Mai est enfin terminé. Pendant un mois, les médias ont célébré la grande révolution soixante-huitarde et loué les combattants de pacotille qui rêvaient de changer de société et qui se retrouvent aujourd’hui au service de cette société qu’ils vomissaient tant. Après de tels éloges, il faut se demander pourquoi le gouvernement Juppé ne leur accorda pas la carte d’anciens combattants comme il le fit aux anciens volontaires communistes d’Espagne. L’hystérie pubertaire collective du triangle Odéon – Sorbonne – Nanterre n’incarne cependant rien d’historique par rapport aux grands événements de ce siècle. En ces temps d’exaltation lacrymogène, il aurait été néanmoins plaisant de se souvenir de cet autre mois de mai, en 1983.
Cette année-là, après avoir lancé le plan de rigueur, le gouvernement socialo-communiste de Mauroy soutint la nouvelle réforme universitaire concoctée par le ministre de l’Éducation nationale, Savary, qui, sous prétexte de modernisation, niait la spécificité des études médicales et transformait l’université en une sorte de « lycée supérieur ». Du fait de la docilité des syndicats étudiants, contrôlés par le P.S. et le P.C., la réforme aurait été entérinée sans aucun problème si les étudiants en médecine n’avaient pas réagi. Rapidement rejoints par leurs condisciples en droit et en sciences économiques, les élèves-médecins s’y opposèrent en manifestant pacifiquement. En guise de réponse, le régime socialiste lâcha contre eux ses C.R.S. et ses voltigeurs motocyclistes. Les premières échauffourées commencèrent dès la fin avril et se poursuivirent par intermittence tout au long du mois suivant.
Scandalisés par cette agression policière, les manifestants en colère crièrent « À l’Assemblée nationale ! » et, à destination des « forces du désordre », qu’ils préféreraient les voir dans les usines Renault alors agitées par une grève quasi insurrectionnelle. Quelques jours plus tard, dans France-Soir, Jean Dutourd demandait aux C.R.S. d’être « crosses en l’air, camarades ! » et faisait observer judicieusement : « Encore deux ou trois manifs un peu rudes et l’on pourrait bien entendre le tac-tac des mitrailleuses », car « la gauche n’a pas les scrupules de la droite quand il s’agit de rétablir l’Ordre ».
Mai 83 fut la seule occasion de connaître un anti-mai 68. Mais la désunion et les querelles intestines entre les étudiants apolitiques et les autres (royalistes, gudards, droitiers de l’U.N.I.) empêchèrent une amplification majeure de la contestation. Avec une meilleure concertation et une volonté d’aller jusqu’au bout, tout aurait été possible surtout quand, le 6 mai, les petits commerçants, les artisans et les patrons de P.M.E. – P.M.I. manifestèrent à leur tour contre la clique au pouvoir. Bien organisée, la convergence des protestations se serait réalisée. Or, la droite politique qui recherchait déjà la compromission, prôna l’inaction et l’apaisement. La sujétion du R.P.R. et de l’U.D.F. à la gauche date de cette période. Prenant acte de la trahison, le conseil national du P.F.N. (Parti des forces nouvelles) fustigea alors « l’attitude de l’opposition parlementaire [qui] est inadmissible : son refus de soutenir les luttes engagées contre le régime de Mitterrand prouve qu’elle n’a pas envie d’abattre ce régime de trahison par les voies les plus légales ».
La conséquence imprévue de ce mouvement inorganisé et, finalement, immature incita le P.S. à reprendre en main les organisations étudiantes et relança le noyautage dans le milieu lycéen. Le résultat produisit, en hiver 1986, la formidable mobilisation contre la loi Devaquet. Les modérés français venaient de montrer une nouvelle fois qu’ils étaient déjà les plus bêtes du monde…
Rodolphe Badinand http://www.europemaxima.com
• Paru dans Rivarol, le 3 juillet 1998, et première mise en ligne sur Europe Maxima le 15 août 2005.