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Le leurre droite-gauche

Le linguiste italien Raffaele Simone vient de publier un essai « Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ? » dans lequel il analyse la faillite de la "gauche" en Europe et les raisons qui font que l'Europe « vire à droite ».
La thèse de Simone est que la gauche n'est plus porteuse d'un grand projet « à la hauteur de son temps », alors que la droite l'emporte parce qu'elle sait épouser l'esprit de notre époque marquée par l'individualisme, le consumérisme, la médiatisation et l'agitation (le "bougisme") et sait être pragmatique, sans idéologie précise.
LE PARADIGME DES «LUMIÈRES»
Nous sommes là en présence d'un livre qui participe à l'édification d'un énorme leurre dans la mesure où il continue de faire accroire qu'il existe bien une droite et une gauche alors qu'en réalité, il s'agit essentiellement de variations d'intensités au sein d'un même spectre à savoir celui issu du courant de pensée des «Lumières» qui constitue le paradigme du monde dit "moderne".
Celui-ci se fonde sur la thèse anthropocentriste selon laquelle l'homme, doué de sa seule raison, est capable d'organiser et de transformer harmonieusement le monde selon sa volonté. Il en résulte que cette conception s'oppose à la notion d'ordre universel au sein duquel l'homme n'est qu'un élément et aux lois duquel il doit obéir pour vivre harmonieusement. La civilisation européenne, comme toutes les civilisations d'ailleurs, s'est construite selon cette notion d'ordre universel et plus particulièrement selon les principes de l'helléno-christianisme qui constituent la fibre de sa pensée et de son âme. Toute société repose sur une hiérarchie de corps intermédiaires, sur les différences d'aptitudes et de qualité des personnes que, cependant, le christianisme a, en Europe, tempérée et sublimée en établissant que chaque homme, en tant que fils de Dieu, avait une égale dignité.
Or, depuis 1789, à savoir le déclenchement du séisme révolutionnaire en France, les idées dites « des Lumières » se sont progressivement imposées à toute l'Europe, en sapant et en détruisant les fondements sur lesquels la société européenne s'était construite. Les différences naturelles entre les personnes ont été niées, les corps intermédiaires supprimés pour faire place à une société faite d'individus, dont l'image la plus saisissante est celle de ces écrans faits de milliers de pixels indifférenciés et anonymes. Tout ordre transcendant, supérieur à l'homme, a été nié, laissant celui-ci établir des règles selon son bon vouloir et dont la validité dure aussi longtemps qu'il n'a pas décidé d'en adopter de nouvelles.
En fait, en moins de deux siècles, la civilisation européenne s'est trouvée amputée de sa composante spirituelle pour se réduire à sa seule composante matérielle, ignorant les règles fondamentales et immuables sans lesquelles aucun homme ne peut se construire et aucune civilisation ne peut survivre durablement. Comme l'écrivait Lionel Groulx (Directives, 1937, Montréal), ce prêtre et nationaliste canadien français, « Tout ordre économique et toute civilisation qui tentent de se constituer contre l'homme sont voués à la destruction violente ». Des phénomènes comme le développement de l'immoralité, de l'immigration extra-européenne inassimilable sont la conséquence de cet état de fait et sont les prodromes de graves crises futures.
La distinction « droite-gauche » date de la Révolution française et a pour origine le positionnement des factions modérées à droite et des factions révolutionnaires à gauche du président de l'Assemblée constituante dès 1789. Il en résulte que ce classement est lié à la société révolutionnaire : raisonner, se positionner selon cet ordre revient à s'insérer peu ou prou dans les repères d'un monde qui s'est développé sur la destruction de celui issu du fond des âges. Ce monde "moderne" s'est constitué en rupture avec la tradition millénaire sur laquelle se fonde notre civilisation.
La tradition est d'ailleurs cette grande réalité qu'il convient de dégager de notions confuses. Pour quelques-uns, tradition est synonyme de menues coutumes : familiales, paroissiales, nationales... Traditions si l'on veut, mais fleurs ou fruits d'une tradition plus vraie, plus profonde, où chacun aperçoit l'esprit chrétien d'une famille, l'autorité patriarcale, elles-mêmes rattachées à la grande tradition chrétienne de notre race. Pour d'autres - et c'est le grand nombre - qui dit tradition, dit routine, à tout le moins quelque chose de statique, de figé, une sorte de résidu archéologique cristallisé, il y a des siècles, au fond de l'âme d'une nation.
