Au cours de l’été 451 apr. J.-C. s’opposent aux champs Catalauniques deux coalitions hétéroclites, l’une emmenée par le patrice Aetius, l’autre par Attila roi des Huns. La date de la bataille est incertaine (peut-être septembre), le lieu l’est également.
Le banquet d’Attila, Mor Than (1870).
Les Huns sont un peuple originaire d’Asie, proto-turc avec des composantes de type mongol (un quart selon l’historien Walter Pohl), qui fait son apparition en Europe orientale au IIIe siècle. En 375, les Huns traversent le Don, détruisent l’empire alain des rives de la Caspienne et repoussent vers l’Ouest tous leurs ennemis par la terreur qu’ils inspirent. Attila naît en 395 et est élevé à la cour de Constantinople. Adulte, il retourne dans la vallée du Danube où il gouverne son royaume avec son frère Bléda de 434 (mort de son oncle Ruga) à 445 (assassinat de Bléda). En 446, toutes les tribus des Huns sont rassemblées sous son commandement.
I. Les raids sur l’Empire romain (441-451)
Attiré par les richesses de l’Empire romain d’Orient qu’il connaît bien, Attila l’attaque à deux reprises (441-443 et 447-449) jusqu’à mettre le siège devant Constantinople. L’empereur d’Orient Théodose II achète la paix en lui versant d’énormes tributs. Le roi des Huns se tourne alors vers l’Occident et demande la main d’Honoria, sœur de l’empereur d’Occident Valentinien III, prétexte pour attaquer l’Empire (réclamation d’une dot). Il espère s’y approprier de larges territoires dont l’Aquitaine wisigothique. Il peut compter sur quelques alliés, dont les Vandales.
Ville romaine en Gaule saccagée par les hordes d’Attila, Antoine Georges Marie Rochegrosse.
Attila passe le Rhin début avril 451 avec une armée d’environ 200.000 hommes (de toutes origines). Il parvient sans difficulté jusqu’à Metz qu’il assiège et détruit la veille de Pâques (7 avril), massacrant tous ses habitants. Parcourant la Champagne, il s’en prend à Reims, Saint-Quentin et Laon. Les Gallo-Romains pensent que le chef des Huns va se diriger vers Lutèce, riche ville de 2000 habitants, mais, apprenant qu’elle est bien défendue (les Lutéciens sont galvanisés par Geneviève qui les exhorte à ne pas quitter la ville mais au contraire à s’armer et la fortifier), il s’en détourne pour Orléans, point de passage obligé pour traverser la Loire.
L’évêque d’Orléans, Aignan, ancien militaire, quitte la ville avant le siège pour implorer l’aide du généralissime romain Aetius à Arles. Consul en 432 et patrice (titre honorifique) en 433, Aetius dispose d’un pouvoir important à Ravenne auprès de l’empereur d’Occident et il connaît bien les Huns pour avoir été dans sa jeunesse otage à la cour du roi hun. Devenu officier romain, il en a recruté à plusieurs reprises dans son armée pour leur courage. Celui-ci demande à Aignan de pratiquer une résistance à outrance jusqu’à son arrivée fixée au 14 juin 451. De retour dans sa cité, l’évêque galvanise ses habitants, leur fait chanter des psaumes et organise la défense. Les Huns, qui possèdent des machines de siège (capturées aux Romains ou construites à l’aide de transfuges romains), lancent plusieurs assauts et finissent par crever la muraille.
Alors que la ville s’apprête à tomber, les habitants voient au loin arriver l’armée de secours commandée par Aetius englobant entres autres les Wisigoths de Théodoric Ier, les Alains de Sangiban, les Burgondes de Gondioc et les Francs saliens de Mérovée (incertain), des Armoricains et des Bretons. En apprenant l’arrivée de l’armée de secours, l’évêque dit « C’est le secours du Seigneur » (Grégoire de Tours, II, 7). Les Huns sont contraints de lever le siège et de se replier. Cette délivrance qui paraît miraculeuse en rappelle une autre, celle de Jeanne d’Arc en 1429. A la mi-juin, les Huns installés au Campus Mauriacus, près de Troyes, sont rattrapés par les troupes d’Aetius.
II. La bataille des champs Catalauniques
Les Huns à la bataille
de Châlons, Alphonse
de Neuville.
Le déroulement de la bataille nous est connu par l’historien goth Jordanès (de langue latine), qui écrit un siècle après les faits mais qui semble avoir eu à sa disposition des documents fiables. La plaine où s’est déroulée le combat fut appelée « champs Catalauniques », nom qui vient probablement de catalauni (« chefs de guerre ») du gaulois catu, « combat », et de uellaunos, « chef ».
Attila, tout comme Aetius, commande une vaste coalition de Germaniques (il est entouré d’une « tourbe de rois » selon l’expression de Jordanès), où les Ostrogoths de Valamir sont les plus nombreux. Sont présents les Gépides d’Ardaric, les Hérules, les Alamans, les Suèves, les Skires, les Ruges, les Bructères, les Francs ripuaires et les Thuringiens. Les Romains et les Huns sont minoritaires au sein des deux coalitions.
Le nombre de combattants n’est pas connu. Jordanès en attribue 500.000 à Attila, ce qui est invraisemblable compte tenu des moyens logistiques. Les historiens militaires s’accordent autour de 25.000 à 50.000 hommes pour chacune des deux armées, ce qui reste énorme pour l’époque. Selon Jordanès, Attila inquiet consulte ses chamans avant la bataille, lesquels lui annoncent sa propre défaite mais aussi la mort du chef ennemi. Néanmoins, « Attila estima que la mort d’Aetius était souhaitable même au prix de sa défaite. » (Getica, XXXVII, 134-196).
