Il s’agit en effet d'un raz de marée, d'un tsunami. Mais la lame n'est pas physique, n'est pas tangible, ne constitue aucunement la réification d'une conscience collective forte, apte à modifier les choses en profondeur. Le papier mâché est abondant, la peinture dégorge des cartons, les masques sont épais, les échasses ajustées, le maquillage apposé à la truelle. Mais malgré la publicité incessante orchestrée par le média unique (comme il existe une pensée unique), malgré le vedettariat institué par le Système, malgré l'officialisation conforme de son statut de rebelle « tout désigné », malgré les cris d'orfraie enregistrés en studio, malgré cette phénoménale mise en scène, le Premier mai du nouveau Front national annoncé par l'ensemble de la canaille journalistique n'a rassemblé que quelque 3 000 ou 5 000 personnes devant l'égérie systémique du néo-populisme à la "française". Une véritable dérision spectaculaire ! Las, les cadres de l'entreprise familiale (trois générations lepénistes entouraient le commissaire politique Gilbert Collard) avaient distribué des centaines de drapeaux tricolores bon marché aux naïfs destinés à faire la claque aux bénéficiaires directs de la petite PME. Mais l'impression de dépression ou d'atonie se dégageant de la manif était bien la seule à triompher. Le charisme ne se décrète pas, et pourtant aucune magie insaisissable ne vit en lui.
LE CHARISME EST D'ABORD ENFANT DE PRINCIPES INCARNÉS
Car ni le rhéteur ni le fanfaron ne possèdent en eux la quintessence charismatique ! Le charisme n'est pas un don comme le font croire les journaleux incultes ou les animateurs de l'Engeance. Le charisme naît chez le personnage habité, mû par une inflexible volonté de servir les principes vrais ; la volonté même ne suffit pas : Elle doit servir la vérité ! L'exposé du grand sociologue Max Weber sur les trois sortes de dominations caractéristiques dévoile implicitement cette condition nécessaire. Le pouvoir charismatique constitue un tout auquel on ne peut rien retrancher. En cela le dirigeant charismatique ne peut être l'émissaire que d'une partie de vérité, ne peut postuler la tempérance, ne peut jouer le jeu du régime qu'il prétend combattre, bref ne peut mentir à soi-même et donc aux autres. Rappelons aux primo-arrivants rivaroliens que la puissance charismatique est toujours première sur le plan chronologique et qu'elle précède apparemment l'avènement d'une domination traditionnelle pendant laquelle la vérité est enseignée et respectée dans une atmosphère plus sereine, sur une durée plus longue, une période traditionnelle où les progrès et les innovations existent mais ne peuvent remettre en cause l'ordre établi. Un autre type de pouvoir appelé domination bureaucratique par Weber semble in fine peu pertinent en tant que grille de lecture sociologique. L'apparence du froid technocratique, du « sine ira et studio » est fort trompeuse. Il ne peut y avoir de pouvoir exclusivement technocratique, il faut des postulats axiologiques (aussi faux soient-ils) pour tenir la macrostructure sociale et politique. Nous vivons actuellement l'époque du tout mensonge bureaucratique où les experts sont de fieffés hypocrites et les rebelles ou bouffons du régime élaborés en silicone industriel. Peut-être comprenons-nous mieux maintenant pourquoi le monde médiatique d'une manière générale est si dénué de talent. Non que les décideurs n'aiment point par principe le talent ! C'est le charisme qui leur fait horreur ! La condition du vrai changement, l'hétérogénéité dogmatique, les métaphores diverses et variées non de la fantaisie mais de la réalité ! L'on comprend parfaitement à l'aune de ce petit dessin didactique l'inanité plastique d'une femme superficielle comme Marine Le Pen. La belle fadaise ! Seule, incapable de fasciner le peuple (son chantre officiel pourtant...), elle est tirée par toute l'industrie du média hexagonal et désormais invitée dans les émissions où « l'on rigole » entourée d'invertis et de cocaïnomanes. Tout cela a un prix comme la Peau de Chagrin, la jeunesse, l'argent, la renommée et les photographies dans les magazines. Voilà ce que l'on pouvait trouver sur le site Internet du FN la semaine dernière : « À l'heure où la justice allemande se penche non sans courage sur la responsabilité de la division SS Das Reich dans ces massacres, en lançant depuis peu une enquête pour crime de guerre contre les six suspects toujours en vie qui appartenaient à cette unité blindée, le Rassemblement Bleu Marine s'alarme du possible abandon d'une part insigne des vestiges d'Oradour-sur-Glane, qui seraient ainsi sacrifiés sur l'autel des restrictions budgétaires : devant cette perspective inconcevable, il réclame avec force des pouvoirs publics qu'ils s'engagent franchement à doter l'intégralité du site d'Oradour-sur-Glane des moyens financiers permettant d'en assurer la préservation durable. Sur cette affaire qui malmène une fois de plus l'intégrité du patrimoine historique de la France, qu'il appartient à chacun d'entre nous de respecter avec une égale rigueur, le gouvernement Hollande ne saurait davantage fuir ses responsabilités vis-à-vis des Français en refusant plus longtemps de prendre clairement position ». Lignes conformes écrites par Karim Ouchikh, conseiller de Marine Le Pen à la Culture, à la Francophonie et à la Liberté d'expression et Président exécutif du SIEL... Où l'on s'aperçoit que la dédiabolisation désirée par l'héritière de Montretout est fort aisée. Puisqu'il s'agit, en somme, de conformer la ligne du vieux FN à la doxa obligatoire. Il suffit d'écouter les bonnes personnes aux bons moments et bien sûr de respecter les directives de ceux qui "savent". « Là dans l'intimité d'un petit appartement en duplex, le 8 avril, un repas organisé chez Paul-Marie Couteaux (vrai patron d'Ouchikh), réunit quelques convives, parmi lesquels Marine Le Pen et Philippe Martel. » Martel est l'ancien chef de cabinet du mondialiste bien élevé Alain Juppé au Quai d'Orsay. « Marine Le Pen, soucieuse de ne pas veiller tard (de qui se moque-t-on ?), quitte la soirée vers 22h30. Non sans que l'ancien conseiller d'Alain Juppé lui ait proposé l'envoi d'une note. Comme ça, pour aider. » Les articles de L'Express sont souvent intéressants lorsqu'ils concernent la fille de Jean-Marie Le Pen. Le magazine aux couvertures triangulaires systématiques consacre désormais des pages et des pages à cet outil du Système dont la fonction sert à désactiver le potentiel révolutionnaire « des exclus » et de « ceux qui souffrent ».
