Le 18 septembre 2008, à l'Ecole polytechnique. Sarkozy a prononcé un discours parmi les plus importants et les plus funestes de son quinquennat (pour l'instant au moins). Le nouveau combat qu'il assigne à la République consiste à lutter contre les inégalités sociales. Cette seule étiquette n'évoque rien de nouveau, ni a fortiori d'effrayant. Dans le passé, c'est toujours l'Eglise qui a eu le souci des pauvres et des souffrants. D'un autre côté, cette lutte a toujours fait l'essence du programme socialiste, officiellement au moins. Plus récemment, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les hommes engagés dans la doctrine sociale de l'Eglise ont rédigé des propositions et réalisé des actions pour tenter d'améliorer la condition d'un prolétariat industriel en plein développement. Car, si leur dessein d'établir le royaume de Jésus-Christ sur cette terre était premier, l'amélioration des conditions de vie des classes laborieuses figurait évidemment au programme. Mais heureusement. au-delà de l'étiquette banale, le contenu du discours, les intentions idéologiques, les mesures annoncées sont infiniment moins rassurantes.
De l'égalité
Lutter contre les inégalités, c'est évidemment rechercher l'égalité. Disons donc quelques mots de ce dernier concept. Stricto sensu l'égalité rigoureuse et véritable ne peut être que de nature mathématique : 2 = 2, 2 + 2 = 4. Mais dire que ce mouton est égal à cet autre mouton n'a de sens que si l'on en est à dénombrer le troupeau. Ontologiquement, cela n'a aucune signification. L'un peut être fort et plein de santé, l'autre chétif et malingre, etc. Métaphysiquement, l'égalité des hommes émanait de l'Evangile même. Cet être qui avait été créé à la ressemblance de Dieu, avait hérité d'une dignité partagée par tous les individus, compte tenu du péché originel et à condition toutefois de ne pas souiller ce don par le péché. Les mobiles des révolutionnaires de 1789 s'avéraient plus terre à terre. Depuis le Moyen Age, la société française était scindée en trois corps : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Dans la nuit du 4 août 1789, fut décidée l'abolition des privilèges - votée d'ailleurs par les représentants des trois ordres - qui plaçait désormais tous les Français dans l'égalité juridique. Sans compter l'égalité devant la Terreur : dans les charrettes de la guillotine, des représentants des trois anciens Ordres se trouvaient entassés côte à côte vers leur destin macabre. Comment aller plus loin dans cet impératif catégorique de l'égalité entre les hommes !
Comment des idéologues comme Rousseau, le type même de l'intellectuel dont la raison raisonnante tournait dans le vide, ont-ils pu voir dans l'égalité l'idéal indépassable des sociétés humaines ? Rousseau n'avait fait couler que l'encre de sa plume. Mais il allait donner des idées à des monstres comme Robespierre qui devait faire couler le sang, et en quelle abondance ! Pourquoi ? Pour ravaler les hommes au même niveau, nécessairement le plus bas, alors qu'ils sont naturellement ennoblis par la richesse des différences de talents et d'aptitudes, et de ce fait, complémentaires dans une communauté, à l'instar des organes dans un être biologique ! Dans la sinistre apothéose actuelle de la révolution, n'en est-on pas arrivé à l'identité « homme-femme », concept contre nature et suicidaire pour l'espèce ?
L'égalité - sinon l'identité - n'est pas facteur de cohésion mais de dispersion, en un mot, d'individualisme. Au contraire, les différences toujours interprétables en terme d'inégalité - sont complémentaires : elles seules sous-tendent des entités fondamentales telles que la famille, les sociétés depuis les communautés les plus petites jusqu'à la nation. L'inégalité fut de tous les temps. Mais, les hommes l'ont supportée tant qu'ils y ont vu une fatalité imposée par le destin, à l'instar des souffrances, des accidents, de la pertes d'êtres chers, etc. Au contraire, à notre époque où tout se voit, tout se sait, tout se diffuse, tout se compare, l'inégalité pèse plus lourd. Actuellement, pétri de mentalité révolutionnaire, de l'esprit des Droits de l'homme, de ferments d'envie, de jalousie et de haine, l'homme ne supporte plus l'inévitable inégalité. D'autre part - et là encore, Rousseau ne l'avait pas compris - de façon très générale, l'inégalité est source de développement, de richesse et de progrès.
