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L'indispensable Lien

Numéro 49. Nous oublierons la table des matières pour l'instant et nous entrerons dans l'intimité du roi Louis XVIII par le truchement du comte de Corbière dont les Souvenirs de la Restauration sont analysés par Gérard de Villèle depuis deux numéros déjà. Dans cette troisième partie, on découvre le roi intelligent qui manqua à la monarchie en rupture de ban, un prince instruit, très au fait du peuple réel, sachant gérer une équipe ministérielle en débrayant quand nécessaire et parfaitement rompu au jeu d'une monarchie parlementaire comme si la dynastie de Bourbon n'avait fait que ça depuis longtemps, alors qu'il l'avait lui-même créée. La Charte octroyée en 1814 contre le projet constitutionnel du Sénat était évolutive pour gouverner au centre-droit, au grand dam du parti dévot d'aujourd'hui agrippé à la théocratie déléguée comme la moule au bouchot. Dans le Manuscrit inédit de Louis XVIII, cité par Corbière, le roi laisse apparaître un monarchiste convaincu que seules les circonstances tragiques de la Révolution et de l'Empire détourneront de la royauté de droit divin. S'il avait fait des représentations auprès de Miromesnil, garde des Sceaux, sur le danger de rappeler les parlements, il avait su quand vint son tour établir le "gouvernement représentatif" dont il se méfiait, comptant sans doute sur sa finesse de jugement, son autorité et un petit peu sur sa rouerie que Corbière nomme "piperie". Ce régime exigeait de minutieux réglages entre le président du Conseil et la Chambre. Il y parvint, démontrant sa viabilité.
Ayant eu le pouvoir à l'époque des Etats-Généraux, il l'aurait appliqué à seulement deux réformes qui en auraient entraîné bien d'autres : l'égalité devant l'impôt et la révocation de l'ordonnance malheureuse de 1781 qui exigeait des quartiers de noblesse pour les brevets d'officiers de la Maison du Roi. Grâce à la Gallica nous avons le cahier de doléances de Louis XVIII lui-même, qui récrit celui de la Noblesse du Poitou.
En voici le préambule (page 306 de l'édition de 1839):

Aucune époque de la monarchie française n'a offert une circonstance aussi généralement importante que celle où nous nous trouvons. Les états-généraux sont convoqués, et nous touchons à leur ouverture. Travailler à rendre à l'antique et vénérable constitution de la France tout son éclat et toute sa pureté, présenter au roi les voeux de ses sujets pour la réforme des abus en tout genre et l'amélioration de toutes les parties de l'administration, combler un précipice effrayant que la déprédation dans les finances a creusé, et chercher les moyens les plus efficaces pour l'empêcher de se rouvrir, tels sont les grands objets qui doivent occuper cette assemblée. La noblesse du Poitou, pénétrée de respect et d'amour pour la personne sacrée du roi, jalouse de concourir à ses vues salutaires, et voulant surtout prouver à sa majesté sa soumission, n'a point balancé, etc... et Louis XVIII de critiquer le peu de respect de la noblesse poitevine à l'endroit du monarque, refaisant point par point les articles du cahier. Après avoir acté le pouvoir du peuple en ses états de consentir l'impôt, le roi fait la synthèse des premiers quinze ans de règne de son frère aîné qu'il place en tête de sa critique de la désinvolture des rédacteurs :

SM Louis XVIII
On ne remercie pas Louis XVI de n'avoir pas eu, depuis quinze ans qu'il est sur le trône, une pensée qui n'eût le bonheur de ses sujets pour objet; d'avoir toujours consulté l'opinion publique dans le choix de ses ministres; d'avoir aboli cette question préparatoire qui, ne faisant qu'ajouter aux tourmens des criminels une rigueur inutile, avait conduit tant d'innocens aux supplices; d'avoir achevé de détruire la servitude dans ses domaines; d'avoir constamment travaillé par son exemple à épurer les mœurs; d'avoir préféré, par le rétablissement des parlemens, la stricte justice au soutien de son autorité; d'avoir presque vidé les prisons d'état, qui, sous ses prédécesseurs, regorgeaient d'infortunés moins coupables qu'imprudens; d'avoir fait respecter sur toutes les mers le pavillon français, qui depuis si longtemps était avili; d'être économe pour lui-même, juste, humain. Voilà les traits sous lesquels il fallait le peindre ; et qui sait si une adresse de ce genre, bien faite et rappelée à propos, n'aurait pas empêché ce forfait qui coûtera des larmes de sang, non seulement à nous, ses malheureux témoins, mais à notre postérité la plus reculée? Voilà du moins ce qu'il fallait dire en tombant à ses genoux, à ce roi si bon, si aimant, si digne d'être aimé et qui se plaisait tant à l'être.

