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Une Europe sans ambitions (arch 2011)

Les événements tumultueux d'Afrique du Nord permettent de tirer une conclusion remarquable : il est désormais incontestable que l’Union Européenne a perdu toute son importance en tant que force politique sur l’échiquier international.
Cela n’a rien de sensationnel. Contrairement aux déclarations répétitives de l’Europe unifiée, selon lesquelles elle se serait transformée en un acteur mondial, au cours de la dernière décennie elle est surtout restée confinée à ses problèmes internes. Le dernier projet d’envergure planétaire, dont l’Union Européenne a tenté d’assumer le leadership, a consisté en la lutte contre le changement climatique, mais même dans ce domaine, les efforts européens n’ont pas été couronnés de succès. Les États-Unis et les grands pays émergents se sont arrogé le premier rôle. Personne ne s’attend donc à ce que l’Europe exerce une grande influence sur les événements dans le monde.
Toutefois, pour l’Union Européenne, l’Afrique du Nord n’est pas une notion abstraite dans le lexique de la terminologie internationale. Cette région est un voisin immédiat de l’Europe auquel cette dernière est liée par des liens historiques, culturels, économiques, énergétiques, politiques et humains très étroits. La France, qui a toujours donné le ton des ambitions de l’Union Européenne dans l’arène internationale, a traditionnellement l’impression de parrainer le Maghreb, surtout sa partie francophone. Pour la Grande-Bretagne, le Proche-Orient en général, et l’Afrique du Nord en particulier, est le rappel d’un passé impérial relativement récent et un objet d’intérêt particulier. Ce n’est pas par hasard que l’ancien premier ministre britannique, Tony Blair, a cherché coûte que coûte à se faire nommer représentant permanent du "quatuor" pour le Proche-Orient. La situation dans la région préoccupe au plus haut point l’Espagne qui n’est séparée du Maroc que par un détroit large de quelques kilomètres. Il en est de même pour le Portugal, l’Italie et la Grèce qui sont des centres d’attraction pour des émigrés clandestins en provenance des pays nord-africains. Des communautés nombreuses de ressortissants de ces pays sont présentes dans la majorité des pays européens. Sans parler de Chypre et de Malte, membres de l’Union Européenne qui se trouvent, en fait, au sein de cette région.
Il est donc parfaitement logique que l’Union Européenne ait toujours attaché une importance particulière au renforcement de son influence en Méditerranée et en Afrique du Nord. Dans les années 1990, dans le cadre de l'intégration croissante au sein de l’Union Européenne, la question d’une politique internationale commune s’est posée et, en premier lieu, des outils de travail avec les territoires adjacents ont été créés sous la forme du Partenariat euro-méditerranéen, du "Nouveau voisinage" et de la "Grande Europe." Enfin, la Politique européenne de voisinage a été formulée qui englobait les pays allant du Maroc et de la Mauritanie à la Moldavie et à la Géorgie. Il est rapidement devenu clair qu’il était inefficace de réunir des Etats aussi disparates, et deux projets ont été formulés, à savoir "Le partenariat oriental" pour les anciennes républiques soviétiques et l’Union méditerranéenne. Cette dernière a été particulièrement préconisée par le président français, Nicolas Sarkozy, qui cherchait à renforcer de cette manière la prééminence de son pays dans la région et d’étayer par la même occasion le rôle de l’Union Européenne dans son ensemble. Il est vrai que le président français avait espéré un soutien financier généreux de la part de l’Allemagne, mais la chancelière allemande, Angela Merkel, l’a rapidement ramené sur terre.
Toujours est-il, si la panoplie de l’Union Européenne en matière de politique internationale paraissait peu efficace dans les autres régions du monde, l’Europe croyait ne pas devoir redouter la concurrence le long de ses propres frontières.
Il y a une semaine, Ahmad Khalaf Masa'deh, diplomate jordanien et secrétaire général de l’Union méditerranéenne, a donné sa démission. Il s’est abstenu de faire des déclarations retentissantes, mais personne n’a douté que son départ était dû à l’inertie et à l’impuissance de son organisation créée pour contribuer à "la stabilité et la prospérité" de la région. Au cours des semaines pendant lesquelles la tension n’a pas cessé de croître en Tunisie d’abord et en Egypte ensuite, l’Union Européenne et ses membres clés n’ont formulé aucune réaction cohérente. Il s’est surtout avéré que personne ne s’était attendu à ce que la situation prenne une telle tournure. Et cela même après que tout le monde s’était mis à évoquer l’"étincelle" tunisienne et le danger de l’"effet domino." Aucun plan n’avait été élaboré en prévision d’un tel cas de figure. Quant à expédier enfin une mission de crise en Tunisie ou en Égypte, ces initiatives s’enlisent dans l’incapacité de l’Union Européenne de déterminer le format de la mission, son mandat, son niveau et les autres détails procéduraux. De nombreuses déclarations faites par des politiciens européens à tous les niveaux, y compris par le chef la diplomatie européenne, la baronne Catherine Ashton, n’ont aucun effet sur l’évolution de la situation, car tout le monde voit clairement que l’Europe n'a pas de position commune, voire de vision claire de ses propres intérêts et des scénarios souhaitables.
La confusion actuelle ne marque pas seulement le début de graves problèmes. Il est très probable que la région entière subira un "remodelage" général, et toutes les grandes puissances souhaitant y exercer leur influence devront rapidement mettre au point de nouvelles stratégies. Quels que soient les successeurs des politiciens âgés sortants, les principaux pays devront établir des relations avec les nouveaux dirigeants des États ayant une importance stratégique, c’est-à-dire avec pratiquement tous les pays de la région. Les nouveaux acteurs, surtout l’Iran et la Turquie, y intensifieront également leur présence.
Les événements qui se déroulent au sud du continent européen revêtent la plus grande importance pour les pays clés de l’Union Européenne, notamment pour la France, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, en raison des liens multiples mentionnés ci-dessus (surtout dans le domaine démographique et énergétique). L’expérience montre que l’Union Européenne est peu apte à formuler une politique commune, les membres de l’Union chercheront donc sans doute à faire respecter leurs intérêts en agissant séparément, chacun fera ce qu’il pourra. (À titre d’exemple, il suffit de se rappeler le "pardon" de la Lybie par les Etats-Unis il y a quelques années. Juste après cela, les chefs des Etats clés de l’Union Européenne se sont empressés, à qui mieux mieux, à se lier d’amitié avec Mouammar Kadhafi considéré juste avant comme étant "infréquentable"). Ces efforts disparates saperont encore davantage les bases de l’unité politique de l’Union Européenne, déjà fortement branlantes. Or, aucun pays européen, pris séparément, n’est comparable aux Etats-Unis ou à la Chine. Quant au levier traditionnel de ‘Union Européenne, à savoir l’aide économique, sa portée est également limitée car, en raison de la crise, la zone euro ne dispose pas des ressources financières qu’elle pourrait allouer à cet effet.
Heureusement, l’Union Européenne est tout de même en mesure de faire preuve d’unité en s’opposant au régime dictatorial haï de Minsk. Toutefois, contrairement aux Etats-Unis, qui ont adopté des sanctions économiques réelles contre la Biélorussie, le Vieux Continent se limite à des déclarations belliqueuses et à des gestes symboliques, car en réduisant les échanges économiques avec la Biélorussie, l’Europe lèserait aussi ses propres intérêts. Or, ces derniers priment sur les principes inviolables.
Fedor Loukianov
notes :
Fedor Loukianov est rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.
source : RIA Novosti

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