Chaque individu, chaque collectivité vit sur un système de représentations qui structure son univers mental, donne sa cohérence au groupe et forme la base du destin qu’il se donne ou qu’il subit. L’histoire modèle ces systèmes et donne à chaque culture une forme qui lui est propre, avec une adaptabilité plus ou moins grande. La culture d’un peuple constitue son système de référence, d’évaluation et d’explication. Elle est ce par quoi chacun « arraisonne » le monde et tente d’agir sur lui.
Ce système d’interprétation est amené à évoluer de deux manières :
par sa logique propre : l’Europe est passée de ce que Heidegger appelle « l’étonnement » face au monde, sa diversité, son imprévisibilité, à une tentative de reconstitution de la réalité par la Raison, débouchant sur des modèles d’explication globale du monde, en général déterministes et réducteurs. C’est ce processus que Max Weber1, puis Marcel Gauchet2 ont décrit sous le nom de « désenchantement » du monde, par les évolutions du réel qui rendent caduques les explications traditionnelles. On pourrait ainsi citer le passage de sociétés relativement stables, divisées en « états » (stande), en ordres, en corporations, avec des relations de socialité bien définies, à une société plus « anomique ».
Ce système d’interprétation est amené à évoluer de deux manières :
par sa logique propre : l’Europe est passée de ce que Heidegger appelle « l’étonnement » face au monde, sa diversité, son imprévisibilité, à une tentative de reconstitution de la réalité par la Raison, débouchant sur des modèles d’explication globale du monde, en général déterministes et réducteurs. C’est ce processus que Max Weber1, puis Marcel Gauchet2 ont décrit sous le nom de « désenchantement » du monde, par les évolutions du réel qui rendent caduques les explications traditionnelles. On pourrait ainsi citer le passage de sociétés relativement stables, divisées en « états » (stande), en ordres, en corporations, avec des relations de socialité bien définies, à une société plus « anomique ».
Expliquer sans comprendre
Le refus de penser le bouleversement, de substituer aux modes de représentation traditionnels de nouveaux codes est le corollaire de la peur de l’historialité. Le recodage du monde sans cesse renouvelé n’est possible que si l’on accepte le changement, l’aléa, l’histoire.
Tout cela ne va pas de soi. Un basculement social, même s’il est précédé de nombreux signes avant-coureurs, perturbe les représentations traditionnelles. La théorie du complot, ou « vision policière de l’Histoire » (Manes Sperber) constitue la réponse d’un système de représentation qui se veut universel et mécaniste aux secousses de l’histoire. À l’instar de la vision providentialiste développée par un Joseph de Maistre, mais sur un mode pessimiste, elle permet de nier le caractère fondamentalement aléatoire et tragique de l’évolution du monde.
L’Histoire n’y est plus le champ d’affrontement de forces antagonistes. Il existe au contraire un ordre naturel et son bouleversement n’est que l’aboutissement d’un complot méthodique mené par des forces occultes guidées par une conscience démoniaque. Le chef d’orchestre clandestin peut avoir plusieurs visages, qui ont donné lieu à des mythes qui s’entrecroisent au fil des obsessions individuelles. Suivant les besoins de la cause, le démon sera juif, franc-maçon, capitaliste, synarchiste, aristocrate, papiste ou jésuite.
Avant d’examiner les fondements de cette mentalité paranoïaque – car c’est aussi de cela qu’il s’agit – il n’est peut-être pas inutile de jeter quelques coups de projecteur sur le plus significatif de ces mythes, celui qui a déclenché les plus vives passions. C’est celui où la démence a probablement atteint le plus grand degré de véhémence et de sophistication : le mythe de la conspiration juive.
Le refus de penser le bouleversement, de substituer aux modes de représentation traditionnels de nouveaux codes est le corollaire de la peur de l’historialité. Le recodage du monde sans cesse renouvelé n’est possible que si l’on accepte le changement, l’aléa, l’histoire.
Tout cela ne va pas de soi. Un basculement social, même s’il est précédé de nombreux signes avant-coureurs, perturbe les représentations traditionnelles. La théorie du complot, ou « vision policière de l’Histoire » (Manes Sperber) constitue la réponse d’un système de représentation qui se veut universel et mécaniste aux secousses de l’histoire. À l’instar de la vision providentialiste développée par un Joseph de Maistre, mais sur un mode pessimiste, elle permet de nier le caractère fondamentalement aléatoire et tragique de l’évolution du monde.
L’Histoire n’y est plus le champ d’affrontement de forces antagonistes. Il existe au contraire un ordre naturel et son bouleversement n’est que l’aboutissement d’un complot méthodique mené par des forces occultes guidées par une conscience démoniaque. Le chef d’orchestre clandestin peut avoir plusieurs visages, qui ont donné lieu à des mythes qui s’entrecroisent au fil des obsessions individuelles. Suivant les besoins de la cause, le démon sera juif, franc-maçon, capitaliste, synarchiste, aristocrate, papiste ou jésuite.
Avant d’examiner les fondements de cette mentalité paranoïaque – car c’est aussi de cela qu’il s’agit – il n’est peut-être pas inutile de jeter quelques coups de projecteur sur le plus significatif de ces mythes, celui qui a déclenché les plus vives passions. C’est celui où la démence a probablement atteint le plus grand degré de véhémence et de sophistication : le mythe de la conspiration juive.
La « conspiration juive »
Ce n’est qu’après la seconde Guerre Mondiale que l’on s’est interrogé en profondeur sur les causes de l’antisémitisme. Certains y ont vu une manifestation des « mauvais penchants de l’homme » ou le sort malheureux d’un peuple toujours persécuté, ce qui permettait d’esquiver la question.
En fait, c’est dans les milieux chrétiens que naît la condamnation du Juif comme être malfaisant et démoniaque. Le marcionisme oppose la bonté du Christ à la méchanceté de Iahvé. Le christianisme, qui se présente comme le Verus Israël ressent très tôt son illégitimité vis-à-vis du judaïsme. Pour justifier le « détournement » que constitue la transformation de Jahvé, protecteur d’un peuple qu’il a élu, en Dieu universel, il fallait couper le cordon ombilical. D’où les anathèmes antisémites de Saint Jean Chrysostome et de Saint Augustin. D’où la thématique du peuple déicide. En fait, ce n’est pas le meurtre réel du Christ qui est en jeu, mais son meurtre symbolique. Par leur existence, par leur foi, les Juifs témoignaient de ce que « le Christ ne pouvait être qu’un homme mort et que la foi chrétienne pouvait mourir »3. Le Juif devient l’instrument de la volonté implacable de Satan pour détruire l’ordre chrétien. « La démonisation du Juif, note Norman Cohn4, doit son origine à la propagande du clergé chrétien contre une religion rivale, le judaïsme [...] et lorsque le Juif est “démonisé”, il est inconsciemment ressenti comme une cruelle et tyrannique figure paternelle ». D’où « l’idée que le judaïsme est une organisation conspiratrice, placée au service du Mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve à la ruine du genre humain ».
Au Moyen-Âge, c’est le bas-clergé qui propage ces thèmes : assassinats d’enfants chrétiens, profanations d’hosties, empoisonnement des puits qui serait à l’origine de la Grande Peste de 1347. C’est une Providence inversée. À noter qu’au moment de l’affaire Dreyfus, un tiers des abonnés de La Libre Parole, le journal d’Édouard Drumont, sont des ecclésiastiques.
Ce providentialisme maléfique connaîtra un fort regain à partir de la Révolution Française. « Le mythe de la conspiration juive est en fait, dit Norman Cohn, une expression profondément dégradée et déformée des tensions sociales qui se manifestèrent lorsque, avec la Révolution Française et l’avènement du XIXe siècle, l’Europe entre dans une ère de changements exceptionnellement rapides et profonds [...] D’après ce mythe, il existe un mouvement secret juif qui, grâce à un réseau d’agences et d’organisations, contrôle les partis politiques et les gouvernements, la presse et l’opinion publique, les banques et la vie économique. Le gouvernement secret est censé poursuivre un plan immémorial, afin de s’assurer de la domination universelle, et il est censé être sur le point d’y parvenir ». La domination mondiale du judaïsme, c’est celle de l’Antéchrist, et elle prélude à la fin des temps.
De son côté, un jésuite, l’abbé Barruel, dans son Mémoire pour servir l’histoire du Jacobinisme, publié en 17975, développe l’idée que la Révolution Française trouve son origine dans une conspiration maçonnique (il versera lui aussi dans l’antisémitisme par la suite). C’est la revue des jésuites italiens, Civilta Cattolica, qui fait la synthèse de toutes ces obsessions en popularisant le thème du complot judéo-maçonnique.
La révolution industrielle, qui bouleverse les sociétés rurales de l’Europe au cours du XIXe siècle, donne naissance à un terreau fertile pour les représentations du Juif comme instigateur souterrain et démoniaque d’une modernité destructrice des valeurs traditionnelles. Faute de comprendre le jeu des forces nouvelles et d’accepter l’irruption de l’inconnu (de « s’étonner »), la conception monovalente du monde débouche sur une terreur obsidionale. « La théorie du complot est plus satisfaisante pour l’esprit que toute autre ; dans une vision transcendante, elle semble même inévitable comme mode de lecture des souffrances d’ici-bas »6.
À cette époque naissent d’ailleurs de nombreux écrits tendant à accréditer l’idée d’un complot juif destiné à dominer le monde après l’avoir réduit à la misère par l’usure. À l’encontre des pamphlets de Toussenel (Les Juifs rois de l’époque) et de Drumont (La France juive), ils se présentent comme des documents provenant de réunions ou de contacts entre comploteurs. Citons le Discours du Rabbin, tiré en réalité du roman d’Hermann Gœdsche, Biarritz, ou encore des textes comme la Lettre des Juifs d’Arles et la Réponse des Juifs de Constantine, toutes deux publiées en 1880 dans la Revue des Études Juives. Un autre écrit va connaître un succès plus grand encore.
