Dans le langage courant, le quolibet est un propos plaisant, ironique ou injurieux, lancé à quelqu’un. En fin lettré pétri par les classiques gréco-romains, Christopher Gérard utilise ici le mot dans son acception étymologique. Le sous-titre est plus explicite puisqu’il s’agit d’un « journal de lectures ». L’exercice n’est pas nouveau. Il y a peu, Bruno de Cessole sortait Le Défilé des réfractaires, une approbation très remarquée pour des écrivains originaux.
Ancien directeur de la revue de réflexions païennes Antaïos et désormais heureux auteur de cinq romans ou récits (Maugis, Porte Louise, Vogelsang, etc.), Christopher Gérard tient à exprimer avec ce recueil son admiration pour soixante-huit hommes (et femmes) de plume placé dans un strict ordre alphabétique. En païen conséquent, il fait commencer son journal par un « Hymne à Apollon » suivi d’un exorde percutant. Quolibets se comprend comme « une déclaration d’amitié à mes maîtres et à mes lecteurs (p. 11) ».
Par un style clair, ciselé et concis (souvent en une page, parfois deux, rarement plus et ce, malgré quelques exceptions), Christopher Gérard éprouve sa dette envers des romanciers, des poète ou des penseur. Il est évident qu’il ne se réfère à aucune vedette de l’industrie littéraire qui produit à la chaîne des bouquins vite lus et vite oubliés. Dans cette liste subjective d’écrivains salués, on y trouve, outre des individus « sulfureux » (Pierre Drieu La Rochelle, Arnaud Bordes, Bruno Favrit, Jean Parvulesco, Dominique de Roux, Vladimir Volkoff, Dominique Venner ou Hervé Juvin), des écrivains renommés (Guy Dupré, Marcel Conche, Jean Clair, Renaud Camus, Ernst Jünger, Philippe Muray…) et d’autres, guère connus (Corinne Hoex, Jean-Baptiste Baronian, Yves-William Delzenne ou Jaan Kross). On peut néanmoins regretter l’absence de Cioran, de Houellebecq ou de François Augiéras. Tant pis !
En revanche, Christopher Gérard aime toujours charger, sabre au clair, contre les horreurs de notre sordide époque. Avec une belle imprécation, il condamne « les traits post-historiques, c’est-à-dire post-humains de l’homo festivus […] : demande obsessionnelle de protection, effacement des identités, moralisme pleurnichard allié à un libertarisme cynique, démence maniaco-légalitaire, sans oublier [… le] “ mélangisme ” – le métissage accéléré comme arme de désintégration des communautés vivantes (p. 171) ». Insouciant de scandaliser les belles âmes humanitaristes et renonçant de ce fait à la vaine vaine gloriole médiatique, il ose affirmer que « la négation dogmatique des réalités ethniques et culturelles, l’obsédant mantra en faveur d’un métissage rédempteur (le métis ayant pour certains pris la place du prolétaire), l’anesthésie programmée de notre système immunitaire par, notamment, la démolition pierre par pierre de l’école comme des autres services publics, cadenassent notre parole, et même notre imaginaire (p. 185) ».
Lire Quolibets devient alors une excellente thérapie contre « l’idéologie matérialiste et égalitaire qui fonde l’actuel système techno-marchand. Hostile à toute quête du divin et allergique à toute verticalité, l’inconscient collectif moderne se trouve ainsi modelé par une caste marchande propulsée au sommet et qui, par un phénomène d’inversion des valeurs, domine sans partage (p. 13) ». On n’y vend pas ici sa plume au plus offrant; on la troque volontiers pour une belle rapière d’encre afin de faire face à l’ignominie présente. Christopher Gérard est bien un franc-tireur des belles lettres.
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/
• Christopher Gérard, Quolibets. Journal de lectures, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2013, 224 p., 14 €.