UNE VACUITÉ VÉCUE SEREINEMENT
Mais l'Engeance est bel et bien confrontée à un problème né tout naturellement. Comment peut-elle soutenir durablement la marionnette tout en cultivant sa nécessaire image iconoclaste, condition de son pouvoir de fascination ? Comment préserver la réputation du Golem quand on l'encourage (comme le font Franz Olivier Giesbert ou le délicat Stéphane Bern) et le défend publiquement, propagande oblige ? Une Engeance qui voudrait un FN aussi attrayant qu'un vrai mouvement hétérogène mais au sein duquel l'on ne trouverait que des membres châtrés, dévirilisés, tenus, comme une vieille gaupe à la retraite tiendrait ses greluchons. Pour ce faire, elle crée des scenarii qui dictent le déroulement même d'émissions que tous les péquins croient honnêtes et sérieuses, des émissions d'information, nous dit-on... Tous les six mois, les téléspectateurs ont ainsi droit à leur match de catch opposant la très fatiguée Marine Le Pen (l'éreintement consécutif à une comédie qui n'a que trop duré) qui abuse visiblement des produits cosmétiques, à Anne-Sophie Lapix, jolie, sémillante et très servile animatrice de Canal plus. Encore une chamaillerie jouée (et en l'occurrence fort mal jouée) pendant laquelle Marine Le Pen traita son intervieweuse de « commissaire politique » à plusieurs reprises... Comme si ses purges innombrables au Front National l'avaient vaccinée contre l'insulte politique. Si, taquin, nous avions un sale conseil à lui donner, ce serait de prendre quelques cours de comédie style "téléréalité" afin de redonner au moins un peu de lustre à une baudruche bien ternie.
L'ERSATZ PATRIOTIQUE ?
Ne sont-ils pas pénibles tous ces nationalistes qui osent dénoncer la pantomime mariniste ? Chut ! Nous ruchonnent tous les Roger-bontemps, invertis, francs-maçons, potiches éhontés de Conseils Régionaux inutiles, chut ! Hein ? Quels intérêts devrions-nous préserver, quelles causes devrions-nous défendre par notre silence ? Les rares "petits", élevés dans la pouponnière frontiste du FNJ, hier dynamique faisceau de jeunes radicaux qui se riaient du danger, sont sélectionnés, eux-aussi, semble-t-il, en fonction de critères d'une inquiétante modernité ! Comme s'il n'y avait absolument plus rien à préserver. Le numéro 1 de la juvénilité frontiste, Julien Rochedy, s'est lâché pour L'Express, encore une fois... Incroyable comme les démocrates marinistes sont prolixes lorsqu'ils sont interrogés par le reporter du magazine, le bien nommé Tugdual Denis ! « Quand j'étais en Cinquième, je voulais être hippie ou rappeur, et je détestais la France. [...] Je m'adapte à mon temps. Si l'on veut triompher dans son époque, il faut l'épouser. » Puis notre alter-rappeur explique que l'étiquette frontiste lui donne un « côté rebelle » qui plaît bien aux filles, alors que « ses vrais amis ne sont pas au Front national ». Une manière de dire, peut-être, qu'il n'est pas homosexuel sans heurter les grands chefs auxquels il doit rendre des comptes ? Enfin, l'atomisation morale, le ramollissement des troupes, la « néo-ringardisation », la « beauferie » du mouvement atteignent de tels niveaux que même notre bon L'Express (« Jusqu'où mènera la banalisation poussée à l'extrême ? ») s'alarme et s'inquiète d'une dédiabolisation qui pourrait écorner l'image d'un FN "sulfureux" attirant, en les chloroformant, les petits, les délaissés, les oubliés, les enragés, les "prérévolutionnaires". Il ne faudrait quand même pas démonétiser ce fabuleux instrument du Système, énorme camp d'attente éternelle, et d'extinction, du nationalisme orthodoxe.
François-Xavier ROCHETTE. Rivarol du 31 mai 2013