À l’origine, un pamphlet dirigé contre l’empereur Napoléon III, Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, de Maurice Joly, qui paraît en 1864. Dans ce livre7, Machiavel représente le cynisme, l’exaltation de la domination sans scrupules. Un plagiat, reprenant les thèmes développés par le personnage du Florentin, paraît en 1903 dans la revue russe Znamia, proche du groupe réactionnaire et antisémite des Cents-Noirs, sous le titre « Programme Juif de conquête mondiale ». Il comporte des allusions à des événements politiques français aussi bien que russes qui permettent de le dater de 1897 ou 1898, c’est à dire en pleine affaire Dreyfus. Le texte est présenté comme le compte-rendu d’une réunion secrète des chefs du judaïsme mondial qui se serait tenue à Paris. Il avait en fait été fabriqué à l’instigation du chef du bureau parisien de la police politique russe, l’Okhrana. Mais ce n’est qu’en 1905 que commence le succès de l’ouvrage lorsque, remanié par un mystique à demi fou, Sergueï Nilus, il paraît sous le titre de Protocole des Sages de Sion8.
L’ouvrage se répandra en Europe après la Révolution de 1917 dont les Juifs sont rendus responsables par nombre de Russes blancs. Par ailleurs, les désenchantements de l’après-guerre redonnent vie au mythe du gouvernement clandestin, où le juif-capitaliste est l’alliée du juif-bolchevik : « Juifs de Finance et Juifs de Révolution ont dicté de connivence une paix juive. Les Sémites internationaux ont réglé pas mal de choses au mieux des intérêts de la famille [...] les deux internationales de l’Or et du Sang, la Finance et la Révolution, ont à leur tête une élite de Juifs, l’une et l’autre étendent leurs tentacules à travers le monde entier » écrit G. Batault, chroniqueur au Mercure de France9. Les Juifs sont bien entendu responsables de la Grande Crise : « Maîtres de la vie économique, maîtres de l’argent, maîtres du monde moderne, les Juifs nous ont menés au chaos de la crise mondiale » écrit l’essayiste catholique Léon de Poncins10.
Ces citations sont révélatrices d’une mentalité : d’une part on nie l’autonomie du monde en expliquant les grands bouleversements par une cause extérieure – c’est le processus de « démonisation » – et d’autre part, il faut qu’à l’instar du Bien, le Mal soit aussi unique. Cela nous mène tout droit aux thèses développées par Adolf Hitler, dont la paranoïa, au terme de cette analyse, semble presque banale, tant on y retrouve des thèmes – des mythèmes devrait-on dire – archi-usés : « [Le Juif] a dans la franc-maçonnerie, qui est complètement tombée entre ses mains, un excellent instrument pour mener une lutte qui lui permette de parvenir astucieusement à ses fins [...] À la franc-maçonnerie s’ajoute la presse comme seconde arme de la juiverie [...] par son intermédiaire, il prend dans ses filets toute la vie publique »11. Et enfin il y a la social-démocratie qui permet de capter le peuple et de parvenir ainsi à la domination. Alors, conclut Hitler, « le Juif démocrate et ami du peuple donne naissance au Juif sanguinaire et tyran des peuples ».
Ce n’est qu’après la seconde Guerre Mondiale que l’on s’est interrogé en profondeur sur les causes de l’antisémitisme. Certains y ont vu une manifestation des « mauvais penchants de l’homme » ou le sort malheureux d’un peuple toujours persécuté, ce qui permettait d’esquiver la question.
En fait, c’est dans les milieux chrétiens que naît la condamnation du Juif comme être malfaisant et démoniaque. Le marcionisme oppose la bonté du Christ à la méchanceté de Iahvé. Le christianisme, qui se présente comme le Verus Israël ressent très tôt son illégitimité vis-à-vis du judaïsme. Pour justifier le « détournement » que constitue la transformation de Jahvé, protecteur d’un peuple qu’il a élu, en Dieu universel, il fallait couper le cordon ombilical. D’où les anathèmes antisémites de Saint Jean Chrysostome et de Saint Augustin. D’où la thématique du peuple déicide. En fait, ce n’est pas le meurtre réel du Christ qui est en jeu, mais son meurtre symbolique. Par leur existence, par leur foi, les Juifs témoignaient de ce que « le Christ ne pouvait être qu’un homme mort et que la foi chrétienne pouvait mourir »3. Le Juif devient l’instrument de la volonté implacable de Satan pour détruire l’ordre chrétien. « La démonisation du Juif, note Norman Cohn4, doit son origine à la propagande du clergé chrétien contre une religion rivale, le judaïsme [...] et lorsque le Juif est “démonisé”, il est inconsciemment ressenti comme une cruelle et tyrannique figure paternelle ». D’où « l’idée que le judaïsme est une organisation conspiratrice, placée au service du Mal, cherchant à déjouer le plan divin, complotant sans trêve à la ruine du genre humain ».
Au Moyen-Âge, c’est le bas-clergé qui propage ces thèmes : assassinats d’enfants chrétiens, profanations d’hosties, empoisonnement des puits qui serait à l’origine de la Grande Peste de 1347. C’est une Providence inversée. À noter qu’au moment de l’affaire Dreyfus, un tiers des abonnés de La Libre Parole, le journal d’Édouard Drumont, sont des ecclésiastiques.
Ce providentialisme maléfique connaîtra un fort regain à partir de la Révolution Française. « Le mythe de la conspiration juive est en fait, dit Norman Cohn, une expression profondément dégradée et déformée des tensions sociales qui se manifestèrent lorsque, avec la Révolution Française et l’avènement du XIXe siècle, l’Europe entre dans une ère de changements exceptionnellement rapides et profonds [...] D’après ce mythe, il existe un mouvement secret juif qui, grâce à un réseau d’agences et d’organisations, contrôle les partis politiques et les gouvernements, la presse et l’opinion publique, les banques et la vie économique. Le gouvernement secret est censé poursuivre un plan immémorial, afin de s’assurer de la domination universelle, et il est censé être sur le point d’y parvenir ». La domination mondiale du judaïsme, c’est celle de l’Antéchrist, et elle prélude à la fin des temps.
De son côté, un jésuite, l’abbé Barruel, dans son Mémoire pour servir l’histoire du Jacobinisme, publié en 17975, développe l’idée que la Révolution Française trouve son origine dans une conspiration maçonnique (il versera lui aussi dans l’antisémitisme par la suite). C’est la revue des jésuites italiens, Civilta Cattolica, qui fait la synthèse de toutes ces obsessions en popularisant le thème du complot judéo-maçonnique.
La révolution industrielle, qui bouleverse les sociétés rurales de l’Europe au cours du XIXe siècle, donne naissance à un terreau fertile pour les représentations du Juif comme instigateur souterrain et démoniaque d’une modernité destructrice des valeurs traditionnelles. Faute de comprendre le jeu des forces nouvelles et d’accepter l’irruption de l’inconnu (de « s’étonner »), la conception monovalente du monde débouche sur une terreur obsidionale. « La théorie du complot est plus satisfaisante pour l’esprit que toute autre ; dans une vision transcendante, elle semble même inévitable comme mode de lecture des souffrances d’ici-bas »6.
À cette époque naissent d’ailleurs de nombreux écrits tendant à accréditer l’idée d’un complot juif destiné à dominer le monde après l’avoir réduit à la misère par l’usure. À l’encontre des pamphlets de Toussenel (Les Juifs rois de l’époque) et de Drumont (La France juive), ils se présentent comme des documents provenant de réunions ou de contacts entre comploteurs. Citons le Discours du Rabbin, tiré en réalité du roman d’Hermann Gœdsche, Biarritz, ou encore des textes comme la Lettre des Juifs d’Arles et la Réponse des Juifs de Constantine, toutes deux publiées en 1880 dans la Revue des Études Juives. Un autre écrit va connaître un succès plus grand encore.
À l’origine, un pamphlet dirigé contre l’empereur Napoléon III, Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, de Maurice Joly, qui paraît en 1864. Dans ce livre7, Machiavel représente le cynisme, l’exaltation de la domination sans scrupules. Un plagiat, reprenant les thèmes développés par le personnage du Florentin, paraît en 1903 dans la revue russe Znamia, proche du groupe réactionnaire et antisémite des Cents-Noirs, sous le titre « Programme Juif de conquête mondiale ». Il comporte des allusions à des événements politiques français aussi bien que russes qui permettent de le dater de 1897 ou 1898, c’est à dire en pleine affaire Dreyfus. Le texte est présenté comme le compte-rendu d’une réunion secrète des chefs du judaïsme mondial qui se serait tenue à Paris. Il avait en fait été fabriqué à l’instigation du chef du bureau parisien de la police politique russe, l’Okhrana. Mais ce n’est qu’en 1905 que commence le succès de l’ouvrage lorsque, remanié par un mystique à demi fou, Sergueï Nilus, il paraît sous le titre de Protocole des Sages de Sion8.
L’ouvrage se répandra en Europe après la Révolution de 1917 dont les Juifs sont rendus responsables par nombre de Russes blancs. Par ailleurs, les désenchantements de l’après-guerre redonnent vie au mythe du gouvernement clandestin, où le juif-capitaliste est l’alliée du juif-bolchevik : « Juifs de Finance et Juifs de Révolution ont dicté de connivence une paix juive. Les Sémites internationaux ont réglé pas mal de choses au mieux des intérêts de la famille [...] les deux internationales de l’Or et du Sang, la Finance et la Révolution, ont à leur tête une élite de Juifs, l’une et l’autre étendent leurs tentacules à travers le monde entier » écrit G. Batault, chroniqueur au Mercure de France9. Les Juifs sont bien entendu responsables de la Grande Crise : « Maîtres de la vie économique, maîtres de l’argent, maîtres du monde moderne, les Juifs nous ont menés au chaos de la crise mondiale » écrit l’essayiste catholique Léon de Poncins10.