Les hiérarchies
L'abolition des privilèges a eu au moins un effet bénéfique. Elle a contribué à mettre en route le principe de la méritocratie et le fonctionnement de l'ascenseur social. Après elle, le fils d'un roturier, d'un paysan ou d'un forgeron pouvait devenir maréchal de France. Le développement de l'école et sa généralisation, avec les efforts de Guizot et plus tard de Jules Ferry, ont contribué à donner une chance à tous, en particulier aux pauvres. Jusqu'à la folie de l'idéologie de l'antidiscrimination, l'Etat n'a pas cherché à faire disparaître l'ordre hiérarchisé, mais son devoir était de permettre et de favoriser l'accès de tous à la couche supérieure de cette hiérarchie sociale. Alain disait à peu près : « Tous ceux qui ont voulu s'enrichir y sont parvenus. » Et évoquant les autres, dans une parabole superbement elliptique : « Ils ont regardé la montagne mais elle les attendait. » Certes, cet optimisme doit être tempéré. Il est vrai que le système avait un faible débit. En font foi ces statistiques que l'on rabâche pour nous prouver que parmi les polytechniciens ou les médecins, les fils d'ouvriers ou de paysans demeuraient en très faible proportion.
Je dirai ici quelques mots de ce que je connais par l'expérience de ma jeunesse. Tout au long de mes études scolaires, j'ai constaté avec une certaine surprise que les fils de familles aisées, à qui les parents offraient le bénéfice de cours particuliers, ne brillaient pas particulièrement. Sans pouvoir établir de généralité, ils se plaçaient souvent dans un rang moyen ou médiocre. Et ce sont fréquemment les fils de pauvres - et je peux en parler : j'en étais - qui raflaient les meilleures places. Ils n'étaient pas plus intelligents que les autres. Mais ils travaillaient plus car ils avaient la volonté et la détermination « de s'en sortir ». J'observerai en outre, qu'à capacité d'analyse et d'observation égale, le fils de pauvre peut être mieux situé que le fils de riche pour comprendre la structure et les ressorts d'une société. Pour filer la métaphore de la montagne : d'en bas, on voit mieux la pente à gravir que l'observateur directement installé au sommet des surplombs. Parvenu maintenant au crépuscule de ma vie, je n'hésite pas à dire, sans provocation et sans masochisme, qu'à la limite, être de famille pauvre était, à certains égards, une chance.
Il faut dire qu'à l'époque l'école jouait admirablement de ce ressort irremplaçable qu'est l'émulation. Comment est-il possible que les crétins de pédagogues en chambre aient pu déployer autant d'énergie pour mettre à bas cette saine émulation : suppression des notations, des classements, des prix de fin d'année ; et encore, passage quasiment automatique d'une classe à la classe supérieure, même pour des élèves n'étant manifestement pas au niveau ! C'est une des raisons de la faillite actuelle de notre système scolaire qui affecte irrémédiablement une partie importante de générations de jeunes. Dans la vie active qui succédait à l'école, notre système hiérarchisé ouvert à tous entretenait l'esprit de compétition, poussant au travail, à l'efficacité, à des relations professionnelles conviviales, à l'exercice intelligent de l'autorité. Chez un certain nombre, c'était une ambition dévorante qui devenait le moteur du comportement. Et l'on était alors au bord des excès d'un système où, pour parvenir au sommet de la hiérarchie, ont été parfois oubliés aussi bien les principes de l'éthique professionnelle que la richesse de la vie extra-professionnelle. Une chose est certaine, c'est que ce système, ouvert, où la course se gagnait par le talent et le travail, entretenait le dynamisme d'une société. Il favorisait l'émergence et le renouvellement d'une élite sans laquelle tout groupe humain s'étiole et périclite. Les principes du système hiérarchisé ne sauraient trouver de plus terrible antagoniste que nos lois antidiscriminatoires, c'est-à-dire ce que nous propose l'antidiscrimination avec des quotas ethniques, des passe-droits racistes.
Depuis des décennies, la redistribution de l'idéologie socialiste, largement pratiquée par la «droite» de l'établissement, une assistance publique généralisée et insuffisamment sélective, les dépenses extravagantes d'un Etat gangrené par la bureaucratie et la corruption, ont entraîné une politique et en particulier une pression fiscale dissuasive à l'égard d'une bonne partie de nos entreprises et de nos élites. Il ne faut pas chercher plus loin la raison du départ à l'étranger de dizaines de milliers de nos jeunes (ou de moins jeunes), soit dans d'autres pays européens soit en Amérique du Nord. Le découragement que traduit ces départs va se trouver amplifié par cette prétendue lutte contre les inégalités sociales. Tout peut se résumer en très peu de mots : une politique antifrançaise menée par le gouvernement français !
GEORGES DILLINGER Présent du 21 avril 2009