D'une plume alerte avec des mots précis, il continue la critique du cahier dans de longs développements et nous nous arrêterons à l'article 6 réclamant des Etats-généraux périodiques. La critique pointue dévoile son aversion pour les parlements et décrit le caractère français qui s'en accommode si mal. Le texte du Poitou est celui-ci (p.317 et suite):

Art. 6.- Nous chargeons nos députés de faire prescrire le retour périodique des états-généraux, ainsi que l'époque, forme de convocation, composition et tenue, observant, en général qu'il est avantageux qu'ils ne soient pas trop éloignés, et qu'il semble convenir aux circonstances que la prochaine époque soit très rapprochée.

A quoi le roi répond dans un style très moderne à une situation qui ressemble à la nôtre (nous envoyons in extenso car ce texte est très riche):

Cet article est si important qu'il exige d'être traité avec plus de méthode qu'un autre. J'y distinguerai le fond de la forme; et d'abord, sur le premier point, je regrette qu'on n'ait pas imprimé avec le procès-verbal des séances les opinions qui ont déterminé l'assemblée en faveur du retour périodique des états-généraux; cette connaissance m'aurait fort aidé dans la discussion que j'entreprends. Je tâcherai, néanmoins, de m'en passer.
Les écrits qui avaient paru depuis plus de quarante ans avaient inspiré à presque tout le monde une sorte de vénération pour la constitution d'Angleterre; et la prospérité de ce pays, comparée avec l'état où se trouvait la France, n'avait pu qu'augmenter ce sentiment. Là, disait-on , se trouve la véritable liberté, celle qui est unie avec l'ordre; là, le monarque est vraiment le père de ses sujets, puisqu'il peut tout pour faire le bien et rien pour faire le mal; et c'est à son parlement, à cette admirable combinaison de pouvoirs, qui se balancent sans se croiser, que la Grande-Bretagne est redevable de sa félicité. Il faut donc tâcher de nous rapprocher le plus possible de son heureuse constitution. D'ailleurs, tant que le retour des états-généraux n'aura pas lieu à des époques fixes et invariables, l'autorité qui les craint saura l'éluder, et les abus qui vont être réformés renaîtront; les droits de la nation seront de nouveau méconnus et le peuple foulé; enfin les plaies de l'état se r'ouvriront d'une manière plus dangereuse et plus difficile à guérir. Le seul remède à ses maux est le retour périodique des états-généraux; les ministres, les favoris, les maîtresses, ayant toujours sous les yeux une époque redoutable pour eux, seront plus circonspects; les déprédations seront plus rares, la liberté individuelle plus respectée. Enfin, s'il y a du mal de fait dans l'intervalle d'une tenue d'états-généraux à l'autre, le remède en sera plus facile.
le Poitou en ses châteaux
Voilà sans doute les raisons qui déterminèrent les honnêtes gens à adopter cet article : je ne crois pas les avoir affaiblies. Mais sans vouloir les réfuter, je demanderai si l'on avait bien réfléchi aux dangers de cette mesure. Il existe, on ne peut le nier, des caractères de nation comme des caractères d'individus, et l'expérience de quinze siècles a démontré que, de tous les peuples, le français est le moins propre aux assemblées politiques. J'en appelle aux produits de tous les états-généraux; la raison en est triste à dire, mais elle n'en est pas moins réelle, c'est que le Français est naturellement féroce, toutes les émeutes populaires en font foi. Ce vice est tempéré en lui par sa légèreté naturelle; mais qu'on le force à raisonner, à réfléchir beaucoup, le remède disparaîtra, le mal seul restera. Vouloir des assemblées périodiques, c'est donc vouloir des troubles qui le soient aussi. Le premier effet sera sans doute de passer de la périodicité à la permanence, et alors il s'élèvera une lutte entre le pouvoir du roi et celui de l'assemblée, qui exposera l'état à des secousses continuelles (voilà en moins de quatre ans une révolution faite par le directoire et défaite par les conseils). La source de cette lutte est dans le coeur humain ; celui qui vient d'être revêtu d'un nouveau pouvoir désire toujours de l'augmenter; celui qui a vu diminuer le sien désire le recouvrer, et l'effet en doit être, ou la république ou le despotisme. Mais, dira-t-on, l'Angleterre se trouve bien de son parlement, pourquoi la France ne s'en trouverait-elle pas bien aussi ? Je répondrai d'abord que le caractère sérieux et réfléchi des Anglais leur ôte un danger que l'impétuosité des Français leur ferait courir; ensuite j'observerai que l'Angleterre est une île, que sa défense consiste dans sa marine, et que par conséquent elle peut se passer d'une armée de terre, au lieu que la France, qui a quatre cents lieues de frontières de Dunkerque à Antibes et plus de cent de Bayonne à Perpignan, ne peut s'en passer. Or, il est impossible que l'armée soit neutre dans la lutte dont je viens de parler; si elle se divise, le sang coulera par torrens; si elle passe tout entière d'un côté, il y aura une révolution. L'histoire d'Angleterre m'en fournit l'exemple. L'armée avait fondé la tyrannie de Gromwell, elle rétablit Charles II !