La simple étymologie proteste déjà contre pareilles définitions. Tradition veut dire livraison, transmission. Et puisqu'il s'agit ici de la transmission d'un legs moral, et d'une transmission par un organisme vivant, en évolution constante, forcément la réalité s'impose d'un legs moral qu'on peut supposer identique à soi-même en son fond, mais qui, de génération en génération, ne laisse pas de se modifier, de s'enrichir d'éléments nouveaux. À parler net, qui dit tradition, dit continuité, avance constante, enrichissement perpétuel ; et, par cela même, l'on ne saurait concevoir de tradition que la tradition vivante. Au sens le plus général du mot, qu'est-ce autre chose que les caractères, les lignes maîtresses d'une histoire ? On l'a dit justement : ce sont les «constantes» d'un peuple, ses lignes de force. Et le mot évoque la pensée intérieure, le plan architectural selon lequel un peuple bâtit son histoire alors que, fidèle aux impulsions spécifiques de son âme, il vit, crée, évolue mais sans jamais briser ses lignes de fond, restant consubstantiel à son passé, à ses ancêtres, au génie de sa race. Qui ne voit aussi que définir le rôle de la tradition, c'est définir, du même coup, le rôle de l'histoire ? Les "constantes", les lignes de force, qui les découvre dans l'amas et le déroulement emmêlés des faits ? Qui peut les dégager, dans le paysage du passé, aussi nettement que, sur une carte routière, les voies maîtresses ?
Lorsque l'on tourne le dos au principe de sa vie, on ne peut se sauver que par retour à son principe vital. C'est ce phénomène de rejet de ce que nous sommes, nous autres débiteurs insolvables de nos ancêtres, et des conséquences qui en résultent, dont nous vivons, douloureusement, les manifestations.
LA DÉMOCRATIE, REGIME DE GAUCHE
Dans le subconscient commun, la droite est assimilée à ce courant générique de pensée qui se réfère à la tradition, à l'enracinement dans ce qui constitue la fibre de notre être et de notre civilisation. La gauche est considérée comme regroupant tout ce qui fait table rase du passé et dont l'adage emblématique en France est qu'elle est née en 1789, telle une sorte de génération spontanée, faisant fi des « quarante rois qui ont fait la France ».
Au fil des générations, pourtant, ce schéma est non seulement des plus trompeurs mais il est devenu une des croyances les plus fausses qui soient.
En effet, cette distinction droite-gauche s'est atténuée, au point de n'être plus qu'une distinction en trompe-l'œil, dans la mesure où la droite s'est gauchisée. Autrement dit, ce que l'on désigne comme étant « la droite » n'est plus rien d'autre qu'un leurre grossier dans la mesure où, au fil des lustres et des ans, elle n'a cessé, par démagogie, par nécessité électoraliste, par intérêt politique immédiat et initialement par manque de conviction, de faire sienne les idées de gauche.
Ce glissement résulte de ce que le régime dans lequel nous vivons depuis 1789 et qui a gangrené toute l'Europe est un régime de gauche dans la mesure où c'est son système de pensée, celui fondé sur le rejet de l'idée d'un ordre universel aux règles duquel l'homme doit se conformer, qui s'est imposé à elle. Il faut avoir en permanence présent à l'esprit que nous vivons dans un ordre politique, celui de la "démocratie", qui s'est substitué à l'ordre naturel des civilisations et, par suite en contradiction avec la civilisation helléno-chrétienne dont nous sommes les héritiers et les tributaires.
Par conséquent, pour être admis dans ce système, il faut inévitablement, comme dans tout système, en accepter les présupposés philosophiques et métaphysiques ou, du moins, s'en accommoder et ne pas les rejeter. Sinon c'est le système qui vous rejette et vous vous retrouvez dans la situation d'opposant. Certes, il est possible de jouer à l'intérieur du système dans la mesure où vous êtes contraints de le subir aussi longtemps que vous ne l'avez pas renversé, mais vous aurez le système contre vous et il fera tout pour vous marginaliser, voire vous éliminer, tel un corps étranger.
LE PIÈGE DE L'ACCOMMODEMENT
Le piège, en quelque sorte, dans lequel sont tombés les contempteurs de l'ordre démocratique est en effet celui-ci : bien que le rejetant viscéralement à l'origine, ils n'ont jamais su, ou pu le mettre à bas car, en dehors de ceux qui ont vu dans la tradition, non pas un système vivant mais un système figé qu'il fallait conserver coûte que coûte, oubliant les effets de la flèche du temps, ils ont toujours pensé, ou bien qu'il était amendable, ou bien qu'il n'était pas entièrement mauvais.
