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Contre la désinformation : L'antidote Volkoff

« Plus un mensonge est gros, et plus les gens y croient », aurait un jour déclaré Joseph Goebbels. On peut reprocher de nombreux méfaits au ministre de la Propagande du IIIe Reich. On ne peut pas lui faire grief d'avoir manqué de franchise. Ce n'est pas le cas de tous ceux qui, depuis sa disparition, agissent le visage dissimulé sous le masque de la désinformation. À l'Est comme à l'Ouest.

Propagande. Publicité. Intoxication. Désinformation. Les quatre termes sont souvent utilisés comme s'ils recouvraient la même réalité. Or, s'ils peuvent être proches, ils ne se recoupent pas exactement Vladimir Volkoff, dans sa Petite histoire de la désinformation, du cheval de Troie à Internet (Editions du Rocher, 2003), a très bien démontré la différence existant entre ces quatre concepts.
Le mot propagande, qui date de 1689, vient de la formule latine congregatio de propadanda fide, « congrégation pour la propagation de la foi ». Il suppose la transmission d'une information à un public, information devant être salutaire pour lui et qui n'est pas perçue comme mensongère par l'informateur, mais au contraire comme l'expression de la seule vérité qui soit. À partir de 1792, la propagande est définie « comme, l'action exercée sur l'opinion pour l'amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à vouloir et soutenir une politique, un gouvernement, un représentant ».

Le propre de la désinformation est de viser les foules
Sur le fondement de cette définition, l'action du docteur Goebbels mérite bien son nom. À travers les grandes messes païennes de Nuremberg, avec leurs étendards et leurs torches, les nazis prêchaient  ouvertement l'adoration du Führer. La propagande s'exprime ainsi au grand jour. Elle ne dissimule pas son but. Elle affiche la couleur. Elle n'est pas sournoise. En ce sens, elle se distingue fondamentalement de la désinformation.
La publicité, qui est définie comme « le fait d'exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales », se rapproche de la propagande. Toutefois, celle-ci cherche à persuader, tandis que celle-là tente uniquement de séduire. Elle n'est pas non plus la désinformation car elle va droit au but. L'intoxication, quant à elle, peut être définie comme « une action insidieuse sur les esprits, tendant à accréditer certaines opinions, à démoraliser, à dérouter ». L'intoxication est une redoutable arme de guerre. Intoxiquer l'ennemi pour le prendre par surprise est une technique courante chez les stratèges.
Pierre Nord, alias le colonel André Brouillard du Deuxième Bureau, en a donné un bel exemple dans L'Intoxication (Rencontre, 1971). En 1943, les Alliés, qui ont déjà débarqué en Afrique du Nord, préparent l'invasion de la Sicile. Les Allemands les y attendent. Le choc risque d'être meurtrier. Les Américains vont alors les intoxiquer, en montant un stratagème, pour leur faire croire que leur action portera sur la Sardaigne et le Péloponnèse. Hitler tombe dans le panneau. Il concentre ses troupes sur ces deux lieux devenus stratégiques. Le 10 juillet, les Américains débarquent en Sicile sans difficulté. Pour Vladimir Volkoff, l'intoxication vise un groupe restreint de décideurs, comme un état-major. En revanche, la désinformation vise l'opinion publique.

Si Soljenitsyne a de l'écho, il faut le discréditer
Ces différences étant établies, Volkoff considère que la désinformation suppose trois éléments ; une manipulation de l'opinion publique, sinon ce serait de l'intoxication ; des moyens détournés, sinon ce serait de la propagande ; des fins politiques, sinon ce serait de la publicité. D'où la définition selon laquelle la désinformation est une manipulation « de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés ». La désinformation ainsi définie, si elle est plus que jamais présente dans notre société de l'image, a connu son heure de gloire au cours de la guerre froide. Aux premières heures du 4 novembre 1956, un millier de chars soviétiques, soutenus par l'aviation, investissent Budapest. L'armée occupe bientôt tous les points stratégiques de la capitale hongroise. La radio du pays magyar, avant de tomber entre les mains des troupes d'occupation, a le temps d'adresser un appel au secours en direction de l'Occident incrédule et immobile : « Nous n'avons plus beaucoup de temps. Vous savez ce qui arrive. Aidez la nation hongroise, ses travailleurs, ses paysans et ses intellectuels. À l'aide ! À l'aide ! À l'aide ! » Qui s'est soulevé derrière le rideau de fer ? Le peuple ? Non, uniquement des réactionnaires. Des bourgeois. Des fascistes. La désinformation fonctionne. L'Occident ne bouge pas.
La machine à désinformer se mettra en marche à chacune des interventions militaires soviétiques survenues au cours de la guerre froide. Lorsqu'en 1980 l'Union soviétique entre en Afghanistan, Georges Marchais pourra, en toute sérénité, approuver le principe d'une «intervention» qui va se solder par des milliers de victimes et l'occupation d'un pays qui avait tout autant le droit qu'un autre à sa souveraineté. À chaque fois, l'Union soviétique, relayée en Occident par de puissants réseaux de désinformation, parviendra à banaliser ses aimes et tentera de discréditer ses adversaires, tel Alexandre Soljenitsyne, qui fit l'objet, en 1981, d'un ouvrage, signé d'un certain A. Flegon, au titre évocateur : Autour de Soljenitsyne et dont le but était de le faire passer pour antisémite.

