Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le Pen, la droite nationale et les questions d’Orient (2003)

Aujourd’hui, il n’y a que les ennemis irréductibles du Front national, et de son président Jean-Marie Le Pen, pour ignorer les positions originales du parti-phare de la droite nationale française, sur les dossiers du Proche et du Moyen-Orient : à savoir une reconnaissance, sans guère de limites, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Retour sur cet aspect négligé, quoi que non négligeable, du vilain petit canard de la vie politique française.

Il n’est pas vraiment nécessaire d’inonder le lecteur de citations sur les positions frontistes sur la question irakienne, dont le président du Front national fut l’un des plus âpres défenseurs, dès les premières menaces lancées contre ce pays par l’administration Bush Sr. Un soutien qui ne se démentira pas au cours des années, Le Pen étant l’une des rares personnalités politiques européennes (et le seul « présidentiable » français) à faire le trajet Amman-Bagdad (mille cent kilomètres de route), accompagné, à chaque fois, d’une aide humanitaire conséquente.

Est-il utile ici - autrement que pour l’assurer de notre plus profond respect - de rappeler le travail de Sisyphe accompli par l’association SOS Enfants d’Irak, animée par son épouse Jany Le Pen ?

Autre réalité incontournable, d’entrée, il faut reconnaître à Jean-Marie Le Pen son antériorité quant à sa défense de l’Irak par rapport à la droite « classique ».

Ainsi, du temps où le Premier ministre français était un certain Alain Juppé, Le Pen n’avait pas barguigné à voir en lui rien de moins qu’un « criminel contre l’humanité » car « il s’est associé comme complice des Américains et des Anglais, qui affament chaque jour six cent enfants irakiens, sans parler des adultes. En cinq ans, ils ont fait tuer plus d’un million d’enfants et d’adultes à cause de l’embargo ».

L’Irak donc. Mais pas seulement. Si la position du Front national vis-à-vis du dossier irakien est assez connue, son approche du problème palestinien l’est moins. Etapparaît comme assez hétérodoxe.

Le Pen ne craignant pas d’affirmer, bien avant l’essor de l’intifada Al-Aqsa et l’arrivée aux affaires du général Ariel Sharon, que « Le peuple palestinien subit un véritable martyre, puisque les droits qui lui ont été reconnus par l’Onu sur sa propre terre ne sont pas respectés. Il s’agit d’un pays et d’un peuple qui vivent dans une misère affreuse. Plus affreuse encore, serais-je tenté de dire, que celle qui accable l’Irak. En Irak, il y a un génocide perpétré et mené par les États-Unis avec la complicité de l’Europe; mais au moins ont-ils conservé un gouvernement, des institutions, une homogénéité nationale. Ils souffrent et meurent, mais chez eux. Alors que l’Onu et les nations qui la composent se sont révélées incapables d’imposer une solution juste dans l’ancienne Palestine. Personnellement, j’ai depuis longtemps reconnu le droit des Israéliens à avoir une patrie, mais ce droit ne peut pas exister s’il n’a pas pour corollaire celui des Palestiniens à avoir une patrie libre et souveraine »(1).

Idem pour le Liban. Revenant sur le crime de guerre perpétré à Cana par les forces israéliennes contre des civils essentiellement chi’ites, Le Pen assurera que «les tragiques noces de Cana sont de la responsabilité au moins égale des Américains » qui « n'ont jamais été très regardants quand il s'agit de bombarder les populations civiles ou de les affamer comme en Irak » (2).

À cette aune, le discours sur Le Pen sur l’islamisme peut sembler parfois anodin par rapport aux saillies de groupies de l’Axe atlantique au sein de l’actuelle majorité.

Ainsi, c’est Jean-Marie Le Pen qui reconnaissait auprès de nos confrères d’Arabies (n°98), qu'« on attise la peur des Français devant ce qu'il est convenu d'appeler « l'islamisme » ou « l'intégrisme islamique ». Ceux qui attisent ou manipulent ces peurs, n'hésitant pas à dénaturer grossièrement le message de l'Islam pour le faire mieux entrer dans leurs schémas, le font dans une optique très précise : celle de l'utopie mondialiste et de l'idéologie des droits de l'Homme qui présupposent la destruction des identités culturelles et le refus de la transcendance. Leur rêve est celui d'un Islam aseptisé et rendu inoffensif, ce qui me paraît une contradiction dans les termes »(3).