Ces citations sont révélatrices d’une mentalité : d’une part on nie l’autonomie du monde en expliquant les grands bouleversements par une cause extérieure – c’est le processus de « démonisation » – et d’autre part, il faut qu’à l’instar du Bien, le Mal soit aussi unique. Cela nous mène tout droit aux thèses développées par Adolf Hitler, dont la paranoïa, au terme de cette analyse, semble presque banale, tant on y retrouve des thèmes – des mythèmes devrait-on dire – archi-usés : « [Le Juif] a dans la franc-maçonnerie, qui est complètement tombée entre ses mains, un excellent instrument pour mener une lutte qui lui permette de parvenir astucieusement à ses fins [...] À la franc-maçonnerie s’ajoute la presse comme seconde arme de la juiverie [...] par son intermédiaire, il prend dans ses filets toute la vie publique »11. Et enfin il y a la social-démocratie qui permet de capter le peuple et de parvenir ainsi à la domination. Alors, conclut Hitler, « le Juif démocrate et ami du peuple donne naissance au Juif sanguinaire et tyran des peuples ».
Un mythe à trois pieds
Le thème de la conspiration juive constitue ce qu’on pourrait appeler l’« idéal-type » de la théorie du complot. Dans le résumé qu’en donne Léon de Poncins, on trouve pratiquement tous les ingrédients qui composent cette théorie : « Quinze millions d’hommes, hommes intelligents, hommes tenaces, hommes passionnés, unis malgré les divergences intestines, contre le monde des non-juifs par les liens de la race, de la religion et de l’intérêt, mettent au service d’un rêve messianique le plus froid des positivismes et travaillent, consciemment ou inconsciemment, à instaurer une conception du monde antagoniste de celle qui fut pendant deux mille ans l’idéal de la civilisation occidentale ».
Le thème de la conspiration juive constitue ce qu’on pourrait appeler l’« idéal-type » de la théorie du complot. Dans le résumé qu’en donne Léon de Poncins, on trouve pratiquement tous les ingrédients qui composent cette théorie : « Quinze millions d’hommes, hommes intelligents, hommes tenaces, hommes passionnés, unis malgré les divergences intestines, contre le monde des non-juifs par les liens de la race, de la religion et de l’intérêt, mettent au service d’un rêve messianique le plus froid des positivismes et travaillent, consciemment ou inconsciemment, à instaurer une conception du monde antagoniste de celle qui fut pendant deux mille ans l’idéal de la civilisation occidentale ».
On distingue donc :
Un centre cohérent, bien désigné, poursuivant un but bien identifié et accepté de tous les « conjurés ». Cette cohésion est accentuée lorsqu’on lui donne un Maître, qui personnifie le Mal. C’est le cas lors des « révélations » de Léo Taxil qui explique, avec l’approbation du pape Léon XIII, que le diable donne ses instructions aux francs-maçons à partir de son antre secrète située sous le rocher de Gibraltar12.
On a vu Poncins tentant d’expliquer la collusion entre judéo-bolchévisme et judéo-capitalisme. On pourrait pareillement citer le cas de Brasillach lorsque, critiquant l’ouvrage de Beau de Loménie sur Les responsabilités des dynasties bourgeoises, il range dans un même camp les grandes familles juives influentes sous le Second Empire, ignorant les conflits très vifs qui opposèrent par exemple les Pereire, qui soutenaient la politique libre-échangiste de l’Empereur, aux Rothschild, alliés à la bourgeoisie protectionniste. À défaut d’un centre bien identifié, les Juifs sont censés constituer le lien entre les forces du Mal : on parlera alors de judéo-maçonnerie, de judéo-bolchévisme, etc.
La cohérence suppose en général institutionnalisation, qui se traduit par l’existence de centres de pouvoir et de coordination d’où partent les instructions secrètes : Grand-Orient, Alliance Israélite Universelle, Synarchie. Ces instructions correspondent d’ailleurs à un plan longuement mûri et qu’il s’agit dès lors de révéler : Protocole des Sages de Sion, Monita Secreta des jésuites, Pacte Synarchique, etc. Cette institutionnalisation est bien l’aboutissement de la réduction du Mal à une entité repérable, démarche qui témoigne d’une vision du monde refusant la pluralité.
Une rationalité implacable : comme l’Esprit hégélien se réalise dans l’Histoire, les forces du Mal réalisent point par point leur programme. Cette force implacable atteint une dimension quasi-inéluctable. Il est d’autant plus facile de tomber dans le déterminisme (qui n’est qu’une version pessimiste de l’idéologie du Progrès) qu’il s’agit en général d’une reconstitution a posteriori, suivant le mécanisme mono-causal du bouc-émissaire : « Elle (la franc-maçonnerie) était derrière la révolution portugaise de 1910 [...] derrière la révolution Jeune turque de 1905. Elle fut mêlée à l’attentat de Sarajevo qui déclencha la guerre mondiale [...] Le grand mouvement révolutionnaire qui balaya l’Europe centrale entre 1918 et 1919 fut dirigé principalement par des Juifs et des francs-maçons » (Léon de Poncins).
Cette Toute-Puissance, qui tient tant du Dieu-Moteur d’Aristote que de celui de la Bible, se traduit également par un réseau de ramifications omniprésent, puisque le monde d’ici-bas est celui de Satan. C’est l’image de l’araignée qui enserre le globe dans ses pattes, souvent utilisée par la propagande antisémite. On pourrait citer sur le même registre la dénonciation d’imaginaires réseaux jésuites en Angleterre lors de l’hystérie cromwellienne.
Le mystère constitue la dernière caractéristique de la conjuration maléfique, ce qui est assez logique : sinon, ce ne serait plus une conjuration. D’autant que ce sont toujours implicitement des Puissances de Ténèbres (y compris sous une forme laïcisée) qui constituent « l’invisible gouvernement derrière les gouvernements visibles ». Il faut des images suffisamment impressionnantes pour cacher le flou sur lequel reposent ces thèses, dont la crédibilité ne peut venir que d’un appel à l’irrationnel. Il faut exciter l’imagination et non donner à réfléchir : « Les voies de la révolution dont les masses humaines et les passions qui les soulèvent constituent l’instrument sont moins impénétrables sinon moins ténébreuses que celles de la Finance. Là tout est concentré dans quelques mains insaisissables, tout se trame dans le silence et dans la nuit » (G. Batault).
Et ce secret est probablement démoniaque : « S’ils ne faisaient pas autant le Mal, ils ne haïraient pas autant la lumière » déclare en 1738 la bulle In Eminenti contre la franc-maçonnerie.
Un centre cohérent, bien désigné, poursuivant un but bien identifié et accepté de tous les « conjurés ». Cette cohésion est accentuée lorsqu’on lui donne un Maître, qui personnifie le Mal. C’est le cas lors des « révélations » de Léo Taxil qui explique, avec l’approbation du pape Léon XIII, que le diable donne ses instructions aux francs-maçons à partir de son antre secrète située sous le rocher de Gibraltar12.
On a vu Poncins tentant d’expliquer la collusion entre judéo-bolchévisme et judéo-capitalisme. On pourrait pareillement citer le cas de Brasillach lorsque, critiquant l’ouvrage de Beau de Loménie sur Les responsabilités des dynasties bourgeoises, il range dans un même camp les grandes familles juives influentes sous le Second Empire, ignorant les conflits très vifs qui opposèrent par exemple les Pereire, qui soutenaient la politique libre-échangiste de l’Empereur, aux Rothschild, alliés à la bourgeoisie protectionniste. À défaut d’un centre bien identifié, les Juifs sont censés constituer le lien entre les forces du Mal : on parlera alors de judéo-maçonnerie, de judéo-bolchévisme, etc.
La cohérence suppose en général institutionnalisation, qui se traduit par l’existence de centres de pouvoir et de coordination d’où partent les instructions secrètes : Grand-Orient, Alliance Israélite Universelle, Synarchie. Ces instructions correspondent d’ailleurs à un plan longuement mûri et qu’il s’agit dès lors de révéler : Protocole des Sages de Sion, Monita Secreta des jésuites, Pacte Synarchique, etc. Cette institutionnalisation est bien l’aboutissement de la réduction du Mal à une entité repérable, démarche qui témoigne d’une vision du monde refusant la pluralité.
Une rationalité implacable : comme l’Esprit hégélien se réalise dans l’Histoire, les forces du Mal réalisent point par point leur programme. Cette force implacable atteint une dimension quasi-inéluctable. Il est d’autant plus facile de tomber dans le déterminisme (qui n’est qu’une version pessimiste de l’idéologie du Progrès) qu’il s’agit en général d’une reconstitution a posteriori, suivant le mécanisme mono-causal du bouc-émissaire : « Elle (la franc-maçonnerie) était derrière la révolution portugaise de 1910 [...] derrière la révolution Jeune turque de 1905. Elle fut mêlée à l’attentat de Sarajevo qui déclencha la guerre mondiale [...] Le grand mouvement révolutionnaire qui balaya l’Europe centrale entre 1918 et 1919 fut dirigé principalement par des Juifs et des francs-maçons » (Léon de Poncins).
Cette Toute-Puissance, qui tient tant du Dieu-Moteur d’Aristote que de celui de la Bible, se traduit également par un réseau de ramifications omniprésent, puisque le monde d’ici-bas est celui de Satan. C’est l’image de l’araignée qui enserre le globe dans ses pattes, souvent utilisée par la propagande antisémite. On pourrait citer sur le même registre la dénonciation d’imaginaires réseaux jésuites en Angleterre lors de l’hystérie cromwellienne.
Le mystère constitue la dernière caractéristique de la conjuration maléfique, ce qui est assez logique : sinon, ce ne serait plus une conjuration. D’autant que ce sont toujours implicitement des Puissances de Ténèbres (y compris sous une forme laïcisée) qui constituent « l’invisible gouvernement derrière les gouvernements visibles ». Il faut des images suffisamment impressionnantes pour cacher le flou sur lequel reposent ces thèses, dont la crédibilité ne peut venir que d’un appel à l’irrationnel. Il faut exciter l’imagination et non donner à réfléchir : « Les voies de la révolution dont les masses humaines et les passions qui les soulèvent constituent l’instrument sont moins impénétrables sinon moins ténébreuses que celles de la Finance. Là tout est concentré dans quelques mains insaisissables, tout se trame dans le silence et dans la nuit » (G. Batault).
Et ce secret est probablement démoniaque : « S’ils ne faisaient pas autant le Mal, ils ne haïraient pas autant la lumière » déclare en 1738 la bulle In Eminenti contre la franc-maçonnerie.