Le communisme continue d'imprégner les esprits
Dernier exemple : le 1er septembre 1983, un Boeing sud-coréen est abattu par l'Urss. Celle-ci doit trouver une excuse à ce qui semble être une dramatique erreur. La campagne de désinformation se met en marche. Auprès de certains gogos occidentaux, l'opération est une réussite. Le 3 octobre, le premier ministre socialiste grec déclare que l'avion « exécutait une mission d'espionnage pour la CIA et avait violé l'espace aérien soviétique pour espionner certains objectifs ». Lorsque, le 9 février 1984, Youri Andropov, secrétaire général du parti communiste soviétique et ancien chef du KGB, s'éteindra, au Parlement européen, tous les députés, à la demande du ministre français des Relations extérieures, Claude Cheysson, observeront une minute de silence en sa mémoire. L'hommage des naïfs au virtuose ?
Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini. La désinformation pendant la guerre froide a été telle qu'il n'est pas certain que les Soviétiques l'aient réellement perdue. À première vue, l'Occident a gagné. Militairement et économiquement. Mais intellectuellement, le communisme n'a-t-il pas triomphé ? Il est probable que oui. Même peur ceux qui le condamnent, le communisme demeure un mal relatif, lorsque le nazisme est à jamais catalogué comme le mal absolu. L'idée communiste reste une grande idée qui a été dévoyée, notamment par Staline. Les communistes repentis tiennent le haut du pavé. Ils ne sont plus communistes, mais ils ne regrettent rien. Ils y croyaient. Ils étaient jeunes. Ils avaient un bel idéal. Tentez de soutenir ces niaiseries en racontant que vous êtes un nazi repenti. Le résultat ne sera sans doute pas le même.
Les communistes, malgré les travaux de Stéphane Courtois, sont parvenus à faire oublier leurs méfaits. Cent millions de victimes. L'invention des camps de concentration. La déportation de populations. La torture pratiquée au cours des interrogatoires. La faillite économique des pays qu'ils ont dirigés. Le recours à la terreur. Le mensonge comme moyen de gouvernement. La pollution de pays entiers. Le nazisme, qui a fait moins de victime que le communisme, a été définitivement, et à juste titre, rejeté dans les poubelles de l'Histoire. Le communisme, lui, parade toujours sur le haut de l'estrade. Tel est le résultat de soixante-dix ans de désinformation.
« L'espoir des peuples occidentaux est d'apprendre à vivre sans s'en laisser compter », écrivait Volkoff en 1986, alors que l'Union soviétique paraissait pouvoir durer mille ans et était l'ennemi principal de tous les instants. Il ne croyait pas alors à la capacité des Américains de pratiquer la désinformation et donnait trois raisons à cela : l'impossibilité de mener une action sur les médias de l'ennemi (qui étaient, dans son esprit et dans le contexte historique, ceux du bloc soviétique contrôlés par un système totalitaire) ; l'« intention politique précise et ferme » (la formule est de Pierre Nord), qui, selon Volkoff, fait défaut de façon structurelle aux démocraties : le manque de temps (en raison des élections entraînant des changements de majorité) alors que la désinformation « nécessite une action prolongée, s'étendant sur plusieurs années au moins ».
Le premier obstacle ayant sauté, qu'en est-il des deux autres ? Les événements de ces dix ou quinze dernières années ont montré que, par-delà les scrutins et parfois contre eux, subsistaient dans les démocraties, et notamment dans la démocratie américaine, des appareils d'Etat qui, eux, ont tout le temps pour planifier, sont mus par une volonté « précise et ferme » et n'ignorent rien des techniques exposées par Volkoff, notamment dans sa préface à La Désinformation, arme de guerre (L'Age d'homme, 1986). « À condition qu'un temps suffisant soit accordé à l'opération et qu'un nombre suffisant d'individus "massifiés" aient été touchés, écrivait-il, l'opération se déroulera d'elle-même, grâce aux truchements subalternes qu'on appelle caisses de résonance », à savoir ceux qui, croyant propager de l'information, « colportent la désinformation ».

Le meilleur des mensonges est parfois la vérité
Depuis l'effondrement de l'« Empire du Mal », les Américains sont devenus, à leur tour, des mièvres en matière de désinformation. La manière dont ils ont vendu à l'opinion publique les deux guerres du Golfe et l'agression de la Serbie en constitue la plus belle illustration. À coup d'images tronquées, de faux témoignages et de rumeurs soigneusement entretenues, ils sont parvenus à construire deux épouvantails, Saddam Hussein et Slobodan Milosevic, dont l'élimination est devenue, dans l'inconscient de tous, une œuvre de salubrité publique. Même les Soviétiques, au temps de leur splendeur, n'étaient pas parvenus à une telle perfection dans le machiavélisme le plus sournois.
La désinformation étant devenue l'outil essentiel de la manipulation des foules, il est essentiel de conserver un esprit critique devant tout événement. Surtout s'il paraît évident. Anodin. Avéré. Car comme l'a dit l'écrivain américain Isaac Asimov : « The closer to the truth, the better the lie, and the truth itself, when it can be used, is the best lie. » « Plus un mensonge est proche de la vérité, plus il est efficace ; et la vérité elle-même, lorsque l'on peut en faire usage, est le meilleur des mensonges.. »
Thierry Normand Le Choc du Mois février 2007

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