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Michel de Saint-Pierre

J'ai connu une triste époque où il était devenu de bon ton de railler Michel de Saint Pierre, et ce non seulement à gauche, où il avait effectivement tout pour irriter, mais aussi, hélas, au sein de ce qu'il était convenu d'appeler la «droite nationale», où l'on aurait dû saluer, outre son talent, son courage et son refus obstiné de mettre son drapeau dans sa poche.
J'ai connu Michel au tournant même de sa carrière, alors qu'il venait, en publiant Les nouveaux prêtres, de jeter un énorme pavé d'autant plus énorme qu'il fut vendu à 200 000 exemplaires - dans le bénitier de l'Eglise progressiste d'alors. Cela eut pour effet immédiat de transformer le romancier estimé de La mer à boire, le best-seller admiré des «Aristocrates», en une sorte de monstre au pied fourchu et à la langue crochue - en bref, en un abominable homme de droite.
Or, Michel savait parfaitement ce qu'il faisait et ce à quoi il devait s'attendre - il me l'expliqua tranquillement à notre première rencontre, devant un carafon de whisky en cristal taillé . Mais il estimait qu'après ce qu'il avait découvert au fil de trois ans d'enquête dans les paroisses _de banlieue, il n'avait pas le droit de garder le silence. Le marquis de Saint Pierre était monté sur son destrier, et il n'en redescendit plus, si ce n'est pour rendre l'âme.
Je ne fus pas surpris quand, des années plus tard, alors que nous étions devenus de proches amis, il me confia que l'un des livres-clés de sa vie était Le voyage du Centurion d'Ernest Psichari, point sur lequel nous nous retrouvâmes, car, pour moi aussi, cet ouvrage avait revêtu une signification particulière. C'était de ces secrets qu'il gardait généralement pour lui, ne les livrant qu'à des amis de confiance, avec sa prudence de paysan normand.
En effet, les beaux intellectuels qui se plaisaient à dénigrer Michel ne le connaissaient pas vraiment, le comprenaient encore moins et étaient finalement ses dupes. Sa couronne de marquis aidant, il aimait à jouer les rustauds et jubilait intérieurement quand le jeu prenait. De même, il aimait à jouer les pingres alors qu'il était naturellement généreux. Je puis en parler, car, à un moment très difficile de ma vie, je vis trois personnes se précipiter pour me venir en aide : Hubert Monteilhet, Henry Bonnier et Michel de Saint Pierre. Celui-ci m'empoigna littéralement par la peau du cou, me fit faire un somptueux déjeuner, et, au dessert, me demanda :
- Et maintenant, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
Il était ainsi, il allait droit au but, sans flâner ni tergiverser, ce qui ne plaisait pas à tout le monde, non plus que la familiarité spontanée avec laquelle il abordait les hommes. Cet aristocrate de vieille souche n'avait que faire des manières de cour. Sa politesse était celle du cœur, et son cœur était vaste.
S'il lui arrivait de jouer les faux naïfs, ses enthousiasmes, eux, n'étaient pas feints. Pas plus feints que ses amitiés.
Jean BOURDIER , National Hebdo.

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