Un essai de généalogie
On peut dès lors se demander à quel système global une telle théorie renvoie en priorité, si elle n’est que la conséquence d’un système de pensée bien défini ou si elle est un assemblage plus diffus amalgamant autour d’un noyau central des sédiments idéologiques épars. Dans son essai intitulé La causalité diabolique13, Léon Poliakov tente une explication, appuyée sur les travaux de Piaget et de Lévy-Bruhl qui, sans être inintéressante, n’est guère convaincante ; il emprunte à Piaget le concept d’« hypertrophie égocentrique », caractéristique de l’enfant : lorsque l’enfant se blesse, il tend à attribuer à l’objet qui l’a blessé une intention mauvaise. Il en fait un individu doté d’une conscience et d’une intentionnalité, en l’occurrence mauvaise, en se projetant dans l’objet incriminé. Lévy-Bruhl, de son côté, avait tenté une distinction, aujourd’hui fort contestée, entre la mentalité primitive, pré-logique, et la mentalité logique, qui serait le propre du civilisé. Le « primitif » attribue selon lui les aléas de la vie à la volonté des esprits au lieu d’en chercher les causes. En fait, le sacré ne procède pas, comme dans les religions monothéistes, d’une coupure nette (« une radicale altérité » dirait Levinas) entre le monde des Dieux et celui des hommes. Dans les religions païennes d’Europe, les « esprits » (trolls, kobolds, nixes), y compris ceux considérés comme malfaisants, sont intégrés au monde, ils font partie de la nature14 et n’obéissent pas à une volonté unique, toute puissante, qui tirerait les ficelles dans l’ombre, comme c’est le cas dans la théorie du complot. On ne peut donc réduire le complot comme vue-du-monde à une simple vision prélogique ou infantile. Il convient d’en faire la généalogie, d’en dégager les soubassements psychologiques, sociologiques et philosophiques.
On constate d’abord qu’une idéologie de ce type relève d’une certaine forme de paranoïa. Le sociologue Peter Merkl, dans une enquête réalisée sur le groupe d’Altkämpfer du NSDAP15, a constaté que 70% des membres présentaient des syndromes paranoïdes16. La peur du complot est d’autant plus forte au sein d’un groupe qui se sent assiégé, incapable d’assumer les évolutions du réel et les vicissitudes de l’existence. D’où la tentation de se réfugier dans un arrière-monde plus satisfaisant intellectuellement. C’est une forme de complexe de persécution.
Mais le succès de théories de ce genre au sein de l’Occident chrétien et leur regain après la Révolution Française (cf. le « complot des aristocrates », obsession des conventionnels), laissent deviner, derrière leurs manifestations psychologiques, une vision du monde relativement structurée dont la théorie du complot ne serait que l’aboutissement, une sorte de vulgate.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’opposition entre les forces du Bien et celles du Mal, les forces de la Lumière et celles des Ténèbres. Léon Poliakov parle d’ailleurs d’une « causalité diabolique », Zinoviev de la « diabolectique », Norman Cohn de « démonisation ». Entre un paganisme pluriel où la lutte et le hasard sont les moteurs de l’Histoire et où l’avenir reste toujours ouvert, et un monothéisme réduisant le devenir humain à la soumission aux commandements du Dieu jaloux ou au pacte avec Satan, l’on devine où se trouve le terrain le plus fertile à cette vision policière. Pour rétablir l’ordre voulu par Dieu et menacé par les forces du Mal dotées d’une toute-puissance démoniaque, il importe de retrouver une « causalité bénéfique ». On évolue dans un univers où se combattent des arrière-mondes, où le tragique et le génie créateur de l’homme n’ont pas leur place.
Cette vision déterministe trouve son complément dans le rationalisme historique. Déjà, Aristote parlait d’un moteur premier, mouvant les causes secondes, qui fera les beaux jours de la scolastique médiévale. À son tour, Hobbes essayera de penser le politique more geometrico. Son Traité sur les Principes Premiers (Short Tract on First Principles), qui exprime une conception strictement mécanique d’un univers réduit à un enchaînement rigoureux de causalités, prélude au Léviathan, qui jette les fondements de l’État Total, destiné à annihiler toute forme d’aléa, aléa représenté par le libre jeu de la société civile. Il y a bien une logique qui va du refus de l’aléa et du tragique au totalitarisme.
Cette prétention à enfermer l’Histoire dans la Raison, débouche au XVIIIe siècle sur ce que Talmont appellera la « démocratie totalitaire », dont les Conventionnels de 1793-1794 fournissent le modèle. « La Révolution inaugure un monde où tout changement social est imputable à des forces connues, répertoriées, vivantes », note François Furet17. De son côté, Tocqueville a su montrer que la logique démocratique obéit à un double mouvement de décomposition et de recomposition d’un corps social. Si l’on privilégie ce dernier moment, on aboutit à une conception élitaire de la démocratie, telle qu’elle s’exprime chez Pareto, Michels ou Sartori. La démarche inverse, comme chez Rousseau, se traduit par une exigence égalitaire et une volonté de transparence du corps social. La « démocratie jacobine » repose sur le fantasme d’une société homogène, transparente, où toute différence est suspecte. L’existence ou le surgissement d’un quelconque sous-groupe distinct du Tout entraîne le soupçon de vouloir confisquer à son profit les attributs du Tout. C’est, dit Furet, « un système de croyances [...] selon lequel le “peuple”, pour instaurer la liberté et l’égalité [...] doit briser la résistance de ses ennemis ». C’est ce qui explique le développement de la notion de complot sous la Convention et de « sabotage » en Union Soviétique.
On peut dès lors se demander à quel système global une telle théorie renvoie en priorité, si elle n’est que la conséquence d’un système de pensée bien défini ou si elle est un assemblage plus diffus amalgamant autour d’un noyau central des sédiments idéologiques épars. Dans son essai intitulé La causalité diabolique13, Léon Poliakov tente une explication, appuyée sur les travaux de Piaget et de Lévy-Bruhl qui, sans être inintéressante, n’est guère convaincante ; il emprunte à Piaget le concept d’« hypertrophie égocentrique », caractéristique de l’enfant : lorsque l’enfant se blesse, il tend à attribuer à l’objet qui l’a blessé une intention mauvaise. Il en fait un individu doté d’une conscience et d’une intentionnalité, en l’occurrence mauvaise, en se projetant dans l’objet incriminé. Lévy-Bruhl, de son côté, avait tenté une distinction, aujourd’hui fort contestée, entre la mentalité primitive, pré-logique, et la mentalité logique, qui serait le propre du civilisé. Le « primitif » attribue selon lui les aléas de la vie à la volonté des esprits au lieu d’en chercher les causes. En fait, le sacré ne procède pas, comme dans les religions monothéistes, d’une coupure nette (« une radicale altérité » dirait Levinas) entre le monde des Dieux et celui des hommes. Dans les religions païennes d’Europe, les « esprits » (trolls, kobolds, nixes), y compris ceux considérés comme malfaisants, sont intégrés au monde, ils font partie de la nature14 et n’obéissent pas à une volonté unique, toute puissante, qui tirerait les ficelles dans l’ombre, comme c’est le cas dans la théorie du complot. On ne peut donc réduire le complot comme vue-du-monde à une simple vision prélogique ou infantile. Il convient d’en faire la généalogie, d’en dégager les soubassements psychologiques, sociologiques et philosophiques.
On constate d’abord qu’une idéologie de ce type relève d’une certaine forme de paranoïa. Le sociologue Peter Merkl, dans une enquête réalisée sur le groupe d’Altkämpfer du NSDAP15, a constaté que 70% des membres présentaient des syndromes paranoïdes16. La peur du complot est d’autant plus forte au sein d’un groupe qui se sent assiégé, incapable d’assumer les évolutions du réel et les vicissitudes de l’existence. D’où la tentation de se réfugier dans un arrière-monde plus satisfaisant intellectuellement. C’est une forme de complexe de persécution.
Mais le succès de théories de ce genre au sein de l’Occident chrétien et leur regain après la Révolution Française (cf. le « complot des aristocrates », obsession des conventionnels), laissent deviner, derrière leurs manifestations psychologiques, une vision du monde relativement structurée dont la théorie du complot ne serait que l’aboutissement, une sorte de vulgate.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’opposition entre les forces du Bien et celles du Mal, les forces de la Lumière et celles des Ténèbres. Léon Poliakov parle d’ailleurs d’une « causalité diabolique », Zinoviev de la « diabolectique », Norman Cohn de « démonisation ». Entre un paganisme pluriel où la lutte et le hasard sont les moteurs de l’Histoire et où l’avenir reste toujours ouvert, et un monothéisme réduisant le devenir humain à la soumission aux commandements du Dieu jaloux ou au pacte avec Satan, l’on devine où se trouve le terrain le plus fertile à cette vision policière. Pour rétablir l’ordre voulu par Dieu et menacé par les forces du Mal dotées d’une toute-puissance démoniaque, il importe de retrouver une « causalité bénéfique ». On évolue dans un univers où se combattent des arrière-mondes, où le tragique et le génie créateur de l’homme n’ont pas leur place.
Cette vision déterministe trouve son complément dans le rationalisme historique. Déjà, Aristote parlait d’un moteur premier, mouvant les causes secondes, qui fera les beaux jours de la scolastique médiévale. À son tour, Hobbes essayera de penser le politique more geometrico. Son Traité sur les Principes Premiers (Short Tract on First Principles), qui exprime une conception strictement mécanique d’un univers réduit à un enchaînement rigoureux de causalités, prélude au Léviathan, qui jette les fondements de l’État Total, destiné à annihiler toute forme d’aléa, aléa représenté par le libre jeu de la société civile. Il y a bien une logique qui va du refus de l’aléa et du tragique au totalitarisme.
