À grands ahans, nos députés ont fini par adopter les projets de loi sur la transparence de la vie publique et la lutte contre la fraude fiscale. 326 voix contre 193 pour le texte sur la transparence ; 366 voix contre 174 voix sur le texte contre la fraude fiscale. Un vote acquis, pour la majorité, dans le souvenir de l'affaire Cahuzac, dont le principal responsable devait être auditionné, quelques jours plus tard, par la commission d'enquête sur les éventuels dysfonctionnements du gouvernement en l'espèce. À commencer, bien sûr, par l'ignorance affichée et stupéfaite du chef de l’État.
Le débat aura beaucoup tourné autour de la question de la publication à donner aux déclarations de patrimoine des élus. En définitive, et du fait de l'opposition manifeste d'une grande partie de sa majorité, à commencer par celle du président de l'Assemblée Claude Bartolone, ni les parlementaires, ni les autres élus ne verront publier leur déclaration de patrimoine. Elle sera seulement consultable en préfecture, avec interdiction de les divulguer sous peine de sanction pénale.
Autant dire que la mesure perd beaucoup de sa force. On imagine mal des cohortes de citoyens se précipiter en préfecture pour connaître la valeur des biens de leur édile. L'éloignement, une certaine impossibilité technique et pratique, et peut-être la peur d'être fiché, l'emporteront rapidement, et la plupart du temps, sur l'envie et la suspicion. Tant pis, en définitive, pour les ministres qui, eux, n'ont pas eu le choix. Mais qui se sont partiellement tiré d'embarras en affectant de remplir leur déclaration de patrimoine comme s'il s'agissait de celle des impôts... Avec dissimulation donc d'un certain nombre d'éléments pouvant être considérés comme relevant de leur fonction, ou de domaines flous, comme celui, par exemple, des œuvres d'art.
Seront publiques en revanche les déclarations d'intérêts, qui indiqueront toutes les activités (bien que, a priori, aucun métier ne leur soit interdit) et relations que les parlementaires, leurs proches ou leurs collaborateurs, peuvent avoir, et qui sont, un jour ou l'autre, susceptibles de créer des conflits d'intérêt.
Dans l'opposition, majoritairement opposée à de telles dispositions, même quand la non-publication leur a retiré de leur réalité, on a crié au « voyeurisme », assurant que le Parlement, désormais, allait se trouver sous la tutelle de la (future) Haute autorité de la transparence, dont la fonction consistera essentiellement à contrôler lesdites déclarations.
La peur du citoyen
Qu'il soit nécessaire de voter une loi de moralisation politique donne déjà une triste idée de notre République. Mais la peur relève surtout ici du théâtre. À moins que certains parlementaires n'aient - déjà - des raisons de craindre les dispositions de la nouvelle loi sur la fraude fiscale, qui durcissent le dispositif pénal : création d'un délit de fraude fiscale en bande organisée, possibilité de recourir à tout type de preuve, y compris illicite, contre les fraudeurs supposés, allongement du délai de prescription de trois à six ans, etc.
Évoquant les nouvelles lois, Jean-Marc Ayrault a assuré qu'il s'agissait de la « législation dans toute l'Europe la plus exigeante ». Peut-être.
On peut aussi supposer que les élus, parlementaires en tête, soient tout à coup touchés par une espèce de grâce citoyenne, comme ces dix députés, de droite et de gauche, qui ont appelé à l'« abolition » de leurs privilèges. Et se sont dressés contre l'opacité.
Il en faudra plus, cependant, pour convaincre nos concitoyens. Selon un sondage réalisé en pleine affaire Cahuzac (mais on pourrait évoquer les affaires Tapie, Guéant...), 77 % des Français envisageaient, sans état d'âme, la malhonnêteté de leurs élus. Il faudra plus qu'une petite loi taillée sur mesure pour leur rendre leur confiance en la politique.
Olivier Figueras monde & vie 2 juillet 2013