Le 19 décembre 1946, le parti communiste vietnamien de Hô Chi Minh lance une insurrection générale contre le colonisateur français à Hanoï et dans tout le Tonkin. C'est le début de la première guerre d'Indochine... et de trois décennies de conflits quasi-ininterrompus qui vont mettre le Viet-Nam et les autres pays de la région à feu et à sang.
Le drame puise sa source dans la défaite de la France face à l'Allemagne, l'occupation de ses colonies d'Indochine par le Japon et la volonté du général de Gaulle, à la Libération, de réoccuper l'Indochine pour l'honneur du drapeau, cela au moment même où les autres puissances coloniales abandonnaient leurs colonies d'Asie (Indes et Birmanie pour l'Angleterre, Indonésie pour les Pays-Bas).
Le 24 mars 1945, alors qu'il s'apprête à prendre le pouvoir en France, le général de Gaulle déclare son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine.
Cette déclaration intervient quinze jours après l'humiliant «coup de force du 9 mars» par lequel les Japonais se sont emparés des leviers de commande en Indochine et ont capturé, voire massacré, les Français présents sur place.
Le chef de la France libre veut prendre de court ses alliés anglo-saxons qui lorgnent sur l'Indochine comme le montrera leur décision, à Potsdam, d'en confier l'administration aux Chinois et aux Britanniques, à l'exclusion des Français.
De Gaulle projette d'établir une fédération de colonies et de protectorats qui comprendrait les trois provinces du Viêt-nam (les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine) ainsi que le Cambodge et le Laos. Le 14 août 1945, il nomme l'amiral Thierry d'Argenlieu gouverneur général de l'Indochine ; farouche partisan de la colonisation, l'homme a aussi la réputation d'être rigide et cassant.
Les événements se précipitent. En septembre 1945, sitôt après la capitulation du Japon, Hô Chi Minh, chef du parti communiste vietnamien, le Vietminh, proclame unilatéralement la République démocratique du Viêt-nam.
Dans le même temps, un corps expéditionnaire débarque à Saigon sous le commandement du général Leclerc. Celui-ci serait partisan de négocier avec le Vietminh mais pour son supérieur hiérarchique d'Argenlieu, il n'en est pas question.
Fonctionnaires et militaires français se réinstallent sans trop de mal en Cochinchine, où le Vietminh est quasiment absent. Là-dessus, Leclerc engage non sans succès la reconquête du nord.
Mais de Gaulle quitte le pouvoir en janvier 1946... Le nouveau gouvernement comprend l'inanité d'un maintien de la France en Indochine. Il prépare un accord avec les Vietnamiens en vue de reconnaître leur indépendance, suivant l'exemple des Britanniques qui s'apprêtent à quitter leur colonie des Indes.
Paris bénéficie d'une circonstance favorable : Hô Chi Minh, à Hanoï, craint une mainmise de ses voisins chinois et se montre disposé à composer avec les Français. C'est ainsi que le négociateur Jean Sainteny et Hô Chi Minh signent les accords du 6 mars 1946. Ils reconnaissent un État libre du Viêt-nam au sein de l'Union française.
Une conférence se réunit à Fontainebleau, en présence d'Hô Chi Minh lui-même, en vue de préciser les contours de l'indépendance de l'Indochine. Un référendum est prévu pour l'union des trois Ky. Mais la conférence se prolonge indéfiniment, les protagonistes jouant la montre.
Elle va tourner court en raison d'un premier incident qui survient le 19 novembre 1946. Ce jour-là, une fusillade se produit dans le port de Haïphong entre une jonque chinoise et la douane française. À bord de la jonque, des nationalistes vietnamiens transportent de l'essence de contrebande. La fusillade dégénère et fait 24 morts. Parmi eux le commandant Carmoin qui s'avançait avec un drapeau blanc vers les Vietnamiens de la jonque.
L'incident de la jonque chinoise est aussitôt exploité par les partisans d'une reconquête de l'ancienne colonie, au premier rang desquels figure l'amiral Thierry d'Argenlieu.
Avec le soutien du ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, l'amiral veut au moins conserver Saïgon et la Cochinchine à la France et il s'oppose ouvertement à Leclerc et Sainteny. En contradiction avec les accords du 6 mars, il décide de rompre l'unité des trois Ky du Viêt-nam en créant une Cochinchine indépendante affidée à la France.