Il convient, par ailleurs, de rappeler que cette opposition au Moloch états-unien, n’est pas univoque. Ce que rappelait Jean-Marie Le Pen lorsqu’il déclarait que « L’hégémonie américaine exprime un déséquilibre des forces mondiales et la disparition, provisoire sans doute, de l’ex-Union soviétique ou plutôt de la force de l’Est européen. Ainsi, tout naturellement, par une espèce de pente mécanique, le pouvoir américain est amené à devenir absolu; donc, de fait, totalitaire. Il n’est donc pas souhaitable de se prêter au développement de cette hégémonie en créant un instrument telle l’Europe fédérale, dont on sait à l1avance qu1elle est quasiment aux ordres des États-Unis »(4).

Et d’évoquer aussitôt l’alliance nécessaire contre « L’ennemi commun », car « c1est cette hégémonie qui, substantiellement, est hostile à l’idée nationale en général, aux nations en particulier. Ainsi, les nationaux ont-ils entre eux un corpus de valeurs communes aux civilisations, qu’elles soient chrétiennes ou mêmes musulmanes. Ces valeurs vont du patriotisme au respect du passé, de l’attachement à la terre à l’amour de la famille et à toutes les valeurs qui en découlent : la solidarité, la charité, l’honneur, le dévouement, le sacrifice, etc. J’irais même plus loin en disant que cette coalition de nations est parfaitement à même d'aider à rétablir la paix dans le monde » (5).

Nous sommes probablement là au coeur de ce qui différencie le mouvement lepéniste, des formations à prétentions identitaires. Une vision du monde nationale (mais non ethniste ou raciste) acceptant comme siens tous ceux se reconnaissant dans le modèle national, quels que soient leur couleur de peau ou attaches religieuses.

Bien sûr, il convient de resituer le discours « pro-arabe » du parti lepéniste dans le contexte politique qui est le sien.

À commencer par le « vote arabe », qui, à n’en pas douter interpelle le Front national. Au point que Muriel Piat ait écrit à ce sujet, dans les colonnes de la presse frontiste :

« Mais les populations venues par exemple d’Algérie sont-elles homogènes ?

Certains peuvent et veulent s’assimiler. Notre devoir n’est-il pas de les ramener à nous; de leur expliquer notre intérêt commun ? Jean-Marie Le Pen a donné quelques signes forts de cette stratégie. Il a imposé, sur la liste de Paris aux régionales, Sid Ahmed Yayaoui. Mais il y a aussi, à l’extérieur du Front, des personnalités avec qui l’on peut dialoguer. Farid Smahi, auteur du livre Faut-il brûler les Arabes de France a fait un tabac à Toulon. Il a eu le courage de venir à la Fête du Livre. Pour pouvoir rejeter la masse des inassimilables envahisseurs, il faut le concours de tous les Français - y compris les plus nouveaux, s’ils le sont au fond du cœur » (6).

Mais, également, dans les prises de positions affichées par les cadres du FN sur les questions proches et moyen-orientales, on retrouve, de manière assez systématique, le fil de la rhétorique anti-système propre à ce parti.

Ainsi, dans une attaque en règle de la via factis US lancée par la clique Perle, Rumsfeld, Wolfowitz, Kagan and co., - faite par le député européen Bruno Gollnisch, dans l’hémicycle du Parlement européen - les dénonciations de la veulerie eurolandienne occupent une place largement équivalente aux piques strictement anti-américaines.

Revenant sur un document de synthèse sur la situation en Irak élaboré par le Conseil de l’Europe, lequel regroupe les chefs d’État et de gouvernement des États membres des Quinze, Gollnisch, y verra, d’entrée, un « Document indécent » puisque « l’Europe ne mentionne le mot Irak qu'à partir de la trente et unième des trente-six pages qui composent les conclusions de la présidence ». « La guerre est là, événement considérable, majeur, dont des membres de l'Union, la Grande-Bretagne en tête, sont directement responsables » martèle le délégué général frontiste, énumérant les mensonges dont s’est rendu coupable « l'empire américano-britannique pour justifier sa brutale agression ».

« Mensonge, quand on a prétendu qu'il s'agissait de permettre à l'ONU de désarmer l'Irak, alors qu'en fait, la guerre était programmée depuis le début».