Cette prétention à enfermer l’Histoire dans la Raison, débouche au XVIIIe siècle sur ce que Talmont appellera la « démocratie totalitaire », dont les Conventionnels de 1793-1794 fournissent le modèle. « La Révolution inaugure un monde où tout changement social est imputable à des forces connues, répertoriées, vivantes », note François Furet17. De son côté, Tocqueville a su montrer que la logique démocratique obéit à un double mouvement de décomposition et de recomposition d’un corps social. Si l’on privilégie ce dernier moment, on aboutit à une conception élitaire de la démocratie, telle qu’elle s’exprime chez Pareto, Michels ou Sartori. La démarche inverse, comme chez Rousseau, se traduit par une exigence égalitaire et une volonté de transparence du corps social. La « démocratie jacobine » repose sur le fantasme d’une société homogène, transparente, où toute différence est suspecte. L’existence ou le surgissement d’un quelconque sous-groupe distinct du Tout entraîne le soupçon de vouloir confisquer à son profit les attributs du Tout. C’est, dit Furet, « un système de croyances [...] selon lequel le “peuple”, pour instaurer la liberté et l’égalité [...] doit briser la résistance de ses ennemis ». C’est ce qui explique le développement de la notion de complot sous la Convention et de « sabotage » en Union Soviétique.
La vie n’est pas un complot, mais un combat
L’idéologie du complot, c’est l’opium des vaincus. Les vaincus de l’Histoire expliquent pourquoi ils ont perdu, comment l’« Ordre Naturel » a été remplacé par la domination du Mal. C’est une idéologie du ressentiment. C’est aussi ce par quoi les perdants compensent leur amertume : ils sont malgré tout des « initiés » ; ils savent, eux. La formation d’une contre-conspiration d’initiés les valorise. Valorisation illusoire, qui ne change rien à la situation, mais qui leur met du baume au cœur. Que les nostalgiques du stalinisme dénoncent les complots de la Nouvelle Droite, cela ne rétablira pas le Mur de Berlin ni n’effacera les catastrophes et les massacres engendrés par le « socialisme réel ».
L’idéologie du complot, c’est le refus du tragique, le rêve d’un monde définitivement pacifié, d’une « solution finale » au problème de l’Histoire. À la figure transcendante du Mal, essence intemporelle dont les maçons, les juifs et les sorciers ne sont que les visages contingents, doit s’opposer celle tout aussi transcendante du Bien. Le Bien, ce sera le retour à l’Ordre, la Morale, l’Égalité. Cette eschatologie qui ne dit pas non nom doit s’imposer (pas question de libre choix), sans être trop regardante sur les moyens, qu’il s’agisse des bûchers ou des camps de concentration. Le Mal agit dans l’ombre, de manière déloyale ; le Bien a donc tous les droits : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». On ne combat pas l’ennemi, on l’extermine. Si tout conflit est moral, alors il faut terrasser définitivement les suppôts de Satan, ceux qui s’opposent au déploiement de l’ordre naturel comme fin de l’Histoire et triomphe du Bien. Le Mal doit être éliminé pour faire place au Bien (le Reich de Mille Ans, la société communiste, le Nouvel Ordre Mondial). Il ne s’agit rien de moins que de légitimer un « contre-complot » autoritaire.
L’idéologie du complot repose en Occident sur une vision du monde bien précise, celle véhiculée par un christianisme oublieux de son héritage européen, païen et plurivocal, et fasciné par la tentation d’une transcendance absolue, incarnée par un dieu unique, tout-puissant et hors du monde. Dans cette vision, comme dans la caverne de Platon, le monde n’a pas de consistance. Il n’est que le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal. Dès lors, il ne s’agit pas de s’ouvrir au monde, de le comprendre. Il faut au contraire en déceler le sens caché, qui est donné a priori. On ne cherche jamais ce que l’on sait déjà. Il faut trouver les traces, les indices du complot. Il s’agit bien d’une vision à la fois policière et morale du monde, où la pensée est bel et bien abolie, où les coupables sont désignés par avance. Il n’y a plus qu’à les démasquer. Derrière le monde, il faut dénicher l’arrière-monde, où se tient la vérité. La vie n’est plus une quête, une écoute, un étonnement. L’oubli de l’Être laisse la place aux hallucinés des arrière-mondes. L’idéologie du complot, c’est le degré zéro de l’intelligence.
À cette tentation de l’Absolu Moral, à cette paranoïa toujours à la recherche des traces de soufre laissées par la présence du Mal, à ce refus de comprendre, il faut opposer un retour au Tragique. Le Tragique, c’est l’approbation du monde, c’est l’idée que la vie est un combat, qu’à la nuit succède l’Aurore, que l’Histoire n’a pas de fin. Il n’y a pas de Main Cachée, ni de chef d’orchestre clandestin. Il y a des volontés qui s’unissent ou qui s’opposent. Il y a la vie. « L’avenir, dit un des personnages de Montherlant18, est dans les volontés, non dans les prophéties ». Il en sera toujours ainsi.
L’idéologie du complot, c’est l’opium des vaincus. Les vaincus de l’Histoire expliquent pourquoi ils ont perdu, comment l’« Ordre Naturel » a été remplacé par la domination du Mal. C’est une idéologie du ressentiment. C’est aussi ce par quoi les perdants compensent leur amertume : ils sont malgré tout des « initiés » ; ils savent, eux. La formation d’une contre-conspiration d’initiés les valorise. Valorisation illusoire, qui ne change rien à la situation, mais qui leur met du baume au cœur. Que les nostalgiques du stalinisme dénoncent les complots de la Nouvelle Droite, cela ne rétablira pas le Mur de Berlin ni n’effacera les catastrophes et les massacres engendrés par le « socialisme réel ».
L’idéologie du complot, c’est le refus du tragique, le rêve d’un monde définitivement pacifié, d’une « solution finale » au problème de l’Histoire. À la figure transcendante du Mal, essence intemporelle dont les maçons, les juifs et les sorciers ne sont que les visages contingents, doit s’opposer celle tout aussi transcendante du Bien. Le Bien, ce sera le retour à l’Ordre, la Morale, l’Égalité. Cette eschatologie qui ne dit pas non nom doit s’imposer (pas question de libre choix), sans être trop regardante sur les moyens, qu’il s’agisse des bûchers ou des camps de concentration. Le Mal agit dans l’ombre, de manière déloyale ; le Bien a donc tous les droits : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté ». On ne combat pas l’ennemi, on l’extermine. Si tout conflit est moral, alors il faut terrasser définitivement les suppôts de Satan, ceux qui s’opposent au déploiement de l’ordre naturel comme fin de l’Histoire et triomphe du Bien. Le Mal doit être éliminé pour faire place au Bien (le Reich de Mille Ans, la société communiste, le Nouvel Ordre Mondial). Il ne s’agit rien de moins que de légitimer un « contre-complot » autoritaire.
L’idéologie du complot repose en Occident sur une vision du monde bien précise, celle véhiculée par un christianisme oublieux de son héritage européen, païen et plurivocal, et fasciné par la tentation d’une transcendance absolue, incarnée par un dieu unique, tout-puissant et hors du monde. Dans cette vision, comme dans la caverne de Platon, le monde n’a pas de consistance. Il n’est que le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal. Dès lors, il ne s’agit pas de s’ouvrir au monde, de le comprendre. Il faut au contraire en déceler le sens caché, qui est donné a priori. On ne cherche jamais ce que l’on sait déjà. Il faut trouver les traces, les indices du complot. Il s’agit bien d’une vision à la fois policière et morale du monde, où la pensée est bel et bien abolie, où les coupables sont désignés par avance. Il n’y a plus qu’à les démasquer. Derrière le monde, il faut dénicher l’arrière-monde, où se tient la vérité. La vie n’est plus une quête, une écoute, un étonnement. L’oubli de l’Être laisse la place aux hallucinés des arrière-mondes. L’idéologie du complot, c’est le degré zéro de l’intelligence.
À cette tentation de l’Absolu Moral, à cette paranoïa toujours à la recherche des traces de soufre laissées par la présence du Mal, à ce refus de comprendre, il faut opposer un retour au Tragique. Le Tragique, c’est l’approbation du monde, c’est l’idée que la vie est un combat, qu’à la nuit succède l’Aurore, que l’Histoire n’a pas de fin. Il n’y a pas de Main Cachée, ni de chef d’orchestre clandestin. Il y a des volontés qui s’unissent ou qui s’opposent. Il y a la vie. « L’avenir, dit un des personnages de Montherlant18, est dans les volontés, non dans les prophéties ». Il en sera toujours ainsi.
Un monde sans complot ?
On a vu que c’est précisément du fantasme d’une société égalitaire et transparente que s’est nourrie à l’époque moderne la théorie du complot. Dès lors se pose la question : l’aspiration, dans les sociétés contemporaines, à une transparence des relations sociales et à l’égalité politique rendrait-elle impossible l’existence de ce type d’organisation occulte ou conspirative ? Pour répondre à cette question, il convient d’abandonner la démarche qui, de Rousseau à Habermas, occulte la question essentielle, à savoir celle du pouvoir.
Dans une société très hiérarchisée, le pouvoir est bien identifié. Dans une société plus complexe, plus anomique, le pouvoir se donne moins à voir ; sa nature plus informelle le rend moins perceptible. Ses sources peuvent être multiples et passent en grand partie par des réseaux qui s’entrecroisent et jettent ainsi un voile d’opacité qui s’oppose à la lisibilité immédiate des relations sociales.
Certains réseaux peuvent être très anodins. L’adhésion au Rotary Club permettra au notable de Romorantin ou de Perpignan d’obtenir pour son fils un emploi à la Chambre de Commerce locale ; il serait pourtant abusif de considérer cette association comme une vaste conspiration aspirant à la domination mondiale. La démultiplication des instances de pouvoir favorise l’émergence de groupes d’intérêts ou de pression qui peuvent s’avérer extrêmement efficaces. Aux États-Unis, le poids des « lobbies » et des caucuses au service d’intérêts particuliers constitue une sérieuse remise en cause de la souveraineté du peuple affirmée dans la Constitution. Mais plus on est loin de ces réseaux, plus grande est la tentation de les imaginer comme un tout cohérent, mystérieux et doté d’une force irrésistible. Le problème devient plus aigu encore lorsqu’il ne s’agit plus de faire valoir des intérêts catégoriels, mais de faire main-basse sur le politique. Par son influence sur une grande partie de la classe politique française pendant plus d’un siècle, le Grand-Orient, principale obédience maçonnique française, a fait couler beaucoup d’encre, en particulier dans les milieux catholiques (cf. la fameuse « affaire des fiches »). Plus encore que par sa dimension fermée (le secret des loges), cette société de pensée a dû son influence à sa proximité avec le Parti Radical, partenaire obligé de presque toute configuration ministérielle durant cette période, mais aussi au fait qu’elle personnifiait les aspirations idéologiques d’une petite bourgeoisie que Gustave Flaubert a raillé sous les traits de Monsieur Homais.
