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Exécution du duc d'Enghien

Dans la nuit du 20 au 21 mars 1804, à deux heures du matin, le duc d'Enghien (32 ans) est fusillé dans les fossés du château de Vincennes.

Louis Antoine Henri de Bourbon, prince de sang royal, est le dernier rejeton de la lignée prestigieuse des Condé.  Réfugié dans le grand-duché de Bade, un pays neutre, il n'a rien tenté contre la France révolutionnaire. La police française l'accuse cependant d'avoir organisé avec le général Pichegru et Georges Cadoudal un complot contre le Premier Consul Napoléon Bonaparte.

En le faisant enlever et sommairement exécuter, ce dernier terrorise l'opposition royaliste et lève les ultimes obstacles à la proclamation de l'Empire... 

Fabienne Manière
 
De la Révolution à l'Empire

Le 21 mars 1804, le jour même où meurt le duc d'Enghien, est promulgué le Code Civil. Avec ce document, qui est l'aboutissement d'un travail de dix ans, la Révolution française donne le meilleur d'elle-même et rend son tablier. Son oeuvre est achevée, d'autant que Bonaparte a établi la paix aux frontières et ramené la concorde religieuse et la prospérité.

Dans le même temps, l'exécution nocturne du duc d'Enghien annonce la dictature personnelle de Napoléon et son interminable litanie de batailles, avec au final l'abaissement durable de la France sur la scène internationale.

Complot royaliste

Georges Cadoudal (32 ans), à l'origine sans le vouloir de la mort du duc d'Enghien, est un chef chouan réfugié à Londres. Fidèle à la monarchie, il a été nommé lieutenant général par le comte d'Artois, frère cadet de feu Louis XVI, qui règna beaucoup plus tard sous le nom de Charles X.

Cadoudal a formé le projet d'enlever le Premier Consul et de l'amener en Angleterre. Avec l'aide du gouvernement anglais, il  débarque en secret près du Tréport le 23 août 1803. Il s'acquiert la complicité du général Pichegru qui débarque à son tour et tente d'entraîner dans le complot son camarade de combat, le général Moreau. Mais celui-ci refuse.

Il n'empêche que la police, ayant eu vent du complot, arrête le prestigieux vainqueur de Hohenlinden. Cette arrestation suscite des rumeurs dans l'opinion publique, qui doute de la bonne foi du Premier Consul et le soupçonne de vouloir éliminer ses rivaux. Devant l'impéritie de ses policiers, Bonaparte commence à le regretter d'avoir retiré à Joseph Fouché le ministère de la Police Générale...

Heureusement, la police se rattrappe en arrêtant aussi le général Pichegru puis les autres instigateurs du complot. Cadoudal est lui-même arrêté rue Monsieur-le-Prince, à Paris, dans des conditions tragiques (il tue deux agents avant de se rendre) le 9 mars 1804. L'opinion se retourne en faveur du Premier Consul.

L'enquête policière révèle alors que les comploteurs attendaient l'arrivée d'un «prince du sang», autrement dit un membre de l'ancienne famille royale. Sans doute s'agissait-il du comte d'Artois. Un plan d'insurrection plus ou moins fantaisiste, transmis par un agent double, Méhée de la Touche, dévoile les noms d'émigrés établis en pays de Bade, parmi lesquels le duc d'Enghien.

Complot napoléonien

Le 10 mars, Bonaparte réunit son conseil aux Tuileries. À l'instigation de Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, et de Fouché, ministre de la police, il se laisse convaincre d'arrêter le duc d'Enghien pour faire un exemple. Au deuxième Consul Cambacérès, qui vota autrefois la mort du roi Louis XVI et se permet d'émettre quelques réserves, il lance : «Vous êtes bien avare, aujourd'hui, du sang des Bourbon !».

Le prince, tout occupé de son prochain mariage avec sa cousine, la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort, de cinq ans plus âgée que lui mais à laquelle le lie une longue intimité, est enlevé par une troupe d'un millier de gendarmes dans la nuit du 14 au 15 mars à Ettenheim, près du Rhin, au mépris du droit international.

 Sans comprendre ce qui lui arrive, il est incarcéré le 20 mars dans le château de Vincennes, à l'est de Paris. Le soir même, à 11 heures, il est interrogé par une commission extraordinaire présidée par le général Hullin, en présence du chef de la police secrète, le colonel de gendarmerie Savary, futur duc de Rovigo.

La commission l'accuse d'avoir comploté contre la sûreté de l'État, ce qui est faux, et d'avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, ce qui est vrai. Comme Hulin ne sait pas sous quel chef d'accusation le condamner, il rédige le jugement en laissant en blanc les articles censés justifier l'exécution : «... Et lui a appliqué l'article xxx de la loi du xxx ainsi conçu xxx et, en conséquence, l'a condamné à la peine de mort. Ordonne que le présent jugement sera exécuté de suite à la diligence du capitaine rapporteur...».

Le jeune homme est aussitôt fusillé dans les fossés, à la lumière d'une lanterne. À ses côtés se tient Mohilof, le chien que lui a offert sa chère Charlotte. Après l'exécution, la dépouille au visage défiguré par les balles est jetée dans une fosse creusée quelques heures plus tôt. Les soldats, honteux de leur geste, s'abstiennent de dépouiller le cadavre de ses vêtements et de ses objets de valeur comme le règlement les y autorise. Après la chute de l'Empire, on retrouvera dans la sépulture des pièces et une montre en or.

Avant de mourir, le prince a eu le temps de confier à un gendarme une enveloppe à l'attention de sa fiancée, dans laquelle il a glissé une mèche de ses cheveux et un mot. L'enveloppe ne sera jamais jamais transmise à sa destinataire. Celle-ci, inconsolable, portera pendant 30 ans, jusqu'à sa mort, le deuil de son fiancé.

Le général Pichegru se «suicide» peu après dans sa cellule. Le général Moreau, qui a seulement eu le tort de ne pas dénoncer le complot, est exilé. Quant à Georges Cadoudal, il est guillotiné avec onze complices le 25 juin 1804. «Nous voulions faire un roi, nous avons fait un empereur», a-t-il confié avec amertume dans sa prison.

Vers l'Empire

En exécutant le jeune duc d'Enghien, le Premier Consul a voulu terroriser l'opposition royaliste une bonne fois pour toutes en lui montrant qu'il n'était disposé à aucun accommodement avec elle. Il a aussi voulu prouver aux anciens jacobins et à tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont tiré parti de la Révolution, qu'il était le meilleur rempart pour préserver les acquis de celle-ci et le retour de la prospérité.

Le meurtre aboutit au résultat escompté, contrairement au jugement d'Antoine Boulay de la Meurthe, un fidèle de Bonaparte : «C'est pire qu'un crime, c'est une faute». Cette formule est souvent attribuée à tort au ministre des Relations Extérieures, Talleyrand. Ce dernier, qui a en vérité encouragé le Premier Consul à commettre le crime, aurait seulement laissé tomber en apprenant la nouvelle : «Bah ! ce sont les affaires».

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