« Mensonge, quand vous avez osé dire que le Conseil de sécurité était bloqué, parce qu'il n'avait pas voté de résolution autorisant la guerre. Il n'était pas bloqué : il avait adopté une procédure et une procédure qui fonctionnait».

« L'Irak affaibli, méthodiquement affamé depuis dix ans, contraint de désarmer contre des promesses de paix, allait s'effondrer dès les premières heures du conflit. Mensonge ! Il résiste, et souvent héroïquement. La population irakienne allait accueillir les troupes de l'Empire comme des libérateurs ? Mensonge ! Elle les accueille comme des occupants. L'Irak disposait, paraît-il, d'armes de destruction massive. Tout a été dit à ce sujet, des bobards les plus sinistres aux plus ridicules, comme ceux de Tony Blair, qui s'est déshonoré, le 5 février, en présentant un rapport justifiant l'agression, dont onze pages sur dix-neuf émanaient d'un mémoire d'étudiant datant d'une dizaine d'années. À ce jour, les seules armes de destruction massives sont les milliers de bombes et de missiles sophistiqués de l'empire anglo-saxon qui écrasent les villes irakiennes».

« Comme juriste» a poursuivi le délégué général du Front national, « je constate la cynique violation de toutes les règles de droit que les anglo-américains eux-mêmes avaient mises en place pour prévenir les guerres. Comme Européen, je déplore les haines, hélas justifiées, que les bombes de l'empire accumulent contre le monde occidental. Comme chrétien, je suis horrifié qu'une telle guerre, qui ne remplit aucune des conditions de justice, puisse se faire au nom de Dieu. J'appelle un chat un chat et Tony Blair un meurtrier mondain. Quant à George Bush, qu'il cesse d'invoquer Dieu ou seulement pour le prier : que le sang des Irakiens innocents ne retombe pas sur le peuple américain !».

Évidemment, vu par le seul prisme franco-français, les positions pro-arabes d’un Front national systématiquement tenu à l’écart de la conduite des affaires du pays, en feront sourire plus d’un. Cette position semble exagérée, en effet, il n’est pas exclu que le FN, passé les frontières hexagonales, soit plus écouté qu’on le croit.

En tout cas, et au-delà des positions adoptées récemment par la diplomatie française, force est de constater que cette France - désormais géopolitiquement plus proche des Non-alignés que du Reich états-unien - est perçue différemment par d’anciens adversaires dans le monde arabo-musulman.

Rappelons ici les propos, lors d’un discours, étonnamment pro-européens du secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallâh, qui, jaugeant le poids des capitales européenne opposées à la guerre, déclarait qu’ « Il faut réévaluer notre vision de la société européenne, après les manifestations qui ont rassemblé des millions de personnes et qui vont jouer un rôle en influençant la décision d1empêcher la guerre»(7).

Or, comment ne pas rappeler que lors de son récent périple au Liban, Jean-Marie Le Pen - pesant du coup d’un poids similaire à celui d’un Jacques Chirac, Dominique de Villepin, ou d’un Louis Michel - avait pu rencontrer des élus du Hezbollah et leur faire part des positions de la droite nationale française sur les questions du Proche-Orient.

Faut-il tant se surprendre d’un intérêt pour les prises de position du FN à l’étranger ?

Évidemment non. Concernant le reste de la planète, DEUX, critères, foin des anathèmes et des a priori idéologiques - le concept d’«extrême-droite», rappelons-le, strictement occidental, comme bien d’autres d’ailleurs, est parfaitement incompréhensible dans bon nombre de pays - sont à prendre en compte.

Premièrement, ce que les économistes appellent l’« effet de taille ». En clair, au-delà des chiches invitations dont bénéficient quelques groupuscules (style l’extrême-gauche, hier en Albanie, ou, aujourd’hui à La Havane ou à Kinshasa, pour prendre là des exemples situés en dehors de la droite nationale), en dessous de la barre des 10 %, inutile de se faire la moindre illusion, un parti français n’a que peu de chances d’intéresser la moindre chancellerie.

L’éclosion du FN au plan international est due tout autant à son programme susceptible de séduire (de Beijing à Téhéran) par son refus de l’hégémonie états-unienne, qu’à sa « taille » proprement dit, faisant de cette formation (comme de n’importe quelle autre) un interlocuteur politique capable de se faire entendre des médias ou encore (plus important d’un point de vue « non-français ») de peser sur des assemblées (régionale, nationales ou européennes).