Créée à l’initiative de John Rockfeller, ancien président de la Chase Manhattan, la Commission Trilatérale connut son heure de gloire dans les années 70, surtout après que deux de ses membres, l’américain Jimmy Carter et le français Raymond Barre, fussent propulsés sur le devant de la scène politique, qu’ils quittèrent d’ailleurs quelques années après à la suite de revers électoraux retentissants. Rassemblant hommes politiques et dirigeants des grandes firmes américains, européens et asiatiques, la Trilatérale fit couler beaucoup d’encre chez ses adversaires, qu’il s’agisse de la droite radicale ou de la gauche marxiste. Prônant un saint-simonisme new-look (la fin du politique, l’avènement des gestionnaires), la Trilatérale n’est pas une officine clandestine dont les membres se réunissent dans les caves. La plupart de ses rapports font l’objet de publications officielles. Il est néanmoins vrai que le plus controversé d’entre eux, prudemment intitulé Crisis of Democracy19, contenait des thèses reflétant l’aversion de cette bourgeoisie qui se veut transnationale pour la souveraineté des peuples et donc pour la démocratie. Mais dénoncer les thèses mondialistes20 et leur penchant pour un libéralisme à la Pinochet est une chose, fantasmer sur l’existence d’un gouvernement mondial secret, nouveau pacte synarchique aux ordres du Big Business en est une autre. Pourtant, le démantèlement récent par la justice italienne de la loge P2 et de l’organisation de tête de la mafia (la fameuse « coupole ») a permis de démontrer que la déliquescence des structures politiques peut permettre à des organisations de type conspiratif, fondées sur la manipulation et le secret, de prendre une ampleur considérable, de noyauter massivement et durablement les institutions d’un pays et de lui imposer ses volontés. Il n’est pas exagéré dans ce cas de parler de complot. À l’inverse, le succès – au moins apparent – de l’opération mani pulite (« mains propres ») tendrait à prouver que cette hégémonie peut être combattue victorieusement.
On a vu que c’est précisément du fantasme d’une société égalitaire et transparente que s’est nourrie à l’époque moderne la théorie du complot. Dès lors se pose la question : l’aspiration, dans les sociétés contemporaines, à une transparence des relations sociales et à l’égalité politique rendrait-elle impossible l’existence de ce type d’organisation occulte ou conspirative ? Pour répondre à cette question, il convient d’abandonner la démarche qui, de Rousseau à Habermas, occulte la question essentielle, à savoir celle du pouvoir.
Dans une société très hiérarchisée, le pouvoir est bien identifié. Dans une société plus complexe, plus anomique, le pouvoir se donne moins à voir ; sa nature plus informelle le rend moins perceptible. Ses sources peuvent être multiples et passent en grand partie par des réseaux qui s’entrecroisent et jettent ainsi un voile d’opacité qui s’oppose à la lisibilité immédiate des relations sociales.
Certains réseaux peuvent être très anodins. L’adhésion au Rotary Club permettra au notable de Romorantin ou de Perpignan d’obtenir pour son fils un emploi à la Chambre de Commerce locale ; il serait pourtant abusif de considérer cette association comme une vaste conspiration aspirant à la domination mondiale. La démultiplication des instances de pouvoir favorise l’émergence de groupes d’intérêts ou de pression qui peuvent s’avérer extrêmement efficaces. Aux États-Unis, le poids des « lobbies » et des caucuses au service d’intérêts particuliers constitue une sérieuse remise en cause de la souveraineté du peuple affirmée dans la Constitution. Mais plus on est loin de ces réseaux, plus grande est la tentation de les imaginer comme un tout cohérent, mystérieux et doté d’une force irrésistible. Le problème devient plus aigu encore lorsqu’il ne s’agit plus de faire valoir des intérêts catégoriels, mais de faire main-basse sur le politique. Par son influence sur une grande partie de la classe politique française pendant plus d’un siècle, le Grand-Orient, principale obédience maçonnique française, a fait couler beaucoup d’encre, en particulier dans les milieux catholiques (cf. la fameuse « affaire des fiches »). Plus encore que par sa dimension fermée (le secret des loges), cette société de pensée a dû son influence à sa proximité avec le Parti Radical, partenaire obligé de presque toute configuration ministérielle durant cette période, mais aussi au fait qu’elle personnifiait les aspirations idéologiques d’une petite bourgeoisie que Gustave Flaubert a raillé sous les traits de Monsieur Homais.
Créée à l’initiative de John Rockfeller, ancien président de la Chase Manhattan, la Commission Trilatérale connut son heure de gloire dans les années 70, surtout après que deux de ses membres, l’américain Jimmy Carter et le français Raymond Barre, fussent propulsés sur le devant de la scène politique, qu’ils quittèrent d’ailleurs quelques années après à la suite de revers électoraux retentissants. Rassemblant hommes politiques et dirigeants des grandes firmes américains, européens et asiatiques, la Trilatérale fit couler beaucoup d’encre chez ses adversaires, qu’il s’agisse de la droite radicale ou de la gauche marxiste. Prônant un saint-simonisme new-look (la fin du politique, l’avènement des gestionnaires), la Trilatérale n’est pas une officine clandestine dont les membres se réunissent dans les caves. La plupart de ses rapports font l’objet de publications officielles. Il est néanmoins vrai que le plus controversé d’entre eux, prudemment intitulé Crisis of Democracy19, contenait des thèses reflétant l’aversion de cette bourgeoisie qui se veut transnationale pour la souveraineté des peuples et donc pour la démocratie. Mais dénoncer les thèses mondialistes20 et leur penchant pour un libéralisme à la Pinochet est une chose, fantasmer sur l’existence d’un gouvernement mondial secret, nouveau pacte synarchique aux ordres du Big Business en est une autre. Pourtant, le démantèlement récent par la justice italienne de la loge P2 et de l’organisation de tête de la mafia (la fameuse « coupole ») a permis de démontrer que la déliquescence des structures politiques peut permettre à des organisations de type conspiratif, fondées sur la manipulation et le secret, de prendre une ampleur considérable, de noyauter massivement et durablement les institutions d’un pays et de lui imposer ses volontés. Il n’est pas exagéré dans ce cas de parler de complot. À l’inverse, le succès – au moins apparent – de l’opération mani pulite (« mains propres ») tendrait à prouver que cette hégémonie peut être combattue victorieusement.
Un vestige du passé ?
Si l’on fait exception des fantasmes auxquels donnèrent lieu il y a quelques années les réunions de la Commission Trilatérale ou du Groupe de Bilderberg21, ou de la résurgence du « conspirationnisme judéo-maçonnique » à propos de la loge Bnaï-Brith, le discours complotiste semble, à première vue, en nette régression.
À cela, on peut avancer deux causes :
Le mouvement de sécularisation de la pensée a touché très fortement le christianisme (et en particulier le catholicisme) qui avait, on l’a vu, constitué le socle principal de cette vision du monde. Régression quantitative d’abord : les valeurs chrétiennes ne sont plus aussi « hégémoniques » (au sens gramscien) qu’elles ont pu l’être dans le passé sur les sociétés européennes. Évolution qualitative également, dans la foulée du concile Vatican II (1959-1962) qui tend à relativiser la dichotomie Bien-Mal et à revaloriser la vie terrestre. Les groupes dits « intégristes »22, héritiers de Pie X et du Syllabus, tels que la Fraternité Pie X (dont nombre d’adeptes se sont ralliés à l’église officielle après le décès de son fondateur Marcel Lefebvre) en Europe, ou le mouvement Tradition-Famille-Propriété (qui subit la concurrence de Causa, émanation de la secte Moon) en Amérique Latine, sont en régression. Il n’est pas certain en revanche qu’il en soit de même aux États-Unis, où l’imprégnation des esprits par la mentalité biblique est encore – et souvent sous des aspects aberrants – très vivace. Au pays des sorcières de Salem et du sénateur McCarthy, le désir de normalisation, exacerbé par le caractère de plus en plus hétérogène de la société, constitue toujours un terrain fertile pour les discours de type conspirationniste. On estime que les sectes satanistes, rendues célèbres par l’affaire Charles Manson23, compteraient environ deux millions d’adeptes, soit environ 1% de la population du pays. Diverses sectes contribuent à la production d’une abondante littérature complotiste, dénonçant bien souvent une secte rivale24. Depuis Docteur Folamour, où Stanley Kubrick met en scène un colonel fou obsédé par un complot communiste visant à empoisonner les réseaux d’eau potable de New York, jusqu’à Coup Double, où Arnold Schwarzenegger incarne un policier soviétique qui, allié à un collègue américain, s’attaque à une conspiration visant à saboter la Détente, le thème du complot est très présent dans le cinéma américain. Plus récemment, une abondante littérature anti-japonaise25 utilise également la thématique du complot. L’ouvrage du colonel Ardant, Le Péril Jaune, paru au début du siècle en France, deviendra-t-il un best seller aux États-Unis ? Un groupuscule dissident du Parti Démocrate, fondé par un certain Lyndon La Rouche diffuse en Europe, sous le nom fallacieux de « Parti Ouvrier Européen », une littérature fortement marquée par la thématique complotiste. Son journal, Nouvelle Solidarité, démontre notamment comment les services secrets britanniques et les écologistes, manipulés dans l’ombre par les jésuites, utilisent le FMI pour imposer un nouveau type de fascisme.
