que la durée moyenne à cette fonction a été d’environ quatre ans, deux généraux seulement ayant accompli plus de cinq ans à ce poste stratégique, puisque placé à la charnière du militaire et du politique : le général Ailleret, sous le général de Gaulle, et le général Méry, sous Valéry Giscard d’Estaing. Selon une information du Parisien, Burkhard aurait lui-même plaidé son remplacement afin d’avoir un CEMA « bien installé » (les mots du quotidien) lorsque arrivera un nouveau Président, au printemps 2027. Ouvrons une parenthèse : on se souvient qu’à l’été 2017, un CEMA « bien installé », le général de Villiers, alors âgé de 61 ans, alors qu'il n'était pas « en bout de potentiel », démissionna car en désaccord avec les coupes budgétaires annoncées, quelques jours plus tôt, par Gérald Darmanin, ministre du Budget. Fermons la parenthèse. Au fond, cette annonce du départ du général Burkhard, au lendemain du 14 Juillet, si elle a un peu surpris, n’a rien d’étonnant.
Le dieu des armées veille au grain !
Malgré huit ans de macronisme qui auront réussi l’exploit de détruire des corps multiséculaires comme celui de la préfectorale et de la diplomatie, sous couvert de modernisation (le grand mot pour placer ses affidés), cette grande institution qu’est l’armée a réussi, jusqu’à présent, tant bien que mal, quoi qu’on en pense, quoi qu’on en dise, à être préservée, à se préserver, à la différence d’autres institutions, d’une politisation que d’aucuns qualifieront de copinage : on pense très fort à la brillante réussite de Najat Vallaud-Belkacem à ce fameux « concours » qui n’existe pas pour accéder à la Cour des comptes…
Il est vrai qu’avant d’être général, dans l’armée, il faut avoir été colonel et, avant d’avoir été colonel, lieutenant-colonel, etc. Et l’on voit mal, sous couvert de cette satanée « modernisation », un ancien administrateur civil ou un maître des requêtes au Conseil d’État prendre la tête d’une brigade blindée pour envoyer ses 8.000 hommes au casse-pipe... En tout cas, personne n’y a encore pensé ou n’a osé exprimer l’idée jusqu’à maintenant. La « modernisation » a ses limites, fixées par le dieu des armées qui veille au grain ! C'est sans doute pourquoi les nominations de généraux font moins polémique, quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense...
Général Burkhard, au pas Légion
Bien sûr, on a entendu des critiques pleuvoir, sur le général Burkhard, notamment à l’occasion de la conférence de presse qu’il prononça avant le 14 Juillet, sans doute envoyé en service commandé par le « PR » (le président de la République, dans le jargon du pouvoir). Prêter à Poutine des paroles qu’il n’a jamais prononcées n’était sans doute pas son plus beau fait d’armes, mais il ne faudrait pas que cette maladresse (disons comme ça, pour faire court) occulte la magnifique carrière de cet officier. D’abord, un mot, juste un mot, sur ses origines. Fils de prof de lycée professionnel du Territoire de Belfort, ce saint-cyrien de la promotion Cadets de la France libre est à l’évidence un bel exemple de ce qu’on appelait, jadis, la méritocratie républicaine, tout comme son prédécesseur comme chef d’état-major de l’armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser, fils de sous-officier.
La carrière du général Burkhard, depuis bientôt quarante ans, aura été un long parcours opérationnel : la Légion (2e régiment étranger de parachutistes, 4e régiment étranger, 13e demi-brigade de la Légion étrangère), le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) - cette machine de guerre qui ne voit jamais le jour en assurant la permanence du commandement des opérations partout où la France est présente -, une multitude d’opérations extérieures sous tous les cieux : Irak, ex-Yougoslavie, Afrique, Afghanistan...
Général Mandon, « à la chasse, bordel ! »
Celui qui lui succède, le général Fabien Mandon, de six ans son cadet, offre un tout autre profil. D’abord, c’est un aviateur, plus précisément un chasseur, sans doute fidèle à la vieille devise de la chasse française (« À la chasse, bordel ! »). Trente ans, d’ailleurs, qu’un général de l’armée de l’air – le général Jean-Philippe Douin, sous Chirac - n’a pas été CEMA. Depuis un an, Fabien Mandon était chef d’état-major particulier du président de la République (CEMP). Un poste clef. Car à la table de tous les Conseils de défense, cet officier général est de tous les secrets militaires, notamment nucléaires, et assiste le chef de l’État dans ses attributions de chef des armées définies par la Constitution.
Depuis un demi-siècle, il est le huitième CEMA à avoir occupé, auparavant, les fonctions de CEMP. Un poste clef, donc, pour accéder au plus haut poste auquel un militaire puisse prétendre, dans les armées. Mandon : un tout autre profil que celui de Burkhard, mais néanmoins un opérationnel. Sous des airs bon enfant, presque juvéniles, le général Mandon ne roule pas des mécaniques en faisant tinter ses nombreuses décorations (ce que ne faisait pas, non plus, Burkhard), mais à son palmarès, il compte pas moins d'une centaine de missions de guerre (Centrafrique, Tchad, Afghanistan). « En Afghanistan, j’ai tué. Et je sais qui j’ai tué : des talibans. J’ai une âme de combattant », déclarait-il, récemment, à L’Express.
Certains, cependant, verront dans le général Mandon un macroniste enamouré : toujours dans L’Express, on apprend en effet qu’« il s’enthousiasme de travailler pour ce chef de l’État ultra-agile, toujours prompt à sauter dans un avion pour convaincre un dirigeant », ajoutant : « Ce Président est incroyable. » On sait. Mais lorsqu’on lui demande ce qu’il ferait, en cas de victoire du Rassemblement national, il exclut de démissionner par principe. « Je suis un militaire au service d’un Président élu démocratiquement par les Français. Je n’ai pas de critère politique. » Légalisme ou intelligence de situation ? Les deux, mon général ! Mais, au fond, peu importe. Militaire, c’est l’essentiel.