Pour imposer leur solution au Vietminh et rétablir leur autorité sur une partie au moins de l'Indochine, les militaires décident de recourir à la bonne vieille «diplomatie de la canonnière» héritée du siècle précédent.
Le 23 novembre 1946, à l'instigation de l'amiral d'Argenlieu, trois avisos du colonel Debès bombardent le port de Haïphong. Brutale, l'attaque aurait fait 6.000 morts ! L'événement passe inaperçu de la métropole et notamment du chef du gouvernement, le socialiste Léon Blum, qui n'en perçoit pas la gravité. Mais sur place, il n'en va pas de même. L'agression lève les derniers hésitations de Hô Chi Minh.
Le 19 décembre suivant, son parti, le Vietminh, lance une offensive générale contre les Français. La centrale électrique de Hanoï est détruite, les rues barrées, les magasins et les maisons d'Européens attaqués... On compte pas moins de 400 victimes, morts et disparus, parmi les colons.
Le lendemain, après le massacre, l'«oncle Hô», surnom affectueux que donnent les communistes à leur chef, publie une déclaration sans ambiguïté : «Luttez par tous les moyens dont vous disposez. Luttez avec vos armes, vos pioches, vos pelles, vos bâtons. Sauvez l'indépendance et l'intégrité territoriale de la patrie. Vive le Vietnam indépendant et indivisible. Vive la démocratie » (*). Aussitôt, Hô Chi Minh entre dans la clandestinité et son général Giap forge une armée de 60.000 hommes pour chasser les Français.
L'opinion française se montre indifférente à cette guerre coloniale qui débute, quand elle ne s'y oppose pas par des manifestations violentes contre les convois de soldats, voire de blessés rapatriés d'Indochine.
Il est vrai que les combattants du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) ne sont pas des conscrits mais des militaires de métier, des volontaires des colonies d'Afrique et d'Asie et des soldats de la Légion étrangère, y compris de jeunes Allemands, orphelins de la Wehrmacht, à l'égard desquels l'opinion publique se sent peu d'affinités.
Rien de tel du côté vietnamien. Les communistes bénéficient du soutien de la population et s'assurent la maîtrise de la plus grande partie du Tonkin.
Les Français tentent de restaurer un semblant de protectorat ou d'«État associé à l'Union française» en installant à sa tête l'ancien empereur de l'Annam, Bao-Daï. Leurs calculs sont mis à mal par la victoire des communistes à Pékin, le 1er octobre 1949. Le nouveau maître de la Chine, Mao Tsé-toung, ne va plus dès lors ménager son soutien logistique à Hô Chi Minh.
En contrepartie, les diplomates américains, favorables au commencement à Hô Chi Minh, le lâchent lorsqu'eux-mêmes sont amenés à repousser une attaque communiste en Corée, en juin 1950. Ils décident dès lors de soutenir massivement l'effort de guerre de la France.
Devant la difficulté de tenir les confins sino-indochinois, l'armée française décide de les évacuer. L'opération se solde à Cao-Bang, en octobre 1950, par de lourdes pertes (7.000 victimes sur un effectif de 8.000 hommes).
En décembre 1950, le prestigieux général Jean de Lattre de Tassigny reprend les choses en main et redresse la situation. Mais, malade et accablé par la mort au combat de son fils unique, lieutenant en service au Tonkin, le «roi Jean» s'éteint à Paris le 11 janvier 1952.
Son successeur intérimaire, le général Raoul Salan, futur putschiste d'Alger, poursuit avec un certain succès et malgré des moyens mesurés le travail de «pacification». Il installe dans les montagnes, au coeur des zones ennemies, des camps retranchés ou «hérissons» sur lesquels viennent se briser les offensives du général Giap. Il remporte ainsi un franc succès à Na Sam en décembre 1952 puis dans la plaine des Jarres.
Mais, le 8 mai 1953, les aléas de la politique parisienne portent le général Henri Navarre à la tête du corps expéditionnaire , en remplacement de Salan. Le nouveau commandant en chef dispose de 250.000 hommes (près de 450.000 avec les troupes indochinoises).
À Paris, les responsables politiques estiment que la guerre, officiellement qualifiée d'«opérations de pacification», n'a que trop traîné et qu'il est temps pour la France d'y mettre un terme, en se retirant du Viêt-nam, si possible avec les honneurs.