Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vaincre à Olympie

La très belle exposition « L’Europe au temps d’Ulysse » vient de démontrer qu’il existait une identité civilisatrice européenne dès l’âge du bronze. Notre civilisation atteint son apogée au Ve siècle avant J.-C. dans son foyer le plus brillant : la Grèce.
Si ce monde harmonieux meurt dès les périodes hellénistique et romaine, puis définitivement avec l’apparition du christianisme venu d’Orient, nous assistons aujourd’hui à la fin de cette mise à mort avec la décomposition de l’unité ethnique de notre continent.
Notre dernier carré hoplitique, entre deux batailles, se doit de revenir sur les pas de nos ancêtres, dans les lieux habités par cet esprit de dépassement de soi et de perfection qui reste notre éternel horizon.
C’est sur les rives de l’Alphée, sous la garde perpétuelle du mont Kronion, que nos pas nous ont guidés. Voilà enfin le terme de notre voyage : le bois de l’Altis, le sanctuaire d’Olympie, le berceau de cet agôn grec tant admiré !
Hélas, aujourd’hui, il nous faut imaginer les hérauts et leurs trompettes, les hellanocides vêtus de pourpre, les prêtres qui vont allumer le feu sur l’autel de Zeus où les athlètes, nus et frottés d’huile, accompagnés de leurs entraîneurs, vont prêter serment de s’affronter dans l’honneur et la dignité. Un rite sacré lorsqu’on sait qu’il engageait même la famille et la polis (cité) de l’athlète…
Est-ce la musique de cette lointaine mémoire qui m’enivre déjà ou la douce odeur des pins de l’Altis ?
J’aperçois déjà la palestre et sa forêt de colonnes. Voilà donc l’autel du culte sacré du corps et de l’esprit. Les bustes d’Hermès ne sont plus là mais l’on sent encore l’odeur âcre des corps huilés en sueur. On entend encore les clameurs, le souffle tour à tour régulier et haletant des lutteurs de pancrace ou le dernier ahan du lanceur de javelot. Le hautbois joue pour rappeler à nos esprits décadents que se déroule ici une fête, la quête de l’essentiel.
Les jeunes garçons bandent leurs mains des lourds cestes de plomb sous l’œil attentif de leur alipte. Un peu plus loin, des hommes d’âge mûr foulent le sable du péristyle. Voici les mânes de Platon, Antisthène et Aristote, qui rendirent célèbres d’autres palestres (l’Académie platonicienne et le Lycée d’Aristote ont d’ailleurs été justement consacrés dans notre langue). Salut à toi, leur maître Socrate ! A quel nouveau Charmide viens-tu enseigner la connaissance de son âme après celle de son corps ?
Athlète… Athlos… Le guerrier (en grec)… L’homme complet.
Coiffer la couronne d’olivier
Nous voici maintenant derrière la palestre, dans le petit atelier du divin Phidias. Voici l’antre magique où cet alchimiste de la pierre nous légua son dernier chef d’œuvre avant de périr sous les coups des politiciens athéniens.
Cinq années dans cette cellule, entre ces quatre murs ruinés et ce talus où l’herbe a perdu le cœur de fleurir. Cinq années pour hisser à plus de treize mètres ton hommage et celui de tout le monde grec à Zeus le tout-puissant.
Hélas, Phidias, des criminels ont osé profaner ton sanctuaire et nous voler la superbe statue chryséléphantine (d’or et d’ivoire) que tu avais élevée.
Mais Zeus, furieux, s’était déjà levé et avait crevé la voûte de son temple, comme Strabon le craignait. La foudre frappa une seconde fois le sol d’Olympie. Stéphanie et moi, marchons au milieu du chaos de la mer dorique qui baigne désormais son temple. Epars, jonchant le sol d’Olympie, les tambours des colonnes érigées par les titans, ceux-là même qui bâtirent Tirynthe puis Baalbeck…
O Zeus, tes zanes de bronze ont aussi disparu ! Les fils d’Eupolos le maudit ont envahi et souillé ton sanctuaire. Comment ont-ils pu ? La honte plane encore sur toute la Thessalie par la faute de ce pugiliste qui introduisit l’impureté dans ton enceinte. Lui, le corrompu qui dut renoncer à sa victoire et payer l’amende avec laquelle on dressa ta première statue. Je me souviens encore de l’inscription : « Ce n’est pas avec de l’argent mais avec des jambes rapides et un corps robuste qu’on remporte la victoire d’Olympie ». Hélas, Zeus, c’est Eupolos que mes frères célèbrent aujourd’hui…
Nous nous dirigeons vers l’entrée du stade par l’Héraïon, le temple d’Héra en l’honneur de laquelle couraient les filles de Grèce. Et voici les trésors, aujourd’hui vides mais hier gorgées d’offrandes à la gloire de Zeus, scellant l’unité des cités grecques face aux Barbares.
Mais nous voilà sans doute devant le portique d’Echo car nos voix résonnent déjà. Nous empruntons le tunnel voûté qui conduit dans notre naos. J’entends les vingt mille cœurs d’Olympie qui vibrent à l’unisson, lyre de titan, pour acclamer les hoplites en armes qui finissent leur course. Mais déjà retentissent les trompettes annonçant la course suivante, l’épreuve reine : le stadion. Mais j’ouvre les yeux et me voilà tout seul sur la piste pour disputer la plus antique des courses. Debout, mes pieds calés dans les rainures du départ, je cherche vainement du regard mes camarades qui pourraient disputer avec moi la couronne d’olivier sauvage. Las, autour de moi, il n’y a que des touristes ventripotents qui regardent, indifférents, un jeune homme courir pour retrouver le bruit des foulées de Léonidas de Rhodes. Ô Polydamas, Théagène, Philombrotas, mon cœur vole vers vous à cet instant précis. Quel triste stadion ! Je ne suis guère digne de ceindre les feuilles de l’arbre ramené d’Hyperborée par Héraclès. Comment puis-je succéder à Milon de Crotone comme olympionique ? Je rentrerai dans ma cité sans rien dire. D’ailleurs, pourraient-ils comprendre ? Me donneraient-ils le droit, comme à Sparte, de combattre en première ligne, devant le roi ?
Restons à Olympie
Mais vais-je vraiment revenir dans ce monde où les Barbares sont admis et pullulent, où la corruption et l’industrie ont tué le sport et tout ce que nous aimions, où l’on fête le record et non plus la victoire, où Coubertin est consacré « bourgeois d’honneur » (sic) par la Suisse et oublié dans son pays natal.
Non, je reste à Olympie. Je sais que depuis les ans 393 et 426, on a détruit mon sanctuaire et celui de mes frères. J’entends encore l’horrible voix de Tertullien hurlant : « La palestre est l’œuvre du diable ». Je revois ce cauchemar où ses émules refoulés ont profané l’atelier de Phidias pour en faire une église.
Mais je crois à l’éternel retour. Nous effacerons ces injures au génie de notre race. Mes camarades reviendront à Olympie et notre monde renaîtra.
Pierre Gillieth 2010  http://www.reflechiretagir.com

Les commentaires sont fermés.