L’autre facteur explicatif serait une déliquescence du rationalisme classique fonctionnant suivant un enchaînement strict de causalités, au profit d’une vision plus systémique : la société est perçue comme un ensemble de relations complexes et d’interactions où le chef d’orchestre clandestin et tout puissant n’a plus sa place. Cette tendance, amorcée dans les années 50 par la sociologie fonctionnaliste américaine (T. Parsons) s’est vue renforcée récemment par la pensée « post-moderne », incarnée par des auteurs tels que Jean-François Lyotard ou Giovanni Vatimo. Paradoxalement, cette perception que « le monde est compliqué », amplifiée par la surabondance d’informations dont il est difficile de faire la synthèse, peut être l’occasion d’une réapparition, sous des formes renouvelées, de discours faisant appel à une version laïcisée de la « causalité diabolique ».
Si la théorie du complot a pu dans le passé être considérée, non sans raison, comme une « forme droitière de la paranoïa »26, elle n’a jamais été, tant s’en faut, l’apanage de la droite chrétienne. À la France Juive de Drumont répond Les Juifs, rois de l’époque, du socialiste Toussenel. La Russie soviétique fera également un usage immodéré de la théorie du complot pour justifier les vagues d’épurations successives décidées par Staline : au « complot des ingénieurs » succèderont ceux des droitiers-boukharinistes, des zinovievistes, des militaires, etc. Le thème du complot juif connaîtra un vif regain à l’occasion de l’affaire Slansky ou du « complot des blouses blanches » en 1952. Quelques années plus tard, la Chine maoïste fonctionnera de la même manière. Il faut néanmoins noter que l’optimisme révolutionnaire (ou, pour les plus modérés, la volonté de « changer la vie ») de la gauche européenne, s’appuie sur une culture politique qui se veut analytique et agonale, peu compatible avec la théorie du complot. Mais la chute du communisme en Europe de l’Est et les désillusions consécutives à l’enlisement gestionnaire de la gauche française (où à l’enlisement mafieux de la gauche italienne) laissent un grand vide. L’énergie déployée jusque là dans la lutte des classes va s’investir dans la course à la réussite individuelle ou l’engagement humanitaire. Parallèlement va (res)surgir avec une force renouvelée le mythe de la conspiration fasciste.
L’antifascisme a longtemps été un thème porteur – et rassembleur – à gauche. En 1934, il permet aux partis communistes européens de se réconcilier avec une social-démocratie jusque là qualifiée de « sociale-fasciste ». Le fascisme français, ce sera pour le Front Populaire les anciens combattants regroupés autour du colonel de la Roque (que la presse collaborationniste appellera quelques années plus tard « Casimir l’enjuivé » et qui mourra en déportation). Pendant les 25 années qui suivirent la fin de la seconde Guerre Mondiale, la gauche (qui se retrouve pour dénoncer le « danger fasciste » incarné par de Gaulle en 1958) est relativement divisée, jusqu’à la signature du Programme Commun en 1972. À l’exception des militants anti-nucléaires qui dénoncent la montée de l’« électro-fascisme », la bête immonde semble définitivement enterrée. Quand Jean Ferrat chante « Ne me dites pas qu’en France nous sommes à l’abri / Des Pinochet en puissance qui travaillent aussi du képi », c’est surtout pour mettre un peu de piquant dans les merguez de la fête de l’Huma. On pense surtout à préparer les lendemains qui chantent. Mais deux ans après l’élection de F. Mitterrand, c’est la douche froide. Entre la défense des grands équilibres à la Bérégovoy, le culte du fric à la Tapie et le moralisme à la Kouchner, les « barbus » se sentent orphelins. Dans le même temps, les revendications identitaires, occultées par des années d’hégémonie marxiste ou progressiste, refont surface tant en Europe que dans le Tiers-Monde. Comme jadis les émigrés de Coblence, les militants déboussolés retrouvent chez les successeurs de l’abbé Barruel des raisons de se battre. Mais cette fois-ci le combat est défensif. Le ventre fécond a donné naissance quasi simultanément à Le Pen, Saddam Hussein et Milosevic. La France ne demanderait qu’à devenir un vaste melting pot, les ex-Yougoslaves ne demandent qu’à s’embrasser et les Arabes se soumettraient volontiers au Nouvel Ordre Mondial si à chaque fois des diablotins nationalistes n’agissaient dans l’ombre pour faire obstacle à l’Ordre Naturel. Peu importe que Le Pen ne soit que modérément arabophile, que les islamistes soutiennent les musulmans bosniaques ou que des nationalistes français ou allemands se battent contre les Serbes sous l’uniforme croate, les « vigilants » vont s’acharner à démontrer la cohérence du Mal, comme hier Léon de Poncins décrivait l’alliance du juif-bolchevik et du juif-capitaliste. Si Drumont tentait de démasquer le « Juif vague », ses successeurs s’inquiètent de la « banalisation du fascisme », qu’il s’agit de traquer partout27.
Le complot des « rouges-bruns », c’est à dire l’alliance d’une extrême-gauche néo-stalinienne et une extrême-droite fascisante, fit au cours de l’été 1993 la une de certains journaux de gauche français (Le Monde et Le Canard Enchaîné en particulier). Une analyse de ces textes fait ressortir une étrange ressemblance avec ceux de Poncins. On y retrouve la même dialectique acrobatique visant à unifier en un tout cohérent (toujours la cohérence du Mal) des idéologies opposées, mais qui se réconcilient soudain pour mener à bien leurs noirs desseins. Les arguments qui justifiaient le rapprochement des juifs capitalistes et des juifs bolcheviks au sein d’une même conspiration, sont réutilisés presque à l’identique pour « expliquer » le rapprochement de fantomatiques staliniens et fascistes, surgis mystérieusement des décombres de l’Histoire ; là encore, la thématique complotiste sert à justifier l’injustifiable, qualifié cette fois-ci de « vigilance ». Au printemps 1994, un universitaire allemand sera violemment attaqué et roué de coups sur le campus de l’université de Nanterre. Le groupuscule responsable de cette agression tentera de se justifier en affirmant détenir un « dossier » sur la victime. Mais, contrairement à son prédécesseur, ce « protocole » ne sera pas dévoilé.
On retrouve bien, sous des formes renouvelées, des structures mentales caractéristiques de la paranoïa complotiste, et en premier lieu le refus de comprendre le monde dans lequel on vit.
Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bêtise immonde.
Si l’on fait exception des fantasmes auxquels donnèrent lieu il y a quelques années les réunions de la Commission Trilatérale ou du Groupe de Bilderberg21, ou de la résurgence du « conspirationnisme judéo-maçonnique » à propos de la loge Bnaï-Brith, le discours complotiste semble, à première vue, en nette régression.
À cela, on peut avancer deux causes :
Le mouvement de sécularisation de la pensée a touché très fortement le christianisme (et en particulier le catholicisme) qui avait, on l’a vu, constitué le socle principal de cette vision du monde. Régression quantitative d’abord : les valeurs chrétiennes ne sont plus aussi « hégémoniques » (au sens gramscien) qu’elles ont pu l’être dans le passé sur les sociétés européennes. Évolution qualitative également, dans la foulée du concile Vatican II (1959-1962) qui tend à relativiser la dichotomie Bien-Mal et à revaloriser la vie terrestre. Les groupes dits « intégristes »22, héritiers de Pie X et du Syllabus, tels que la Fraternité Pie X (dont nombre d’adeptes se sont ralliés à l’église officielle après le décès de son fondateur Marcel Lefebvre) en Europe, ou le mouvement Tradition-Famille-Propriété (qui subit la concurrence de Causa, émanation de la secte Moon) en Amérique Latine, sont en régression. Il n’est pas certain en revanche qu’il en soit de même aux États-Unis, où l’imprégnation des esprits par la mentalité biblique est encore – et souvent sous des aspects aberrants – très vivace. Au pays des sorcières de Salem et du sénateur McCarthy, le désir de normalisation, exacerbé par le caractère de plus en plus hétérogène de la société, constitue toujours un terrain fertile pour les discours de type conspirationniste. On estime que les sectes satanistes, rendues célèbres par l’affaire Charles Manson23, compteraient environ deux millions d’adeptes, soit environ 1% de la population du pays. Diverses sectes contribuent à la production d’une abondante littérature complotiste, dénonçant bien souvent une secte rivale24. Depuis Docteur Folamour, où Stanley Kubrick met en scène un colonel fou obsédé par un complot communiste visant à empoisonner les réseaux d’eau potable de New York, jusqu’à Coup Double, où Arnold Schwarzenegger incarne un policier soviétique qui, allié à un collègue américain, s’attaque à une conspiration visant à saboter la Détente, le thème du complot est très présent dans le cinéma américain. Plus récemment, une abondante littérature anti-japonaise25 utilise également la thématique du complot. L’ouvrage du colonel Ardant, Le Péril Jaune, paru au début du siècle en France, deviendra-t-il un best seller aux États-Unis ? Un groupuscule dissident du Parti Démocrate, fondé par un certain Lyndon La Rouche diffuse en Europe, sous le nom fallacieux de « Parti Ouvrier Européen », une littérature fortement marquée par la thématique complotiste. Son journal, Nouvelle Solidarité, démontre notamment comment les services secrets britanniques et les écologistes, manipulés dans l’ombre par les jésuites, utilisent le FMI pour imposer un nouveau type de fascisme.
L’autre facteur explicatif serait une déliquescence du rationalisme classique fonctionnant suivant un enchaînement strict de causalités, au profit d’une vision plus systémique : la société est perçue comme un ensemble de relations complexes et d’interactions où le chef d’orchestre clandestin et tout puissant n’a plus sa place. Cette tendance, amorcée dans les années 50 par la sociologie fonctionnaliste américaine (T. Parsons) s’est vue renforcée récemment par la pensée « post-moderne », incarnée par des auteurs tels que Jean-François Lyotard ou Giovanni Vatimo. Paradoxalement, cette perception que « le monde est compliqué », amplifiée par la surabondance d’informations dont il est difficile de faire la synthèse, peut être l’occasion d’une réapparition, sous des formes renouvelées, de discours faisant appel à une version laïcisée de la « causalité diabolique ».