Qu'on observe d'ailleurs que, depuis l'existence de la grande Charte jusqu'à la révolution, il a coulé plus de sang anglais dans les guerres civiles ou sur les échafauds, que dans les combats contre la France, l'Espagne et la Hollande, et que depuis cette dernière époque, on n'a pu faire marcher la constitution qu'en la violant sans cesse. Une inquiétude perpétuelle, des troubles, du sang répandu, un bouleversement général enfin; voilà quels seraient pour la France les fruits du retour périodique des états-généraux. Ces dangers ne doivent-ils pas faire renoncer aux avantages qu'on en peut retirer? Est-ce donc la peine d'innover? Oui, je le répète, quoi qu'en dise M. le chevalier de La Coudraye, ce retour périodique eût été une innovation; car le roi de France a le droit, par la constitution, de convoquer ou de ne pas convoquer, de prolonger ou de dissoudre à son gré l'assemblée des états-généraux; et ce droit si important est le plus beau fleuron de ma couronne; c'est lui qui fait que je suis le souverain de mes sujets, tandis que le roi d'Angleterre, qui peut à la vérité dissoudre son parlement , mais qui est obligé d'en convoquer sur-le-champ un autre, n'est que membre du souverain. J'aurai sujet d'en revenir sur ce point, lorsque j'en serai à l'article 13.
Mais celui-ci [ndlr: le 6è] va bien plus loin encore que le retour périodique, puisqu'il enjoint aux députés de faire prescrire l'époque et forme de convocation, composition et tenue. L'époque rentre dans ce que je viens de dire, ainsi je n'en parlerai pas; je ne m'étendrai pas non plus sur l'observation qui termine l'article; je ferai seulement observer à mon tour que c'est un acheminement bien marqué de la périodicité à la permanence. La forme de convocation est bien connue; le roi adresse des lettres aux grands-baillifs ou grands-sénéchaux. Ceux-ci convoquent les trois ordres de leur bailliage ou sénéchaussée, et, dans cette assemblée, chacun des trois ordres, ou tous les trois ensemble, rédigent leurs cahiers (d'autant plus librement que, suivant la véritable forme, ces cahiers doivent demeurer secrets), et nomment leurs députés. Cette forme est bonne et il n'y a que la dangereuse manie des nouveautés qui puisse en désirer une autre. Quant à la composition des états-généraux, ce sont les députés librement élus des trois ordres et munis par eux de pouvoirs suffisans pour accorder ou refuser, consentir ou dissentir, qui forment l'assemblée. Faire prescrire quelque chose sur un point si bien prescrit, c'est encore vouloir innover. On dira peut-être que ces mots sont là pour obvier à l'avenir, à la double représentation du tiers-état, mais je ne le crois pas; outre que ce serait un pléonasme de parler en ce cas, et de la forme de la représentation, et de la composition, ce point est traité fort au long dans l'article 8. Enfin, si le mot tenue signifie la police intérieure de l'assemblée, c'est une minutie, et le plus sage eût été de laisser ce soin à chaque assemblée; mais s'il signifie la durée de la session, c'est un nouvel attentat à l'autorité royale.
Voilà pour le fond ; j'ajouterai, relativement à la forme, que l'expression, faire prescrire, me semble tout-à-fait irrespectueuse. De trois choses l'une : ou le roi est le souverain, ou il l'est conjointement avec les états-généraux, ou enfin ce sont ces derniers qui le sont. Dans le premier cas, le retour périodique des états-généraux eût été une pure concession du roi, et il fallait l'obtenir; dans le second, le consentement du roi était nécessaire, c'était une affaire à traiter à l'amiable, et il fallait la faire régler. Dans le troisième, l'expression impérative, faire prescrire, pouvait être employée.
Qu'on ne dise pas que je m'attache à des mots; les mots sont faits pour rendre les idées. Je n'y mettrais aucune importance dans une discussion privée; je ne les relèverais même pas dans une discussion publique, parce que l'orateur, emporté par la chaleur du discours, peut dire un mot pour l'autre; je dirai même plus, si je retrouvais ces mêmes cahiers, imprimés en 1789, j'y ferais peu d'attention. Mais quand je les vois reproduits au bout de dix ans, et présentés aux Français comme point de ralliement, et aux étrangers comme flambeau pour les éclairer sur nos malheurs, je scrute toutes les expressions, parce qu'il n'en est aucune qui ne soit importante; parce qu'un étranger qui ne sait que médiocrement notre langue s'attache au sens propre et ne soupçonne même pas le figuré; parce que la plupart des Français en agissent de même, et qu'ainsi les uns et les autres peuvent par des mots être entraînés, à l'égard de notre antique constitution, dans des erreurs d'autant plus dangereuses qu'ils accorderaient plus de confiance à l'ouvrage qui les y entraînerait.