L'un des événements les plus tragiques fut la politique de ralliement des catholiques, sous l'impulsion de Léon XIII, à une République française qui, par nature, était anti-catholique et ne cessait de le montrer. L'idée de Léon XIII était que les catholiques, constituant la majorité de la population française, devaient logiquement s'emparer du pouvoir et transformer la république maçonnique en une république chrétienne. Funeste erreur car accepter un régime jusqu'alors vilipendé revenait à le conforter et à lui donner les moyens de se renforcer et de combattre ceux qui, au lieu de continuer à le rejeter, s'en accommodaient. Nous savons la suite : ce furent le ministère Waldeck Rousseau et sa loi sur les Congrégations mise en œuvre par le « Petit Père Combes » qui déboucha sur la séparation de l'Église et de l'État sous l'impulsion des frères du Grand Orient.
Sous la cinquième de leurs républiques, nous avons pu observer la poursuite de ce processus. Les exemples ne manquent pas. Citons celui de la pilule anticonceptionnelle, promue par les égéries de gauche du style Simone de Beauvoir, rejetée dans un premier temps avec horreur par le pouvoir gaulliste avant qu'il en légalise l'usage avec la loi Neuwirth en 1967. Poursuivons avec l'avortement, dont la dépénalisation fut soutenue par les mêmes gauchistes, au grand scandale des partis de droite alors au pouvoir avec Georges Pompidou, avant qu'en 1974, un autre gouvernement de droite, celui de Giscard d'Estaing-Chirac, ne le dépénalise et, de fait, le légalise sous le nom de « loi Veil », du nom de celle qui l'a rédigée.
Nous pouvons continuer avec la politique de l'antiracisme et des lois anti-françaises dans la mesure où elles accordent aux immigrés, même illégaux, un traitement de faveur. Adoptées dans les années 1980 à l'initiative des gouvernements socialistes sous la présidence Mitterrand, au grand dam des partis de droite d'alors, RPR et UDF, elles ne furent jamais remises en cause par ces derniers lorsqu'ils revinrent aux affaires et, plus encore, furent aggravées, au point que sous l'actuelle présidence, le pouvoir a adopté comme un dogme la notion de « discrimination positive », autrement dit le principe consistant à favoriser les étrangers d'origine au détriment des naturels français. Nous pourrions continuer cette nomenclature avec d'autres exemples dont l'un des plus aberrants est la question du "mariage" des homosexuels...
Un processus analogue peut être observé et décrit dans les autres États d'Europe. Lâcheté ? Manque de convictions ? Intérêts personnels à court terme ? Un mélange des trois ? Peu importe : les hommes étant jugés à la somme de leurs actes, nous n'avons pas à sonder l'âme des membres des partis de droite : constater leur glissement continuel vers les idées de gauche, même avec quelque retard, nous suffit pour conclure que, sous des emballages différents, nous avons affaire à des gens qui ne se différencient en rien de fondamental avec les gens de gauche.
Dès lors, il n'est pas étonnant que celle-ci soit, comme l'écrit Raffaele Simone, en perte de vitesse dans la mesure où son dessein historique se trouve réalisé puisqu'elle a réussi à faire adopter ses idées par ses adversaires et faire quasiment table rase du passé.
Le phénomène est d'autant plus compréhensible que cette gauche, notamment la gauche marxiste, depuis l'effondrement du régime soviétique, s'est de fait, pour une grande part, ralliée au système d'économie de marché et plus encore de domination de l'économie financière qui s'affranchit de toute règle autre que celle qui lui convient à un moment donné.
En fait, la différence n'est que dans la présentation, dans la manière de savoir se vendre sur le marché électoral, phénomène bien décrit par Raffaele Simone.
RÉSISTER À  LA SIRENE DEMOCRATIQUE
Certes, il n'est pas facile, durant des décennies, d'avoir assez de force de conviction, assez de force de caractère pour refuser un système malsain, destructeur de notre civilisation, pour affirmer sans faiblir les principes éternels, conformes à l'ordre naturel et tels que nous l'enseignent - ou devraient nous l'enseigner - l'expérience et l'histoire, sans lesquels une civilisation ne peut que s'affaiblir sinon mourir ; cela sans pour autant s'enfermer dans un conservatisme obtus comme ce genre de situation tend à le susciter chez certains.
