L'histoire d'un prêtre du diocèse d'Annecy qui voulait être curé et franc-maçon peut paraître anecdotique. En ces temps où la franc-maçonnerie est politiquement toute puissante, il fallait du courage pour condamner le Père Vesin...
Le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, par son préfet qui était alors le cardinal Josef Ratzinger a fait une mise au point sur la franc-maçonnerie. Cette déclaration a été approuvée par le pape Jean Paul II. Elle dit ceci : « On a demandé si le jugement de l’Église sur les associations maçonniques était changé, étant donné que dans le nouveau Code de droit canonique il n 'en est pas fait mention expresse, comme dans le Code antérieur. Le jugement de l’Église sur les associations maçonniques demeure donc inchangé [...]et l'inscription à ces associations reste interdite par l’Église ».
La loge : L'avenir du Chablais
C'est au nom de cette déclaration que, depuis 2010, le Vatican exigeait du diocèse d'Annecy et de son évêque Mgr Yves Boivineau qu'ils placent devant ses responsabilités le Père Pascal Vesin, curé de Megève. On finit donc par lui mettre le marché en main : ou il quitte la franc-maçonnerie ou il est relevé de ses fonctions de curé de Megève. L'intéressé est prêtre depuis le 30 juin 1996 et se revendique franc-maçon au Grand Orient de France - loge : L'avenir du Chablais - depuis 2001. Lorsqu'on lui demande les raisons de cette adhésion, il précise qu'approché d'abord par la GLNF, il a préféré adhérer au Grand Orient, « pris d'une envie de fraternité et en quête d'un lieu de réflexion, d'une vraie recherche et d'une pensée sociale ». Mais cette appartenance aurait dû rester discrète. D'ailleurs interrogé par son évêque, une première fois, en 2010 le Père Vesin avait lui-même nié son appartenance à la Maçonnerie. Confondu en 2011, à cause de publications intempestives dans la presse, il déclare depuis à qui veut l'entendre que sa « double appartenance » ne lui pose aucun problème et qu'il souhaite continuer son ministère sacerdotal dans cette perspective. La réaction de l'évêque d'Annecy a été à la hauteur de la circonstance : non seulement il condamne son prêtre, mais il rédige une véritable condamnation de la Maçonnerie, en écho à l'encyclique Humanum genus de Léon XIII (quoi que bien sûr sans la citer). Nous en donnons ci-contre les meilleurs passages.
De son côté, le nouveau Grand Maître du GODF Joseph Gulino n'y est pas allé par quatre chemins, quand il a appris la chose. Nous évoquons Léon XIII pape à la fin du XIXe siècle. Lui remonte aux brumes du Moyen-Âge, en un temps où la Maçonnerie n'existait pas : « Cette décision rétrograde rappelle l'inquisition ». De tels amalgames suppriment toute possibilité d'une discussion sensée. C'est à se demander si l'on a encore le droit de condamner la franc-maçonnerie. Le Printemps français qui, le 22 mai dernier, a organisé une action devant le temple de la Rue Cadet (GODF) à Paris a expérimenté ce que pouvait coûter en République une telle liberté. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur et initié au Grand Orient dans les années quatre-vingt, a parlé tout bonnement d'une interdiction du Printemps. Toute la grande presse s'en est fait l'écho. Il a été obligé de surseoir à ses menaces parce que le Printemps français (prudent) n'a pas de définition juridique et se présente avant tout comme « un état d'esprit ». Interdire un état d'esprit ? C'est compliqué !
« rien à faire d'être vivant après la mort »
Du point de vue de l’Église pourtant, condamner la franc-maçonnerie, c'est condamner les thèmes autour desquels s'organise toute la déviance moderniste de la théologie catholique. Symptomatique jusqu'au bout, le Père Vesin était tout de même un curé aux convictions religieuses problématiques. Dans un entretien daté du 17 janvier 2013, au Messager, hebdomadaire local, il s'exprime très librement. La foi catholique en prend un... sacré coup ! Exemple : « rien à faire d'être vivant après la mort ». Il expliquait aussi avoir refusé d'afficher l'annonce pour la Manif pour tous du 13 janvier 2013 et être « favorable à l'ordination de prêtres déjà mariés et qui montrent une certaine stabilité dans leur vie maritale ». Il reconnaissait que ses pratiques dérangeaient certains de ses paroissiens : « À Noël 2012, dans la crèche je n'ai pas mis de petit Jésus mais le livre de la parole. (...) Mais je les ai tous rassurés : on n'a pas perdu le petit Jésus, il est bien rangé ! » Remplacer une personne par un livre, si ce n'est pas l'abstraction maçonnique qui se manifeste, je n'y comprends rien ! Mais surtout, il s'étonne de ce que l'on puisse le condamner, alors que, pour lui, la liberté absolue de la conscience semble être un idéal commun aux chrétiens et aux francs-maçons : « Je n'absolutise aucune institution humaine, je ne défends pas la Maçonnerie, je défends la pluralité de pensée, le dialogue et l'ouverture. L’Église n'est-elle pas née plurielle ? Je n 'ai jamais eu de problèmes pour cohabiter, pour dialoguer avec des chrétiens partageant d'autres idées que les miennes, avec des courants dépensée différents dans notre Église ». Notre Église est née plurielle ? « La source est plurielle » disait autrefois le cardinal Congar, évoquant La Trinité.
Le Credo du Père Vesin, c'est avant tout le pluralisme, un pluralisme indépassable. Or la foi catholique nous fait dépasser ce pluralisme dans l'unité du Credo.
Claire Thomas monde & vie 11 juin 2013