Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vers l'indignité nationale ? (arch 1998)

Les princes qui ne peuvent avoir raison de leurs adversaires politiques par le poids de leurs arguments et qui n'osent user directement de la force sont tentés de se servir de la justice pour les éliminer. Ce fut le cas du Second Empire, régime issu d'un coup d'État, et, plus récemment, de l'Épuration qui profita, elle aussi, d'un changement de régime brutal. C'est dire si les procès politiques d'aujourd'hui entrent dans une logique de guerre civile.
Le procès de Versailles n'est pas une procédure isolée dans notre France contemporaine. Les avatars de la loi Pleven revue à la hausse par le communiste Gayssot entraînent en effet chaque année des cohortes de journalistes et de quidams réputés mal pensants devant les tribunaux : et ce pour des motifs toujours plus subjectifs. Le but, on peut le craindre, étant de légitimer à terme les procès d'intention fondés sur le seul délit d'opinion.
Cela, pour autant, est-il nouveau dans notre beau pays ? Non. Nous comptons quelques précédents historiques dus à ces alliances réputées pourtant contre nature entre le pouvoir et les juges; c'est toute l'histoire de l'hypocrisie politique, celle des régimes prétendument démocratiques et libéraux qui s'arrangent toujours pour tripatouiller la loi et la justice afin de se débarrasser des adversaires gênants, surtout lorsqu'il paraît évident qu'on ne peut les combattre par les urnes.
Nous avons ainsi, dans notre passé proche, une période qui peut servir de référence : c'est l'immédiat après-guerre. Double référence, car, d'une part, ce qui s'est alors passé semble tenir lieu de modèle à nos réformateurs sur le plan technique, d'autre part nous avions de sérieuses leçons à en tirer quant aux conséquences. François Brigneau a traité cela avec tout le talent qu'on lui connaît dans son cahier consacré au Racisme judiciaire. Il y détaille minutieusement la mise en place par le général de Gaulle et son ministre de la Justice, le communiste Marcel Willard, de toutes ces nouvelles structures - les Chambres civiques, notamment - appelées à constituer « une appréciable amélioration de notre arsenal répressif ». Couvert par l'urgence de la nécessité et la nécessité de l'urgence, le premier gouvernement gaulliste accouche de cette petite merveille qu'est l'ordonnance du 29 août 1944. Il faut rappeler ici le parcours du ministre Willard : avocat, communiste pur et dur depuis l'adolescence, ardent défenseur du pacte germano-soviétique en 1939 et même défenseur des députés communistes déchus de la nationalité française et traduits devant le Tribunal militaire début de l'année 1940, il est donc intronisé par de Gaulle « patron de la nouvelle justice ».
Légalité républicaine
C'est ainsi que Willard a l'idée d'instituer un délit sans délit à caractère rétroactif. L'ordonnance stipule : « Tout Français qui, même sans enfreindre une loi pénale existante, s'est rendu coupable d'une activité antinationale caractérisée s'est déclassé : il est devenu un citoyen indigne dont les droits doivent être restreints dans la mesure où il a méconnu ses devoirs ». C'est l'ouverture de la voie royale vers l'épuration et la guerre civile par la légalisation de l'arbitraire. Willard ne s'en biche pas qui écrit : « le système de l'indignité nationale ne trouve pas sa place sur le terrain de l'ordre pénal proprement dit : il s'introduit délibérément sur celui de la justice politique où le législateur retrouve son entière liberté et plus particulièrement celle de tirer, à tout moment, les conséquences de droit que comporte un état de fait. » Cela, et il n'en est pas fait mystère, vise purement et simplement à éloigner les gêneurs : « ce principe d'égalité devant la loi ne s'oppose pas à ce que la nation fasse le partage des bons et des mauvais citoyens, à l'effet d'éloigner des postes de commandement et d'influence ceux des Français qui ont méconnu l'idéal et l'intérêt de la France au cours de l'épreuve la plus douloureuse de son histoire ».
En vertu de quoi furent écartés tous les adversaires gênants (il y en avait d'ailleurs de tous bords politiques). Citons Paul Faure de la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière), Jean-Louis Tixier-Vignancour, ancien monarchiste ou Clamamus, le député communiste de la Seine, trois noms parmi la centaine de parlementaires rendus inéligibles pour avoir voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain (les sept-huitièmes de la Chambre avaient voté oui). 
Se flattant de rétablir la légalité républicaine, de Gaulle fit de l'arbitraire la norme légale et prit donc prétexte du changement de régime pour faire le ménage. Aujourd'hui, sans changement de régime - à moins qu'on n'ait omis de nous en avertir - on prononce l"'indignité nationale" pour des faits qui, au pire, relèvent de la simple contravention. À l'évidence, l'ordonnance de 1944 - « tout Français qui, sans même enfreindre une loi pénale existante », etc - est encore en application. À cette nuance près qu'il convient de remplacer l'expression « coupable d'une activité antinationale » par « coupable d'une activité nationaliste ». Pour autant, les censeurs n'ont pas changé : militants de l'internationale communiste avant la guerre, ils étaient devenus, après la guerre, épurateurs au nom de la nation. Cinquante ans après, ils combattent le nationalisme au nom du mondialisme ... Les mots changent mais les méthodes demeurent.
Marie-Claire ROY National Hebdo du 19 au 25 novembre 1998

Les commentaires sont fermés.