L'évolution actuelle du Front National, telle qu'elle se dessine avec Marine Le Pen, montre que ce mouvement politique, qui a toujours accepté de fait les présupposés du système démocratique, est comme attiré par les sirènes régimistes et par suite est fortement tenté d'amodier son discours pour pouvoir être admis par la Ve République qui jusqu'alors le tenait à l'écart, en l'utilisant comme force de stérilisation des régnicoles qui rejettent le déclin et la décadence d'une France dirigée par des sicaires au service d'une super classe mondiale apatride. Il suivrait en cela l'évolution d'un Gianfranco Fini qui a depuis longtemps vendu son âme au système pour y faire carrière.
Il a été montré que la grande faiblesse de Louis XVI fut d'avoir de la sympathie pour les idées des révolutionnaires, lesquelles étaient opposées aux principes qu'il incarnait. Sous la Restauration, les « ultras royalistes » s'accommodèrent déjà du système démocratique, adoptant ainsi une idée des révolutionnaires. Certes, ils l'avaient amodié en le limitant aux classes aisées, mais, ce faisant, ils avaient oublié que l'on ne peut accepter un principe sans en comprendre et en admettre toute la logique qui est ici celle du suffrage universel fondé sur un égalitarisme théorique. D'ailleurs, diverses études historiques ont montré que, si la Restauration avait maintenu le suffrage universel plutôt que d'instaurer le suffrage censitaire, mesure bancale, Charles X aurait conservé son trône car l'immense majorité de la population lui était favorable. En fait, il ne faut jamais oublier que si un système est par nature vicié, il pervertit inévitablement ce qu'il peut contenir d'apparemment valable.
Au fil du XIXe siècle puis du XXe siècle, l'histoire politique des États d'Europe gagnés par les idées démocratiques, la Grande-Bretagne et la France donnant le ton, peut se résumer en ce que les partis de droite ont toujours adopté, avec plus ou moins de retard, les positions que défendaient les partis de gauche à un moment donné. Autrement dit, les partis de droite ont un simple rôle de frein dans la mesure où ils s'opposent dans un premier temps aux idées proposées par les partis de gauche et retardent ainsi leur mise en application de quelques mois ou de quelques années ; après quoi, lorsque d'aventure ils accèdent au pouvoir à la suite d'une échéance électorale, ils ne remettent pas en cause ce qu'ils rejetaient auparavant, à l'exception parfois de quelques mesures secondaires, électoralisme oblige.
LA FAUTE DU RALLIEMENT
Les Français et les Européens - qui, conscients de la nocivité du système démocratique, conscients que l'avenir de notre civilisation, envisageable uniquement par l'insertion de l'avenir dans la filiation de la tradition, est incompatible avec quelque compromission que ce soit -, doivent savoir et faire connaître, argumentaire à l'appui, que l'opposition droite-gauche n'est qu'un leurre, une sorte de jeu de rôles entre membres d'une même classe politique qui ne se distinguent que par des sensibilités, des états d'âme personnels mais qui se rejoignent pour défendre les principes fondateurs du système. Nombre de gens le ressentent confusément mais ne vont pas au-delà. Il s'agit de leur rendre les idées claires. Il s'agit de leur montrer que le nationalisme n'est pas cette idéologie aventuriste et belliqueuse que les media dressent comme un épouvantail mais la doctrine constituant le fondement du régime alternatif au funeste système démocratique qui nous ronge et nous détruit. Le nationalisme est la doctrine qui désigne les principes salvateurs de la politique naturelle, conforme à l'ordre universel et au génie de notre civilisation, qu'il convient de mettre en œuvre par rapport au bien commun de chaque nation considérée dans la totalité de ses composantes, d' ordre spirituel et matériel.
En ce moment, comme par le passé, il s'est toujours trouvé des hommes qui ont refusé toute compromission avec le système. Généralement, ils n'ont jamais eu accès au pouvoir, ont été marginalisés, dénigrés, calomniés ; s'ils y ont eu accès, ce fut de manière éphémère, l'aléatoire de l'histoire ne leur permettant pas de s'y maintenir. Pourtant, au fil des générations, a toujours existé cette « minorité inaccessible au découragement », comme la désignait José Antonio Primo de Rivera, qui a su transmettre intact, vivant, car adapté aux conditions de chaque époque, le flambeau de notre tradition civilisationnelle, sachant que, si aujourd'hui elle ne connaissait pas la victoire, sa ténacité d'airain était la condition de la victoire de demain. Cette minorité d'élite sait que, tôt ou tard, le cours millénaire de l'histoire corrige les déviances. Face à un système contre nature, perclus de contradictions, elle sait que des occasions salvatrices se présenteront et qu'il lui revient de se préparer en permanence et plus que jamais pour alors les saisir.
André GANDILLON. RIVAROL 8 OCTOBRE 2010

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