Deuxièmement, la personnalité des dirigeants. Elle est ici primordiale. Il suffit pour s’en persuader d’inverser les rôles. Sans sombrer dans l’excès qui, en France, connaît en dehors de quelques personnalités emblématiques, les ténors de la vie politique malaisienne, iranienne ou arménienne ? Pourquoi, grand Dieu, en serait-il autrement pour la classe politique française ?

On rappellera ici que Le Pen a eu l’intelligence politique de confier les « relations internationales» de sa formation au premier vice-président du FN, Dominique Chaboche. Ceci n’a rien d’anecdotique.

Pourquoi ? Parce que, statutairement, le premier vice-président est de toujours (il suffit de relire les statuts du parti lepéniste) le deuxième personnage du mouvement. Ce qui, en clair, vu de l’étranger, offre l’avantage de démontrer l’importance accordée aux relations internationales pour une formation politique qui y affecte ostensiblement son numéro deux. Simple question. Combien de partis français (plutôt enclins à «refiler» l’étranger au premier second couteau venu) ont eu l’idée de tenir ce raisonnement ?

Qui plus est, Chaboche - outre qu’il a la stature et l’âge qui cadrent avec cette fonction, a pris sa fonction très au sérieux - est connu pour être un proche du chef, ce qui ne gâte rien pour tout État ou instance qui serait désireux d’approcher et/ou de faire passer un message à ce parti.

Quel rôle « international » peut espérer jouer un parti comme le FN ?

Là, un petit retour en arrière s’impose. À l’été 98, l’un de nos confrères rapportait : « Jean-Marie Le Pen chargé de mission diplomatique ? L’ambassadeur d’Iran (...) pourrait maintenant lui demander de s’entremettre entre son pays et le régime de Saddam Hussein. Lors de son prochain voyage à Bagdad, Le Pen passerait ainsi par Téhéran et non par la Jordanie, ainsi qu’il le fait habituellement » (8).

Dans un éditorial, j’écrivais, dans la foulée, que « Joint par notre rédaction, le président du Front national, nous a effectivement confirmé sa disposition à mettre sa bonne volonté au service de la paix au Proche et au Moyen-Orient « pour tous les pays de la région qui ne souhaitent pas accepter l’hégémonie mondialiste ». Pour M. Le Pen, comme l’Allemagne et la France après 1945, les pays de la région « l’Iran, l’Irak, mais aussi la Turquie et d’autres ont un intérêt commun à se rapprocher en sachant surmonter le souvenir de guerres communes et douloureuses » (9).

Et parmi les conclusions que je tirais de cette affaire, je soulignais combien « cette affaire confirme l’importance croissante du Front national et de Jean-Marie Le Pen sur la scène internationale. Que la classe politique française, forte à se gargariser de valeurs toutes théoriques, se regarde, enfin, dans la glace car, soit, elle a été contactée et à opté pour l’alignement le plus veule sur les positions du US Department of State, soit, elle ne l’a pas été et - en clair - n’est pas tenu pour un interlocuteur sérieux et digne de confiance par le 1er producteur de gaz du monde et l’un des premiers producteurs de brut. Quelle leçon ! »(10).

C’est peu de dire que le nouveau millénaire n’a pas changé grand-chose à cette donne. Si la France a retrouvé récemment un regain de popularité en Orient, suite aux tentatives élyséennes d’imposer un veto à la via factis yankee contre l’Irak, les coulisses de l’UMP (omnipotente dans les assemblées) bruissent déjà des complots qu’y ourdissent les hommes liges de Washington et de Tel-Aviv.

À terme (à droite en tout cas), le FN pourrait retrouver assez vite son statut privilégié d’interlocuteur des ennemis désignés de l’Amérique...
Jacques Bordes http://www.voxnr.com
Notes
1 - Agir, pour Faire Front.
2- www.geostrategie.com.
3- Arabies (n°98).
4- Agir, pour Faire Front.
5- Idem.
6- National Hebdo (28 nov.-4 déc. 96).
7- L’Orient-Le Jour (17 fév 03).
8- La Lettre de Magazine Hebdo (10 juillet 1998).
9- World Report/InterNat (15 juillet 1998).
10- Idem.

Les commentaires sont fermés.