Charles-Henri d'Andigné, responsable des pages Culture à Famille chrétienne, répond à notre enquête sur la droite.
Monde et Vie : Charles-Henri d'Andigné, avez-vous le sentiment qu'il existe encore une différence entre droite et gauche ?
Charles-Henri d'Andigné : Il en existe plusieurs, mais l'une des principales caractéristiques de la droite me semble être le réalisme. C'est flagrant dans le débat sur le mariage, où la gauche nie la réalité. Pourquoi ? Après avoir idolâtré la Raison à l'époque moderne (XVIIIe-XXe siècle), la gauche idolâtre la Volonté à l'époque post-moderne : je suis ce que je veux être, il n'y a pas de nature humaine. Si je suis un homme, je peux décider d'être femme ; je peux me marier avec un homme ou avec n'importe qui, même avec trois personnes, si telle est ma Volonté, qui est maître de tout. La réalité n'a aucune importance. Telle est la gauche. À droite, au contraire, on est attentif à la réalité.
Ces notions de droite et de gauche, nées au moment de la Révolution, restent cependant relatives et évoluent avec l'histoire. Cette distinction a un caractère très politicien. Faut-il l'absolutiser ? Mieux vaut éviter de l'appliquer sans précaution à la philosophie et à la religion, sous peine de commettre des erreurs.
Néanmoins, elle se retrouve dans le débat philosophique. Rousseau ou Marx peuvent difficilement être rangés « à droite » N'existe-t-il pas un corpus philosophique de gauche, construit autour de l'idée égalitaire ?
Bien sûr et l'on retrouve ici le déni de réalité propre à la gauche, qui veut appliquer à toute force une égalité idéologique sans tenir compte de l'inégalité naturelle des personnes. La droite, elle, reconnaît que nous sommes tous inégaux : s'il existe bien une égalité de dignité, liée à notre humanité, elle ne gomme pas l'inégalité des talents, des forces, des intelligences, etc., qui est naturelle et bonne. La gauche confond inégalité et injustice; la droite sait que l'inégalité est un bienfait. Néanmoins, la distinction entre droite et gauche s'applique mal à la philosophie : le libéralisme, par exemple, est-il de droite ou de gauche ? Il existe une droite libérale et une gauche qui l'est aussi.
Dans le domaine religieux, le progressisme a plutôt été porté par des catholiques de gauche...
Le progressisme, c'est la laïcisation de l'Espérance et son remplacement par le Progrès. Ce concept de Progrès est, en effet, une idée très prisée à gauche, mais la quasi-totalité des politiciens de droite l'ont aujourd'hui reprise à leur compte.
Dans le cadre de la bataille pour défendre le mariage, on assiste au réveil d'une partie de la population, mais les politiciens sont à la remorque. La droite existe-t-elle encore au sein du microcosme politicien, ou la gauche a-t-elle tout absorbé ?
On peut se poser la question. Il existe, sur l'échiquier politique, un résidu de droite, des gens comme Philippe Gosselin, Hervé Mariton, qui se battent à l'Assemblée contre le « mariage » homosexuel ; mais quand on regarde, par exemple, les candidates à la mairie de Paris, qu'il s'agisse de Cécile Duflot (EELV), NKM (UMP) ou Anne Hidalgo (PS), toutes pensent la même chose.
Quand rien ne contrebalance l'utopie c'est vite le totalitarisme
La gauche, il me semble, sait mieux se rassembler. François Mitterrand, pour arriver au pouvoir, avait d'abord rassemblé sur son nom les socialistes, ce qui était une gageure, puis s'était allié avec le parti communiste, en dépit de tout ce qui l'en séparait.
Peut-être cette union manquait-elle de cohérence intellectuelle, mais la gauche est arrivée au pouvoir. La droite n'a toujours pas compris cette leçon politique : si l'on veut le pouvoir, il faut passer par-dessus les divergences et les désaccords. Même si ce n'est pas satisfaisant intellectuellement, c'est politiquement indispensable.
Alain Dumait, ancien président de Contribuables Associés et ancien maire du IIe arrondissement de Paris, aime dire que la droite, c'est l'ensemble des gens qui se considèrent à droite. Elle rassemble en effet des gens extrêmement différents, adhérant à des doctrines qui, à l'état pur, ne sont pas toujours compatibles et même s'excluent, comme le libéralisme et le nationalisme. De même, il existe une droite catholique, une droite non-catholique et même une « nouvelle droite » anticatholique. Pourtant, politiquement, c'est une notion par laquelle on est obligé de passer.
Dans notre précédent numéro, Henry de Lesquen expliquait que la droite, c'est tout ce qui n'est pas de gauche. Selon lui, la gauche est fédérée par l'utopie égalitariste. La droite ne manque-t-elle pas d'un fédérateur ?
Sans doute. Une attitude typique de l'homme de droite consiste d'ailleurs à refuser de se réclamer de la droite, alors qu'un homme de gauche se dira de gauche sans hésiter. À de rares exceptions près, quand quelqu'un déclare qu'il n'est ni de droite, ni de gauche, c'est un homme de droite... Cette attitude tient parfois à une forme de respect humain, mais peut aussi s'expliquer par une raison philosophique plus profonde, liée à la nostalgie de l'unité qui prévalait encore sous l'Ancien Régime, à une époque où la division entre droite et gauche n'existait pas. Le « ni droite, ni gauche » de l'homme de droite exprime cette nostalgie du principe fédérateur qu'incarnait le roi. Un ami monarchiste me disait : « Moi, je ne suis pas républicain, donc je ne peux pas être de droite. » Il y a là quelque chose d'assez juste, mais même si mon premier réflexe consiste à me dire que je ne suis pas « de droite », au moment du vote il faut que je choisisse et, puisque la gauche me catalogue à droite, je voterai en faveur du candidat de droite.
Le drame, ce n'est pas qu'il existe une droite et une gauche, des réalistes et des utopistes - ce qui est dans la nature des hommes - ; mais c'est qu'il n'y ait plus rien pour nous réunir. En outre, les utopistes l'ont aujourd'hui emporté. Et quand rien ne contrebalance plus l'utopie, elle verse vite dans le totalitarisme.
Propos recueillis par Eric Letty monde&vie mars 2013