Rendez-vous début 2013. Au bout d’une journée et demie d’infructueux marchandages, les Vingt-Sept, réunis en sommet à Bruxelles, ont jeté l’éponge vendredi sans être parvenus à un accord sur le prochain « cadre financier » communautaire 2014-2020.
Un échec certes annoncé, mais néanmoins inquiétant : les chefs d’État et de gouvernement ont calé sur 30 malheureux milliards d’euros, soit à peine 0,3 % du PIB européen. Après avoir écouté les doléances de chacun durant toute la journée de jeudi, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, a maintenu à 984 milliards d’euros le plafond des futures dépenses de l’UE, une enveloppe amputée de 76 milliards par rapport à ce que réclament la Commission et le Parlement européen. Mais trois pays — la Grande-Bretagne, la Suède et les Pays-Bas — veulent une baisse supplémentaire.
* La Grande-Bretagne, pas encore isolée ?
Le premier ministre britannique a pu repartir tête haute, ses « lignes rouges » intactes, notamment la préservation du fameux « rabais » obtenu de haute lutte par Thatcher en 1984. Mis en demeure par les eurosceptiques de son parti d’obtenir une baisse drastique du budget européen, le conservateur David Cameron s’est réjoui, devant la presse, de voir que « la Grande-Bretagne n’a pas été seule contre tous ». L’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas, la Finlande et le Danemark, a-t-il souligné, n’étaient pas non plus satisfaits du compromis avancé la veille par Van Rompuy. En réalité, ce sont surtout Stockholm et Amsterdam qui l’ont soutenu. Un compromis que Cameron juge, en l’état, « inacceptable ». Pour lui, il est particulièrement « insultant » qu’on ne touche pas aux salaires et aux retraites des fonctionnaires européens : « les institutions européennes doivent s’adapter au monde réel », a-t-il grincé. Pour autant, Cameron qu’on disait remonté à bloc et prêt à dégainer son veto veut rester à bord : « nous devons reconnaitre que (...) l’appartenance à l’UE nous bénéficie », a-t-il souligné.
* La France, entre le marteau et l’enclume ?
Une image diffusée en salle de presse montrait, jeudi soir, François Hollande dans un coin de la salle du conseil européen pendant que la chancelière allemande papillonnait, passant d’un dirigeant à l’autre, négociant ferme. Un raccourci saisissant de la solitude française. Car Paris est coincé entre son souci de relancer la croissance alors que ses caisses sont vides et sa volonté de préserver une Politique agricole commune (PAC) hors d’âge. Comme l’a reconnu un chef de l’État peu enthousiaste : « je ne suis pas le leader de la PAC, mais je m’inscris dans la tradition française » qui est d’éviter de se mettre le monde agricole à dos. Résultat : Paris parle de croissance, mais est prêt à couper dans les politiques de la recherche/développement, seul moyen de faire diminuer le chèque qu’il verse au budget européen… Cette position illisible explique l’absence d’axe franco-allemand, car Merkel, elle, a un objectif de guerre.
* L’Allemagne arbitre de la négociation ?
La chancelière a tout fait pour éviter que la Grande-Bretagne saute de l’esquif européen avant le sommet de décembre. Pour elle, c’est LE rendez-vous important : les Vingt-sept devront adopter la « feuille de route » qui doit mener à l’intégration politique et budgétaire de la zone euro. Et les dix-sept ont besoin de l’accord de Londres pour modifier les traités. Le conseiller diplomatique de Merkel a donc fait la tournée des capitales en expliquant que Berlin voulait une coupe supplémentaire dans les 984 milliards de Van Rompuy. La somme de 30 milliards a été avancée, soit pas très loin des 50 milliards que réclame Cameron. Ce qui lui a donné l’espoir de réaliser un axe Berlin-Londres sur le budget, un cauchemar pour la Commission et pour Paris. Mais, et ce n’est pas un hasard si l’échec a été consommé, ce rapprochement est un miroir aux alouettes, Londres ayant tellement multiplié les lignes rouges inacceptables pour ses partenaires (touche pas à mon chèque, taille dans la PAC et les aides régionales, coupe dans l’innovation et la recherche, diminue le salaire des eurocrates, etc.). Merkel le sait très bien comme elle sait qu’isoler Paris pourrait être mortel pour l’avenir de la zone euro qui la préoccupe bien davantage que l’avenir de Londres. C’est pourquoi, confie un diplomate européen, « nous réfléchissons à des scénarios de contournement si le prochain sommet échoue, comme l’adoption informelle d’un cadre financier à 24 et, ensuite, un vote annuel du budget européen qui, lui, se fera à la majorité qualifiée. C’est une arme nucléaire, mais si Londres nous bloque, il faudra déclencher les hostilités » . Mais son utilisation est renvoyée à l’année prochaine.
N.B. : article cosigné avec Nathalie Dubois et paru ce matin dans Libération