Le matin du 20 juin, Attila décide de se mettre au centre du dispositif. A sa droite sont placés les Ostrogoths et à sa gauche les Gépides et les autres peuples germaniques. De l’autre côté, Aetius met au centre les Alains de Sangiban dont il se méfie, à droite les Wisigoths et les Francs saliens. Le général romain se place à gauche. Son plan consiste à tourner l’ennemi par son aile droite (les Wisigoths).
La nuit même avant la bataille, les Francs rencontrent une armée gépide fidèle à Attila ; l’affrontement qui s’en suit (dans l’obscurité) met hors de combat plusieurs milliers d’hommes de chaque côté.
Le 20 juin en début d’après-midi débute la véritable bataille. Les Wisigoths affrontent et taillent en pièces les Ostrogoths, mais leur roi Théodoric est tué au cours du combat, soit en tombant de cheval, soit en recevant un javelot lancé par Andag, chef ostrogoth. Les Romains et les Francs saliens d’Aetius attaquent les Francs ripuaires, les Thuringiens, les Suèves et quelques Burgondes ralliés à Attila. Les Huns, au centre de la bataille, lancent une violente charge de cavalerie mais se heurtent aux cavaliers alains qui leur tiennent tête. Habitués aux attaques fulgurantes, les cavaliers huns sont peu habitués à soutenir une pression continue de la part de l’ennemi. Les Wisigoths se portant vers les Huns (conformément au plan d’Aetius) forcent Attila à reculer jusque dans son camp circulaire de chariots, alors que la nuit tombe. La prédiction des chamans d’Attila se révèle juste, mais c’est Théodoric qui a perdu la vie, et non Aetius comme le pensait le chef hun.
Le lendemain, les Huns dans leur camp se tiennent prêts à se battre, se préparant à subir un siège. Attila aurait fait élever un bûcher composé de selles de chevaux dans lequel il se tenait prêt à se jeter en cas de défaite. Les Wisigoths cherchent le corps de leur roi. « Ils le trouvent au milieu de très nombreux cadavres, et, l’ayant honoré par des chants, ils l’enlèvent sous les yeux de l’ennemi. Vous eussiez vu des troupes de Goths dans le fracas de leurs voix discordantes qui, alors que la guerre faisait toujours rage, étaient venus rendre les honneurs funèbres » (XLI, 214). Après avoir entrechoqué leurs armes, ils proclament Thorismond, frère de Théodoric, roi.
Aetius et Thorismond décident de ne pas pousser plus loin leur avantage pour des raisons stratégiques. Aetius pense que si les Huns sont éliminés, l’Empire romain d’Occident va passer sous la coupe des Wisigoths (il voit dans les Huns un contrepoids aux Wisigoths). Au contraire, Thorismond se dit que si les Huns sont écrasés, l’Empire va se retrouver fortifié par l’afflux d’un grand nombre de mercenaires Huns. Aucun des deux hommes ne voyant son intérêt dans l’anéantissement des Huns, et le mythe de l’invincibilité d’Attila ayant volé en éclats, l’alliance de circonstance entre Romains, Wisigoths et Alains se brise et Thorismond part pour Toulouse (l’année suivante, les Wisigoths de Thorismond écrasent leurs anciens frères d’armes, les Alains de Sangiban !). Attila peut battre en retraite tranquillement ; il passe le Rhin avec le prestigieux évêque Loup comme otage, pour ne pas être attaqué.
III. Les derniers feux d’Attila (452-453)
La rencontre entre Léon le Grand et Attila (fresque de Raphaël, 1513-1514, palais du Vatican).
Attila ne revient plus en Gaule, mais ses forces restent suffisamment importantes pour attaquer l’Italie. Après avoir réorganisé ses forces, il descend la péninsule italienne en 452, rase Aquilée (une partie de ses habitants iront se réfugier sur des îlots au Sud, formant l’embryon de la future Venise), pille Milan, Padoue, Vérone et Pavie. Aetius laisse à leur sort les villes du Nord et se réfugie à Rome avec l’empereur ; son projet était de quitter l’Italie avec Valentinien III mais le Sénat s’y est opposé. L’empereur d’Orient Marcien, successeur de Théodose II, apporte son aide en attaquant les Huns du Danube, ouvrant en cela un deuxième front, et en envoyant des auxiliaires en Italie.
L’armée des Huns est affaiblie par la chaleur, les exhalaisons et moustiques des marais d’Aquilée, le manque de vivres (famine de 451), la dysenterie. Alors qu’il marche sur Rome, ville très bien fortifiée, le pape Léon le Grand, ami d’Aetius, se porte à sa rencontre. Au cours d’une entrevue dont le contenu est resté secret, le pape parvient à convaincre le chef hun de se détourner de l’Italie pour retourner en Pannonie.
Le « fléau de Dieu » décède en 453, le soir de ses noces avec une princesse burgonde, des suites d’une hémorragie selon Jordanès. La coalition disparaît avec son chef, ses composantes ne parvenant pas à s’entendre et s’entre-déchirant. Une partie des Huns se dirige vers l’Est, dans la région de la Volga. Ils ne représenteront plus de menace sérieuse. Quant à Aetius, il ne survit qu’un an à son ancien ennemi, l’empereur Valentinien III, ayant peur pour son trône et jaloux de sa gloire, le faisant assassiner en 454.
Bibliographie :
CHAUTARD, Sophie. Les grandes batailles de l’Histoire. Studyrama, 2010.
ROUCHE, Michel. Attila, la violence nomade. Fayard, 2009.