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Eric Vatré : « La nature de la vraie droite, capétienne, est le patriotisme, le civisme, ou ce que Maurras nomme le nationalisme intégral »

Journaliste et essayiste, Eric Vatré a publié des biographies de Charles Maurras, Henri de Montherlant, Henri Rochefort, Léon Daudet, ainsi que plusieurs ouvrages en collaboration avec Jean-François Chiappe. Auteur, par ailleurs, d'une enquête sur « la droite du Père », parue en 1994, il répond à notre enquête sur la droite aujourd'hui.

Monde et Vie : À votre avis, les notions de droite et de gauche ont-elles encore une signification aujourd'hui ?
Eric Vatré : Parler de la droite ou de la gauche n'a pas grand sens, les divisions d'opinions faisant rage depuis toujours au sein même de chaque camp. Rien de plus équivoque ni de plus complexe que ces mots-là. La seule droite qui vaille pourrait être « la droite d'avant la droite » - qui préexiste aux journées d'août et septembre 1789, où les tenants du veto royal absolu, siégeant « à la droite » du président monarchien Mounier, échouèrent à sauvegarder la.plénitude de l'exécutif régalien. Cette droite-là commençait mal.
La nature de la vraie droite ne relève donc pas d'une contingence topographique (ni d'ailleurs parlementaire), mais d'un continuum historique, d'une histoire quasi-immémoriale, arrachée tant aux dissensions intestines qu'aux convoitises extérieures.
Cette nature, capétienne, est évidemment le patriotisme, le civisme, ou ce que Maurras nomme le nationalisme intégral.
C'est à la fois une passion innée et la chose la plus raisonnable ; c'est la part immanente de l'ontologie humaine qu'énonce Aristote, disant que l'homme est un être de relation, à ce titre un zôon politikon, et que la Cité, communauté de familles, est la condition de son bien, du bien commun ajoutera saint Thomas d'Aquin. Vingt-cinq siècles après le Stagyrite, les « classiques » ou les « réactionnaires » sont encore d'avis que cet ordre naturel objectif, fruit de la raison divine, est le bon, car le seul vivable. Que le phénomène vertigineux de la Modernité lato sensu avec sa métaphysique de la subjectivité, de la souveraineté du sujet, de l'entité monadique niant la réalité du corps social qu'elle exténue paradoxalement de ses revendications, de ses normes - sitôt des « droits » -, ce jusqu'à la nausée, est le péché contre l'esprit.
Un monde atomisé, réduit a l'arbitraire humain
Mais on l'observera : du cosmopolitisme des Stoïciens et des Sophistes de l'Antiquité, à celui des Lumières, puis au mondialisme actuel ; du nominalisme individualiste du XIVe siècle au panlibéralisme contemporain, prédateur et planétaire, ces causalités réciproques, intrinsèquement liées, viennent de loin. Ici et là, nulle essence transcendante, point de finalité, mais un monde atomisé, réduit à l'arbitraire humain. Un ordre parallèle, né de « l'état de nature » et du « contrat », partant de l'artifice.

Peut-il exister une tradition catholique de gauche ?
Au sens où Dom Calvet, prieur du Barroux, définissait la Tradition dans La Droite du Père : « une essence immuable », cela est exclu a priori. Il n'empêche, nombre d'auteurs catholiques rejoignirent ou précédèrent même la gauche des Droits de l'Homme, dont, au dernier siècle, Jacques Maritain, un temps proche de l'Action française, et passé pour diverses raisons, sociologiques ou disciplinaires, du thomisme à l'idéologie des Droits de l'Homme via le néo-thomisme. Une seule question : ces prétendus droits ont-ils à voir juridiquement et/ou théologiquement avec la Somme Théologique de saint Thomas ? Réponse négative.
La Somme distingue expressément entre justice générale - les lois éternelle, naturelle, humaine -, et justice particulière - le droit, d'essence dialectique, où le juge recherche l'égale proportion, l'équitable, entre deux parties. Les unes intéressent l'ordre éthique, donc individuel, quand l'autre tient dans les choses concrètes, juridiquement partagées, d'où altérité et extériorité.

Le christianisme reste accusé par ses ennemis d'avoir introduit des ferments de dissolution, tel l'égalitarisme, au sein de la société. Peut-il être tenu pour responsable de ces hérésies ?
Une seule Parole compte, celle de l’Évangile, qui rend ipso facto caduque l'ancienne Alliance mosaïque, elle-même pervertie dans le(s) Talmud(s), et qu'actualise de droit sinon toujours de fait le magistère de Pierre. Seul l'appel à la vie intérieure forme le suprême, la nécessité, de la Loi nouvelle. Le politique, le droit, l'organisation institutionnelle de la Cité n'y ont quasi point de part, à la différence du Vieux Testament. Ainsi, de même que la royauté du Christ n'est pas de ce monde, l'ordre du politique ne ressortit pas à l'ordre de la grâce. Réserve faite que si le siège du pouvoir temporel est dans la nature in concreto, celui de toute autorité demeure d'origine divine in abstracto. Saint Thomas l'établit, la jonction du politique et du bien commun passe par loi naturelle, garante de l'autonomie des « causes secondes » et des finalités de la communauté, quand le choix du régime appartient à la prudence des magistrats publics, « à l'arbitre de l'homme ». La distinction aristotélico-thomiste de la loi et du droit, de l'être et de l'avoir, subirait cependant de nombreux assauts. D'origine cléricale, d'abord. Du nominalisme franciscain à la seconde scolastique espagnole, des courants d'apparence centrifuge, au vrai concentriques, frottés d'augustinisme juridique, assimileront jus à lex, que d'autres, purs rationalistes, confondront ensuite pleinement au bénéfice d'une morale de plus en plus subjective, de plus en plus déliée de la totalité. La raison naturelle dépréciée, le droit réduit au positivisme légaliste, suivrait l'absolutisme de l'individu et ses fruits : la Démocratie, la Souveraineté populaire, les Droits de l'Homme. Toutes choses de fondements chrétiens, certes, mais de fondements dénaturés : le propre des hérésies.

La droite a-t-elle un avenir ?
Oui si elle recouvre son identité. Savoir, rompre avec la novlangue nominaliste ici, idéaliste là, nihiliste au fond, qui n'a d'autre objet que de rendre impossible tout autre mode de pensée.
C'est l'acte premier, intérieur, en vue du réel, de qui « ne lâche rien ».
Propos recueillis par Eric Letty monde&vie

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