Extraits d'un texte important communiqué par François Guillaumat sur Ludwig von Mises
En 1940, à Genève, paraissait le Magnum opus de Mises : "Nationalökonomie - Theorie des Handelns und Wirtschaftens" ("Economie politique : théorie de l'action et de la gestion")
Cependant, dans le chaos de la guerre, le marché allemand lui étant presque complètement fermé, le livre sombra sans laisser de traces, et l'éditeur suisse fit faillite.
Cette année même, Mises quitta la Suisse à la demande de sa femme et s'enfuit par des chemins détournés à travers la France, l'Espagne et le Portugal, pour s'embarquer vers New York à partir de Lisbonne.
Tandis que n'importe quel intellectuel de troisième classe s'y trouvait un poste universitaire appréciable pourvu qu'il fût de gauche, dans les États-Unis supposés capitalistes Mises, à près de 60 ans théoricien du capitalisme de renommée internationale, se vit traiter par le mépris.
Pendant quelques années, il vécut sur ses économies, et de bourses. Il finit par obtenir un poste de professeur invité à l'Université de New York ; cependant, son traitement n'était même pas payé par l'université mais par le William Volker Fund, une petite fondation privée.
En 1949 est parue Human Action, la version américaine de son grand oeuvre : 900 pages d'une prose claire et serrée, d'une argumentation implacable, logiquement rigoureuse, expliquant étape après étape. La réaction des pontes de l'université fut glaciale : ou bien ils condamnaient cet ouvrage comme "réactionnaire", ou alors ils faisaient comme s'il n'existait pas.
Néanmoins, ce fut pour l'ambition qui était la sienne un succès unique de librairie, qui fit de Mises une célébrité aux États-Unis. Le livre est toujours réédité depuis 1949, et à ce jour quelque 500.000 exemplaires en ont été vendus.
Toujours à New York, Mises organisa un nouveau séminaire privé, attirant pendant près de deux décennies des intellectuels de renom (notamment Murray Rothbard, fondateur du mouvement libertarien américain).
En 1969, à l'âge de 87 ans, Mises se retira de l'enseignement. Il est mort le 10 octobre 1973 à New York.
Mises est sans nul doute le plus grand économiste du XX° siècle.
Nous lui devons des découvertes fondamentales en théorie de la monnaie et de la conjoncture, sur l'impossibilité du calcul économique dans le socialisme et sur les fondements épistémologiques de l'économie comme une logique axiomatique-déductive de l'action.
Presque seul parmi les économistes de son temps, Mises avait prédit tous les événements majeurs du XX° siècle : la Grande Dépression, ainsi que les échecs économiques du fascisme, du socialisme national et particulièrement du communisme soviétique.
L'effondrement économique de la dernière variante du socialisme, celle de la démocratie-sociale, qu'il a également prédit, se fait encore attendre, mais il y a des signes sans équivoque que nous nous en rapprochons sans cesse.
que cela, et avant tout, Mises est le bâtisseur d'un système.
Il a intégré toutes ses idées particulières dans une présentation générale et systématiquement organisée de l'ordre social et propose, outre une analyse critique, un programme libéral positif et engageant (auprès duquel des libéraux en vue comme Milton Friedman et Friedrich Hayek apparaissent -- et à juste titre – comme de vrais sociaux-démocrates) :
La propriété privée et l'échange mutuellement avantageux fondé sur la division du travail comme le fondement de la morale et de la prospérité économique ; un gouvernement dont la fonction unique est de protéger et d'imposer les droits de propriété privée, et de l'économie de marché qui s'ensuit – en particulier, qui s'abstient de toute intervention « correctrice » aussi bien dans la répartition du revenu et des richesses qui résultent des processus du marché, que dans le système éducatif ; et qui est confronté à tout moment au Droit absolu de sécession des plus petites unités vis-à-vis des plus grosses ; enfin, le libre échange et un étalon-or international (et non une monnaie de papier des hommes de l'état).
Par rapport à Mises, Hayek apparaît comme un démocrate-social.
Le XXe siècle fut l'ère du socialisme - dans toutes ses variantes. Celui qui pensait comme Mises à propos du socialisme, devait y demeurer étranger.
La grande star parmi les économistes était John Maynard Keynes, contemporain de Mises, dont il existe différents avatars pro-soviétiques, pro-nazis et démocrates sociaux, de sorte qu'il est toujours et partout demeuré conforme à l'esprit du temps.
Aujourd'hui, au début du XXIe siècle, après qu'on a essayé toutes les variantes du socialisme, le système de Keynes est en lambeaux, et son étoile passée (pour ne pas parler de Marx).
En revanche, les positions prédominantes de Mises, et du système capitaliste libéral qu'il promouvait, sont de plus en plus apparentes.
Il y en a d'autant plus lieu d'admirer la force intérieure de Mises, que ses adversaires lui reprochaient comme de l'intransigeance, de l'entêtement, de l'intolérance et de l'extrémisme.