Les non-résidents pourraient bien avoir réussi à récupérer une partie de leurs fonds depuis le 16 mars, malgré la fermeture des banques...
Par MARC VIGNAUD
Pendant que les Chypriotes faisaient la queue devant les distributeurs automatiques pour retirer quelques centaines d’euros,...
...certains non-résidents ont-ils réussi à siphonner leurs comptes bancaires de plus de 100 000 euros en toute discrétion ?
C’est le scénario choquant qui se dessine alors que le nouveau plan de sauvetage européen, annoncé dans la nuit de dimanche à lundi, vise précisément à taxer lourdement les comptes bancaires les plus garnis des banques en difficulté, détenus, pour la plupart, par des non-résidents attirés par la faible taxation des entreprises.
Passer par Londres et Moscou
Malgré la fermeture des banques chypriotes depuis le 16 mars dernier et le gel des transactions bancaires, certains détenteurs britanniques, libanais, grecs et des ressortissants des ex-Républiques soviétiques auraient en effet trouvé la parade pour récupérer leur agent jusqu’au 25 mars. Selon l’agence de presse Reuters, ils ont notamment profité du fait que les filiales londonienne et moscovite des deux principales banques du pays au coeur de la crise, la Banque populaire de Chypre (aussi appelée Laiki) et la Banque de Chypre, sont restées ouvertes. Interrogée par l’Agence France-Presse le 27 mars, Bank of Cyprus a pourtant assuré qu’il n’était pas possible de retirer dans les agences de sa filiale britannique des fonds bloqués à Chypre.
Mais selon Jacques Sapir, spécialiste de la finance, qui dit obtenir ses informations par un réseau de "correspondants", notamment d’anciens élèves, dans les deux capitales, il existe d’autres moyens qu’un simple transfert de fonds entre la maison mère et sa filiale. "Prenons l’exemple d’un Libanais installé à Londres. Il va voir la filiale de sa banque chypriote et lui demande de lui faire un prêt du montant de son compte bancaire. Il lui suffit d’apporter en collatéral les dépôts sur son compte pour l’obtenir. Il n’a aucune intention de rembourser ce prêt, la filiale se servira directement sur le compte", explique le directeur d’études à l’EHESS.
Une manoeuvre, selon lui, à la limite de la légalité, mais que les autorités ne peuvent pas empêcher. "La Banque centrale européenne ne peut légalement pas s’y opposer, car les mouvements effectués à l’intérieur d’un groupe bancaire ne sont pas considérés comme des transactions." Les clients des deux banques chypriotes à Londres et à Moscou auraient aussi utilisé d’autres méthodes de contournement comme les exceptions au gel des comptes instaurées pour le commerce de produits humanitaires, de médicaments ou encore d’approvisionnement de jets en carburant. Les entreprises confrontées à des demandes de remboursement pouvaient aussi se voir accorder des fonds pour honorer leurs appels de marge sur certains contrats.
Des sommes incertaines
Reste à savoir combien de non-résidents, particuliers comme entreprises, ont pu ainsi rapatrier leurs fonds de Chypre. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a d’ailleurs déclaré que la fermeture des banques avait "limité la fuite", mais que la BCE restait attentive à ce problème. Selon Chris Pavlou, jusqu’à vendredi vice-président de la banque Laiki vouée à disparaître, les sommes ainsi retirées se compteraient toutefois en millions d’euros, et non en milliards.
Une déclaration en contradiction avec les évaluations fournies à Jacques Sapir, pour lequel les retraits d’argent des gros déposants non-résidents ont été de "4,5 milliards d’euros minimum". Pour l’instant, il ne s’agit encore que "d’évaluations au doigt mouillé", souligne l’économiste, mais cela pourrait se révéler "être beaucoup plus". Les 4,5 milliards qu’il évoque font d’ores et déjà froid dans le dos quand on pense que l’Eurogroupe espère récupérer 5,8 milliards en taxant uniquement les plus gros comptes bancaires...