Voila ! Certains de nos jeunes lecteurs découvriront dans cet extrait Louis XVIII que l'histoire officielle réduisit à son obésité et à la berline de Gand. Il eut fallu à son successeur plus de politique et moins de bel allant pour continuer l'œuvre d'intelligence. La fonction exige beaucoup plus qu'autrefois dans nos temps raisonneurs. Les mémoires de Corbière font en passant un sort au tempérament d'intriguant du duc de Chartres s'ouvrant à quiconque de ses supputations et calculs personnels pour un avenir meilleur. Et le ministre de l'intérieur, lucide, de commenter : Il n'y a pas loin de pareilles espérances à des manoeuvres pour les réaliser. Orléans, l'ennemi intérieur de toujours (?!).

L'autre morceau de bravoure du lien légitimiste n°49 est la seconde partie du Jeanne d'Arc d'Yves-marie Adeline. C'est un texte puissant qui s'interroge et répond quant à la double mission de la Pucelle, sacrer le roi à Reims puis s'offrir en holocauste. Il est idiot de résumer la progression de l'auteur dans son raisonnement, ses intuitions, et avec la permission du Lien, je vous passe le cœur de sa conclusion :

Jeanne est à l’entrée des Temps modernes ! Elle s’y enflamme comme cette colonne de feu¹ de l’Écriture, qui brûle devant le passage de la mer Rouge. Elle est la lumière à l’entrée de la nuit, pour qu’au plus profond de nos tribulations, nous nous rappelions qu’elle était là, à l’entrée ; qu’elle avait vécu une histoire sans exemple. Elle semble nous dire : « Ne perdez jamais l’espérance, ne vous laissez jamais troubler, pas même par la crise de la foi qui ébranle aujourd’hui notre Sainte Mère l’Église ! Souvenez-vous de moi, je n’étais rien, qu’une pauvre bergère analphabète. C’est pour cela que le Ciel m’avait choisie, pour montrer Sa puissance ; souvenez-vous par moi de la puissance infinie du Ciel ! ». Elle est là dans son épopée miraculeuse, et sa place apparemment insolite dans le déroulement de notre Histoire, n’a pas d’autre sens que celui de nous faire comprendre qu’à ce miracle immense, à l’entrée des Temps modernes, répondra un miracle de même ampleur… à la sortie. Quelque chose, ou quelqu’un, je ne sais, mais un évènement aussi extraordinaire qui nous  attend. Et c’était là le secret de Jeanne : elle ne s’adressait pas à d’autres siècles, mais seulement à notre époque. Autrefois, on pouvait penser que Jeanne restait incompréhensible. Mais aujourd’hui ? tandis que les ténèbres s’épaississent, et s’épaissiront encore ? Tandis que, dans quelque temps, la solitude et le désespoir seront nos derniers sentiments ? [...] Jeanne est cette colonne de feu dont la voix traverse les siècles, pour hanter notre mémoire de son épopée encore unique ; mais dont la lumière nous suit, nous accompagne dans l’espérance, jusqu’à une aube qui, un jour, se lèvera.

Acceptons-en l'augure.

Le numéro 49 du Lien légitimiste vous offre les article suivants (20 pages):
  • Toujours la réalité... l'édito de Gérard de Villèle sur l'implication du prince Louis dans le débat social
  • La réalité contre la théorie (la Restauration par Corbière et GDV)
  • Le journal en bleu de Luc Boisnard, un vieux réac comme on les aime
  • Anatole France à La Béchellerie (1914-1924) par Marcel Le Goff et son aversion pour la République
  • Sur Jeanne... (Yves-Marie Adeline)
  • De la dénaturation du mariage à l'ultime transgression (Gérard de Villèle)
  • Sainte colère... de Nicolas Ferrial sur la propagande du gender
  • D'une réunion de la PSB lyonnaise au veto de la Reine en passant par le putsch d'Alger...

LE LIEN LEGITIMISTE
Petit-Prix
37240 La Chapelle Blanche Saint Martin

Abonnement à six numéros papier à 24€, électroniques à 10€ (dix euros!).

Note (1): nos lecteurs du Maghreb feront l'analogie avec le Lotus ardent, le Sidrat al-Muntahā à l'entrée du 7ème Ciel, sauf que YMA parle ici d'un long purgatoire.

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