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Enquête sur la droite en France : Paul-Marie Couteaux : L'Homme n'est pas une matière plastique »

Né en 1956, écrivain et essayiste, Paul-Marie Couteaux, ancien conseiller de Philippe Seguin de 1993 à 1996, fut député européen souverainiste de 1999 à 2009, sous les couleurs du Rassemblement pour la France, puis du Mouvement pour la France. En 2011, il fonde le parti Souveraineté, indépendance et libertés (SIEL).
Monde et Vie : Pensez-vous qu'il existe une différence de nature entre la droite et la gauche ?
Paul-Marie Couteaux : Il faut savoir sur quel plan je dois vous répondre : car il n'y a pas une mais deux oppositions dans le débat politique, et je crois qu'il faut les distinguer clairement pour mettre à sa juste place le clivage droite/gauche.
Une opposition première porte sur le cadre politique lui-même. C'est ce que l'on pourrait appeler « le préalable politique » : en gros, il faut savoir comment faire pour qu'il y ait de la politique, c'est-à-dire un gouvernement, une souveraineté, une légitimité, des règles. Cela semble aller de soi, mais il n'a pas toujours existé un État français, et il a connu de terribles « trous », des années d'anarchie noire... En somme, il n'y a pas toujours « de la politique », au sens où la politique signifie le gouvernement et, par lui, la participation des hommes aux affaires du monde. La plupart des hommes sur la terre n'ont aucun accès à la politique - ne serait-ce que la majorité des États n'ont pas assez de souveraineté pour mener une politique.
Donc, première question, la construction d'un cadre légitime et souverain, qui dépasse de haut le clivage droite/gauche.
Un autre clivage existe depuis au moins trois siècles (et non deux), entre les Classiques et les Modernes, d'où dérive l'actuel clivage droite/gauche : il est bien plus contingent, ressort davantage d'une mise en scène, celle d'un couple toujours métamorphosé et toujours renaissant, moins capital et pourtant plus passionné et mobilisateur. Ses frontières et ses enjeux bougent constamment : aujourd'hui, il n'est plus aussi social que par le passé ; son ingrédient essentiel n'est plus économique, n'en déplaise à la batterie d'économistes plus ou moins professionnels qui envahissent le discours politique et l'ennuient. L'enthousiasme et la colère sont ailleurs, dans les questions de civilisation que le trio infernal dominant notre époque, le système technicien, la mondialisation et le relativisme moral multiplient jusqu'à l'hallucination. À des urgences déjà anciennes comme la faillite de l’Éducation nationale ou la croissance vertigineuse de l’immigration s'ajoutent les délires du multiculturalisme et ces autres délires qui sortent de la théorie du « genre » et poussent sous nos yeux comme champignons après la pluie.
Au fond, pour les nations comme pour les individus, c'est désormais la question de l'être qui est en jeu : sur ce registre l'opposition est maximale entre la droite comprise comme héritière des Classiques et l'actuelle gauche, où je situe le libéralisme, qui est largement, depuis le XVIIIe, du côté des Modernes.
Il y a une opposition irréconciliable entre l'homme « construit » de la gauche (et quelquefois construit de toutes pièces, selon les élucubrations existentialistes d'où sortent la théorie du genre, le mariage génétiquement modifié et ce qui s'ensuit) et l'Homme héritier, conforme à une essence humaine dont nul ne peut s'échapper - je dis essence pour reprendre la conception platonicienne, essentialiste, finalement chrétienne qui est la mienne.
Entre existentialisme et essentialisme, pas de comptabilité possible : il en découle de fondamentales oppositions dans les sujets de civilisation. Exemple : c'est parce que l'homme n'est pas une matière plastique que l'illusion moderne sur l'intégration atteint si vite ses limites.
Le cosmopolitisme, l'internationalisme, vous paraissent-ils constitutifs de la gauche ?
Il faut revenir sur ces mots, tant les mots politiques sont trompeurs - c'est à vous dégoûter d'en faire ! Il faut ne pas savoir ce que l'on dit pour faire de l'internationalisme une justification du dépassement des nations (par exemple dans le cadre européen), au point de faire de l'internationalisme une sorte d'équivalent du mondialisme, voire un mélangisme général. Au contraire, en simple logique, l'inter-nationalisme suppose des nations, et des nations qui osent être ce qu'elles sont.
Un véritable inter-nationalisme suppose le respect de la nature de chaque nation et de leur merveilleuse diaprure : un Japon qui soit vraiment japonais (et non américain) ; un Brésil qui soit brésilien (idem) ; une Europe européenne, une Italie italienne et... une France française !
Il en va des nations comme des individus, d'ailleurs, qui ne peuvent échanger, communiquer, coopérer qu'à une condition première, être ce qu'ils sont - le verbe être est pour moi la clef de tout. Rien n'est plus beau que cette phrase de Claudel qui devrait tant aider les nations, et pour commencer les individus, à vivre ensemble, ou vivre tout court : « Ce que chacun peut apporter de meilleur au monde, c'est lui-même. » La première responsabilité qui incombe à chaque être au regard du monde, c'est être. Pour cela savoir qui il est, accepter qui il est (c'est, dans l'ordre individuel, le beau travail de la psychanalyse, dans l'ordre politique le sentiment de la dignité nationale), enfin et pour couronner le tout, être maître de lui-même : ce que j'ai appelé, dans l'ordre politique, souverainisme, mais qui est aussi une morale personnelle...
Peut-il exister au sein des droites un « dénominateur » commun, voire un principe fédérateur comparable à l'utopie égalitariste au sein de la gauche ?
Oui, il est simple et découle de ce qui précède : ce principe fédérateur est la reconnaissance et la défense de la nature des choses, que tout autour de nous s'ingénie, par matérialisme mercantilisme, progressisme ou existentialisme à corrompre dans des proportions inouïes. Un exemple, la question cardinale de la liberté : pour un esprit de droite, la Liberté est la faculté d'être ce que l'on est, conformément à sa nature propre, sans vouloir « se changer » ou « sortir de soi-même », c'est-à-dire de son être propre (exister), vaste tartufferie de l'époque. Si la liberté ne veut plus rien dire aujourd'hui, au point d'être en grand danger, c'est qu'elle est devenue le droit ou la faculté de faire ce que l'on veut (et souvent ce que le marché veuille que l’on veuille...) ou de faire ce qui vous passe par la tête, chose évidemment impossible sur une planète de huit milliards d'humains qui aboutit au totalitarisme moderne partout florissant - en France notamment. Annah Arendt disait que le slogan « tout est possible », qui fleurit en 68 et dont François Mitterrand a fait le slogan de sa campagne de 1974, était nihiliste et totalitaire : c’est exactement ce que l'on voit sous nos yeux.    
Propos recueillis par Eric Letty monde&vie août 2013

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