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La démographie africaine dans sa longue durée (I), par Bernard Lugan

Universitaire africaniste, Bernard Lugan aborde les questions africaines sur la longue durée en partant du réel, à savoir la Terre et les Hommes. Pour lui, il convient de parler des Afriques et non de l’Afrique, et des Africains, donc des peuples et des ethnies, et non de l’Africain, terme aussi vague que réducteur.
Après plus de trente années d’expériences de terrain et d’enseignement universitaire en Afrique – il fut notamment professeur durant dix ans à l’université nationale du Rwanda –, il mène actuellement des activités multiples : édition d’une revue africaniste diffusée par internet, direction d’un séminaire au CID (Ecole de Guerre), conseil auprès de sociétés impliquées en Afrique. Il est également expert pour l’ONU auprès du TPIR (Tribunal international pour le Rwanda) qui siège à Arusha, en Tanzanie.

Contrairement à ce qui est trop constamment affirmé, l’Afrique se développe, mais sa démographie est plus rapide que son développement. Certains chefs d’Etats en sont conscients. C’est ainsi que dans le discours prononcé le 9 juin 2008 lors de l’ouverture du deuxième congrès national sur la population, le président Moubarak d’Egypte déclara que la pression démographique était la « mère de tous les maux », la huitième plaie d’Egypte en quelque sorte. Avec une population de 80 millions d’habitants concentrée le long du Nil sur quelques dizaines de milliers de km2, avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1000, la catastrophe est effectivement annoncée. Le président égyptien est allé jusqu’à reprocher à ses compatriotes (je cite) de « faire concurrence aux lapins ».
I- La situation actuelle : une démographie qui bloque le développement
Aujourd’hui, l’accroissement de la population est tel qu’il gomme les effets du développement du continent et qu’il annonce de graves crises alimentaires.
Quelques chiffres permettent de saisir l’ampleur du phénomène : dans les années 1900, la population de l’Afrique était d’environ 100 millions d’individus ; dans les années 1950-1960, au moment des indépendances, elle était de 275 millions ; en 1990, de 642 millions dont 142 en Afrique du Nord ; en 2002, de 689 millions ; en 2004, de 872 millions et en 2005 de 910 millions. En 2007, la population de la seule Afrique sud-saharienne était estimée à 788 millions. Selon les Nations Unies, dans les années 2050, les Africains sud-sahariens seront un peu moins de deux milliards si toutefois les femmes n’ont que 2,5 enfants en moyenne, et aux environs de 3 milliards si elles continuent à en avoir 5,5 (1).
Or, il faut bien comprendre que c’est cette croissance démographique et elle seule, qui annule les effets du développement. Entre 1966 et 2005, le PNB du continent a en effet augmenté de 3,9% en moyenne, ce qui est une excellente performance, mais, ramené à l’évolution de la population, ce taux tombe à 1,6% (FMI, mars 2005). Entre les années 1960 et 1995, la production agricole africaine a progressé en moyenne de 1,25% par an, soit 43,75% en trente-cinq ans, ce qui est remarquable. Mais, dans le même temps, comme la population croissait de 3% par an, soit 105%, l’écart entre les besoins et les moyens s’est considérablement creusé ; le phénomène ira en augmentant car un taux de 3% entraîne un doublement de la population tous les 20 ans.
En 1970, 200 millions d’Africains n’avaient pas accès à l’électricité ; en 2002, ils étaient 500 millions. Et pourtant, en 30 ans, des dizaines de milliers de kilomètres de lignes furent tirés, mais là encore, la démographie est la grande responsable de ce constat car les naissances sont allées plus vite que l’électrification. Cet exemple se retrouve dans tous les domaines.
Autre conséquence de la surpopulation, les disettes saisonnières qui, dans la société traditionnelle apparaissaient régulièrement au moment de la soudure entre deux cycles agricoles ou lors d’accidents climatiques ponctuels, se sont transformées en famines, car les ressources alimentaires ont-elles aussi progressé moins vite que la population.
Des années 1960 à 2000, deux grandes zones furent quasiment en permanence frappées par le phénomène de famine : le Sahel et la Corne de l’Afrique. En 2002, une troisième zone s’y est ajoutée, l’Afrique australe où cinq pays, à savoir le Lesotho, le Mozambique, le Swaziland, la Zambie et le Zimbabwe furent sévèrement touchés par une crise alimentaire. Cette année là, la crise agricole frappa également des pays comme le Sénégal où la récolte céréalière 2002/2003 fut en forte baisse par rapport à celle de l’année précédente et où, faute de pâturages, certains troupeaux furent gravement affectés. Selon la Banque mondiale (Rapport de décembre 2002), en 2002, 30 millions de personnes dans toute l’Afrique eurent besoin d’une aide alimentaire. Ce chiffre a encore augmenté depuis, notamment en 2007-2008, quand 135 millions d’Africains reçurent une aide alimentaire (Banque africaine de développement, avril 2008).
Le phénomène a été amplifié par l’exode rural et par la création de mégapoles non productives mais grosses consommatrices, ce qui entraîna une baisse des productions vivrières et par conséquent l’augmentation du déficit alimentaire : « Les villes et les agglomérations du continent vont devoir absorber une vague de 12 à 13 millions d’habitants en 2008, si bien que la population urbaine va croître plus vite que la population rurale à l’horizon 2035 » (2) Or, souligne la BAD, cette urbanisation n’est pas le résultat de l’industrialisation, mais de la misère rurale.
La surpopulation a également eu des conséquences dramatiquement observables sur l’environnement, amplifiant le phénomène de désertification. Depuis la décennie 1960, le déboisement de l’Afrique qui en est une conséquence directe a même pris des proportions alarmantes. Les 3/4 des Africains se servent en effet de bois ou de charbon de bois pour la cuisson de leurs aliments ; 85% du bois coupé en Afrique sert en bois de feu, 10% pour l’habitat et 5% seulement pour l’exportation.
C’est cette démographie devenue suicidaire qui fait que l’Afrique sud-saharienne est aujourd’hui plus pauvre qu’elle ne l’était en 1960 puisque, depuis les indépendances, le revenu par habitant y a baissé entre moins 0,5 et moins 1% par an.
(1) En Afrique, le Sida a fait depuis le début de la pandémie 25 millions de morts. Dans les pays les plus touchés (Botswana 37% de la population, Zimbabwe 24%, Afrique du Sud 21%, on pourrait assister à une contraction de la population active mais pas à un dépeuplement.
(2) BAD (Banque africaine de développement), Compte-rendu de la réunion du 14 mai 2008, Maputo. Selon la Banque mondiale, en 1981 11% des pauvres de la planète vivaient en Afrique sud-saharienne. Cette proportion était de 27% en 2007 et elle sera de 33% en 2015. Selon la BM, il faudrait un « miracle » pour que la situation change (Rapport de la Banque mondiale du 26 août 2008, Washington.)

A suivre  : 
La démographie africaine dans sa longue durée

(II) – Les réponses historiques à l’accroissement démographique.
Texte publié avec l’aimable autorisation du site realpolitik.tv, animé par Aymeric Chauprade.

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