Si la théorie du complot a pu dans le passé être considérée, non sans raison, comme une « forme droitière de la paranoïa »26, elle n’a jamais été, tant s’en faut, l’apanage de la droite chrétienne. À la France Juive de Drumont répond Les Juifs, rois de l’époque, du socialiste Toussenel. La Russie soviétique fera également un usage immodéré de la théorie du complot pour justifier les vagues d’épurations successives décidées par Staline : au « complot des ingénieurs » succèderont ceux des droitiers-boukharinistes, des zinovievistes, des militaires, etc. Le thème du complot juif connaîtra un vif regain à l’occasion de l’affaire Slansky ou du « complot des blouses blanches » en 1952. Quelques années plus tard, la Chine maoïste fonctionnera de la même manière. Il faut néanmoins noter que l’optimisme révolutionnaire (ou, pour les plus modérés, la volonté de « changer la vie ») de la gauche européenne, s’appuie sur une culture politique qui se veut analytique et agonale, peu compatible avec la théorie du complot. Mais la chute du communisme en Europe de l’Est et les désillusions consécutives à l’enlisement gestionnaire de la gauche française (où à l’enlisement mafieux de la gauche italienne) laissent un grand vide. L’énergie déployée jusque là dans la lutte des classes va s’investir dans la course à la réussite individuelle ou l’engagement humanitaire. Parallèlement va (res)surgir avec une force renouvelée le mythe de la conspiration fasciste.
L’antifascisme a longtemps été un thème porteur – et rassembleur – à gauche. En 1934, il permet aux partis communistes européens de se réconcilier avec une social-démocratie jusque là qualifiée de « sociale-fasciste ». Le fascisme français, ce sera pour le Front Populaire les anciens combattants regroupés autour du colonel de la Roque (que la presse collaborationniste appellera quelques années plus tard « Casimir l’enjuivé » et qui mourra en déportation). Pendant les 25 années qui suivirent la fin de la seconde Guerre Mondiale, la gauche (qui se retrouve pour dénoncer le « danger fasciste » incarné par de Gaulle en 1958) est relativement divisée, jusqu’à la signature du Programme Commun en 1972. À l’exception des militants anti-nucléaires qui dénoncent la montée de l’« électro-fascisme », la bête immonde semble définitivement enterrée. Quand Jean Ferrat chante « Ne me dites pas qu’en France nous sommes à l’abri / Des Pinochet en puissance qui travaillent aussi du képi », c’est surtout pour mettre un peu de piquant dans les merguez de la fête de l’Huma. On pense surtout à préparer les lendemains qui chantent. Mais deux ans après l’élection de F. Mitterrand, c’est la douche froide. Entre la défense des grands équilibres à la Bérégovoy, le culte du fric à la Tapie et le moralisme à la Kouchner, les « barbus » se sentent orphelins. Dans le même temps, les revendications identitaires, occultées par des années d’hégémonie marxiste ou progressiste, refont surface tant en Europe que dans le Tiers-Monde. Comme jadis les émigrés de Coblence, les militants déboussolés retrouvent chez les successeurs de l’abbé Barruel des raisons de se battre. Mais cette fois-ci le combat est défensif. Le ventre fécond a donné naissance quasi simultanément à Le Pen, Saddam Hussein et Milosevic. La France ne demanderait qu’à devenir un vaste melting pot, les ex-Yougoslaves ne demandent qu’à s’embrasser et les Arabes se soumettraient volontiers au Nouvel Ordre Mondial si à chaque fois des diablotins nationalistes n’agissaient dans l’ombre pour faire obstacle à l’Ordre Naturel. Peu importe que Le Pen ne soit que modérément arabophile, que les islamistes soutiennent les musulmans bosniaques ou que des nationalistes français ou allemands se battent contre les Serbes sous l’uniforme croate, les « vigilants » vont s’acharner à démontrer la cohérence du Mal, comme hier Léon de Poncins décrivait l’alliance du juif-bolchevik et du juif-capitaliste. Si Drumont tentait de démasquer le « Juif vague », ses successeurs s’inquiètent de la « banalisation du fascisme », qu’il s’agit de traquer partout27.
Le complot des « rouges-bruns », c’est à dire l’alliance d’une extrême-gauche néo-stalinienne et une extrême-droite fascisante, fit au cours de l’été 1993 la une de certains journaux de gauche français (Le Monde et Le Canard Enchaîné en particulier). Une analyse de ces textes fait ressortir une étrange ressemblance avec ceux de Poncins. On y retrouve la même dialectique acrobatique visant à unifier en un tout cohérent (toujours la cohérence du Mal) des idéologies opposées, mais qui se réconcilient soudain pour mener à bien leurs noirs desseins. Les arguments qui justifiaient le rapprochement des juifs capitalistes et des juifs bolcheviks au sein d’une même conspiration, sont réutilisés presque à l’identique pour « expliquer » le rapprochement de fantomatiques staliniens et fascistes, surgis mystérieusement des décombres de l’Histoire ; là encore, la thématique complotiste sert à justifier l’injustifiable, qualifié cette fois-ci de « vigilance ». Au printemps 1994, un universitaire allemand sera violemment attaqué et roué de coups sur le campus de l’université de Nanterre. Le groupuscule responsable de cette agression tentera de se justifier en affirmant détenir un « dossier » sur la victime. Mais, contrairement à son prédécesseur, ce « protocole » ne sera pas dévoilé.
On retrouve bien, sous des formes renouvelées, des structures mentales caractéristiques de la paranoïa complotiste, et en premier lieu le refus de comprendre le monde dans lequel on vit.
Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bêtise immonde.
Points de vue n°11, 1994 Michel Carlier http://grece-fr.com
1. Max Weber, Le savant et le politique, UGE 10-18, 1971.
2. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985.
3. G. Langmuir, Ni Juif ni Grec.
4. Norman Cohn, Histoire d’un mythe, 1967.
5. Augustin Barruel, Mémoire pour servir l’histoire du jacobinisme, Éditions de Chiré, 1973.
6. Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, t.4.
7. Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, Paris, 1864.
8. cf. Les Protocoles des Sages de Sion, (sous la direction de Pierre-André Taguieff) Berg International, 1993.
9. G. Batault, Le problème juif.
10. Léon de Poncins, L’internationale du sang et l’internationale de l’or.
11. Adolf Hitler, Mein Kampf, NEL, 1934.
12. cf. L’Histoire, avril 1991.
13. Léon Poliakoff, La causalité diabolique, Calman Levy.
14. cf. H. Heine, De l’Allemagne, réed. Poche Pluriel.
15. Peter H. Merkl, Political violence under the Swastika : 581 Early Nazis, Princeton University Press, 1975.
16. Sur les rapports entre théorie du complot et paranoïa, cf. B. Schiavetta « Conspirationnisme et délire », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
17. François Furet, Penser la Révolution Française, Gallimard.
18. Montherlant, La guerre civile, NRF, 1938.
19. M. Crozier, S. Huntington, T Watanuki, Crisis of democracy, New York, 1975.
20. cf. Charles Levinson, Vodka Cola, Seuil.
21. Fondé à l’initiative du prince Bernhard des Pays-Bas, le Bilderberg Group a subi le contrecoup de l’implication de son fondateur dans le scandale Lockheed.
22. Il existe d’ailleurs toute une littérature intégriste sur Vatican II comme aboutissement d’un complot « moderniste ».
23. À la tête de ses disciples, Charles Manson, leader d’une secte sataniste, avait assassiné l’actrice Sharon Tate, épouse du metteur en scène Roman Polanski.
24. cf. Masimo Introvigne « Quand le diable se fait Mormon », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
25. cf. notamment Agents of Influence ou The Coming War with Japan.
26. Xavier Rihoit, « La théorie du complot, forme droitière de la paranoïa », in Le Choc du Mois, n°31, juillet 1990, p. 27.
27. Y compris au fond de nous-mêmes, comme nous y invitent André Glucksman ou Tzvetan Todorov.
2. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Gallimard, 1985.
3. G. Langmuir, Ni Juif ni Grec.
4. Norman Cohn, Histoire d’un mythe, 1967.
5. Augustin Barruel, Mémoire pour servir l’histoire du jacobinisme, Éditions de Chiré, 1973.
6. Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, t.4.
7. Le Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel, Paris, 1864.
8. cf. Les Protocoles des Sages de Sion, (sous la direction de Pierre-André Taguieff) Berg International, 1993.
9. G. Batault, Le problème juif.
10. Léon de Poncins, L’internationale du sang et l’internationale de l’or.
11. Adolf Hitler, Mein Kampf, NEL, 1934.
12. cf. L’Histoire, avril 1991.
13. Léon Poliakoff, La causalité diabolique, Calman Levy.
14. cf. H. Heine, De l’Allemagne, réed. Poche Pluriel.
15. Peter H. Merkl, Political violence under the Swastika : 581 Early Nazis, Princeton University Press, 1975.
16. Sur les rapports entre théorie du complot et paranoïa, cf. B. Schiavetta « Conspirationnisme et délire », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
17. François Furet, Penser la Révolution Française, Gallimard.
18. Montherlant, La guerre civile, NRF, 1938.
19. M. Crozier, S. Huntington, T Watanuki, Crisis of democracy, New York, 1975.
20. cf. Charles Levinson, Vodka Cola, Seuil.
21. Fondé à l’initiative du prince Bernhard des Pays-Bas, le Bilderberg Group a subi le contrecoup de l’implication de son fondateur dans le scandale Lockheed.
22. Il existe d’ailleurs toute une littérature intégriste sur Vatican II comme aboutissement d’un complot « moderniste ».
23. À la tête de ses disciples, Charles Manson, leader d’une secte sataniste, avait assassiné l’actrice Sharon Tate, épouse du metteur en scène Roman Polanski.
24. cf. Masimo Introvigne « Quand le diable se fait Mormon », in « Le complot », Politica Hermetica, n°6, 1992.
25. cf. notamment Agents of Influence ou The Coming War with Japan.
26. Xavier Rihoit, « La théorie du complot, forme droitière de la paranoïa », in Le Choc du Mois, n°31, juillet 1990, p. 27.
27. Y compris au fond de nous-mêmes, comme nous y invitent André Glucksman ou Tzvetan Todorov.