En France, le fait ethnique a longtemps été banni des études africaines car le postulat qui sous-tendit les travaux des africanistes de la seconde moitié du XX° siècle, fut que ces dernières avaient été créées par la colonisation.
Poussons à son terme ce postulat aberrant énoncé par Jean-Pierre Chrétien, Jean Loup Amselle ou encore Catherine Coquery-Vidrovitch : si l’Afrique pré coloniale ignorait les ethnies, le continent n’avait donc pas d’histoire et il n’était qu’un conglomérat d’individus indifférenciés ultérieurement structuré par la colonisation... Cette vision est parfaitement stupide, mais revenons néanmoins au cœur de la théorie de Jean-Pierre Chrétien et consorts.
La réponse à leur thèse tient en une question : les ethnies existaient-elles au moment où se fit la colonisation ? La réponse est oui, évidemment oui car, en Afrique comme dans le reste du monde, l’Histoire s’écrit autour des peuples, des ethnies. En Afrique, l’actualité le montre quotidiennement, et, hélas, de manière régulièrement dramatique de la Côte d’Ivoire au Soudan, du Tchad au Rwanda et du Kenya à la RDC, etc. Nier une telle évidence ne relève pas de la controverse scientifique, mais de la pathologie.
Dans ce numéro de l’Afrique Réelle, nous montrons que cette réalité ethnique est également la clé de la situation en Afrique du Sud et en Guinée.
Tout est-il pour autant ethnique ? La question africaine se résume t-elle à une addition de problèmes ethniques ? Evidemment non, mais si l’ethnie n’explique pas tout, elle est cependant à la base de tout, même quand l’apparence des crises est économique.
Trois exemples le démontreront :
1) Ce n’est pas le pétrole qui est à l’origine de la guerre du Sud Soudan, mais l’opposition entre populations nordistes arabo-musulmanes et sudistes négro-africaines. Cette guerre, résurgence de conflits multi séculaires a éclaté en 1956 alors que le pétrole n’est produit que depuis une décennie à peine.
2) Le trafic du coltan n’explique pas les guerres du Kivu, même si aujourd’hui il les alimente en partie. Elles ont en effet éclaté dans les années 1990 quand les Tutsi congolais (les Banyamulenge) furent instrumentalisés par le Rwanda pour déstabiliser le régime Mobutu.
3) Les diamants n’ont pas provoqué la guerre civile de Sierra Leone puisque sa cause en est la contagion découlant de la guerre ethnique du Liberia et des évènements ethno politiques de Guinée. Ce ne fut que dans un second temps que le conflit s’est nourri du commerce des diamants.
Depuis les années 1990, le problème ethnique africain a été amplifié par la démocratie. Le placage de la démocratie fondée sur le « one man one vote » aboutit en effet à l’ethno mathématique puisqu’il débouche sur la victoire automatique des plus nombreux.
Le problème n’est d’ailleurs pas tant la démocratie en elle-même que la manière dont elle a été transposée en Afrique sans qu’auparavant il ait été réfléchi au mode de représentation et d’association au pouvoir des ethnies minoritaires. C’est pourquoi il est impératif de définir des voies constitutionnelles permettant la cohabitation ethnique sur des bases consensuelles et cela, afin d’éviter que les plus nombreux soient automatiquement détenteurs d’un pouvoir issu de l’addition des suffrages.
La solution pourrait être un système dans lequel la représentation irait d’abord aux groupes et non plus aux individus. Mais il s’agirait là d’une véritable révolution culturelle car, en définitive, ce sont les fondements philosophiques des sociétés démocratiques « occidentales » fondées sur l’individualisme qui seraient alors remis en cause. Avec l’universalisme destructeur qui les supportent.
Bernard LUGAN http://www.libeco.net